L’ère regrettée des dinoblogueurs

Où j’ai découvert que je n’écrivais pas seulement pour chauffer les câbles

Dans un billet vieux de plus de 5 ans, “Gimme back the 2000-2005 blogs !“, vint4ge criait son désarroi, “Je n’apprécie plus de lire des blogs.”, en expliquant qu’il lui était dorénavant difficile de trouver en ligne des lectures stimulantes, et que les mises à jour des blogs qu’il avait l’habitude de lire devenaient selon lui trop irrégulières.

Il définissait aussi un certain nombre de traits caractéristiques des blogs de la “grande époque” :
– actualisation très régulière (jusqu’à plusieurs fois par jour) ;
– longueur conséquente des billets ;
– intimité romancée ;
– sérialisation : un peu comme une histoire sans fin.

Je vais revenir plus loin sur ces différents points, mais commençons d’abord par me projeter dans cette histoire.

J’avais appris l’existence de Jules/vint4ge lorsqu’il m’avait contacté au début d’août 2009 pour me faire part d’une pétition qu’il avait mise en place sur lapetition.be, “Pour le retour de Cramoisi et Contingences” – apparemment je n’étais pas le seul triste du retrait de Cramoisi et de son blog, Contingences (c’est bon, vous suivez ?).

Je découvrais aussi que vint4ge m’avais mentionné quelques jours auparavant dans son billet “Lectures de remplacement” :

Ils n’écrivent plus alors je fouille les archives : jpl.name et iokanaan

Cela m’avait beaucoup touché – “oh putain oh putain, je manque à quelqu’un !!” – et m’étais fendu d’un commentaire ; j’y annonçait un retour pour la fin de l’été 2009, retour qui n’est jamais advenu.

Cramoisi, la blogosphère francophone, le reste

Il y a encore quelques jours de cela, Axel me demandait : “mais au fait, c’est qui ce Cramoisi que tu mentionnes tout le temps ?” – un belge qui ne connait pas Cramoisi, ça existe ?


Seb Cramoisi, c’était l’anti-lifestyle design : on avait toujours l’impression qu’il écrivait sa vie dans l’instant, sans la concevoir dans une perspective future, que celle-ci venait imprégner le papier qu’il noircissait ; et étant apparemment souvent en manque de papier, il se voyait parfois obligé d’emprunter la peau de demoiselles. Ou peut-être était-ce ce qu’il aimait à nous laisser croire, car comme il l’avait mentionné dans un billet (dont je m’étais fait l’écho ici) :

Le vrai but du blogueur devrait être, avant tout, celui de rendre sa vie blogable.

Comme beaucoup d’autres lecteurs amoureux de l’intelligence des mots, j’étais un admirateur de ses billets – irréguliers dans mes souvenirs – qu’il m’était parfois arrivé d’évoquer sur mon ancien blog.
Cramoisi, c’était aussi un pousse-au-crime de l’écriture, dont les supplices verbeux s’imprégnaient lentement en vous, en moi : au travers des “immobilismes et mouvements“, entraînant une “immunité contre le bonheur“, parfois “quelques mots“, poussant à une “instanciation de nos rêves sur les méandres de la réalité“, à partir de “ces mots qui voudraient exister en dehors de la prison qu’on leur impose“, évoquant parfois des “non-souvenirs d’une vie d’anti-débauche “, contre “décapitation du passé, renoncement au présent et condamnation à un futur imaginaire“…

J’ai l’impression de courir après mes caprices parfois, enfin non, je devrais dire : tout le temps. Plus précisément, ça doit se situer entre caprice, nonchalance, fainéantise, détournement de futur mineur, espoir d’avenir majeur.

– Celle-là, elle est de moi – j’en suis un peu fier.

Cramoisi, il lisait beaucoup ; ou du moins il avait souvent un livre à la main.
Cramoisi, il agençait des concepts intéressants – méta-hétérotopie!
Cramoisi, il écrivait bien, sur n’importe quel support (donc)…
Cramoisi, il avait des potes sympas (Christophe Géradon, etc.).
Cramoisi, il avait des copines, et donnait même l’impression de posséder un harem dévoué.
Cramoisi, il buvait, aussi – de la bière belge ?
Bref, Cramoisi nous caressait avec ses notes de vie, d’une vie que parfois nous aurions tous aimé expérimenter, nous, ses lecteurs perdus mais assidus.

Or voilà, Cramoisi s’est éclipsé, puis les archives se sont taris.

Je ne sais pas pourquoi :
Peut-être l’image que renvoyait son blog ne correspondait-elle pas à la carrière à laquelle il aspirait ? J’en doute un peu, même si c’est un problème que j’ai un peu rencontré.
Peut-être l’envie de passer à autre chose, à un autre, de tourner la page, de faire table-rase ?
Peut-être tout simplement la lassitude.
Ou plutôt.
La nonchalance.

Vu de ma banlieue parisienne, Cramoisi, c’était aussi l’épicentre d’un vaste réseau de blogueurs nous abreuvant d’une intimité romancée, avec des noms bizarres presque sortis de contes de fée, comme la “Princesse Clope au Bec”.

La blogosphère francophone/belge avait ainsi perdu son anti-hérault.

Du coup voilà vint4ge qui lançait sa pétition, dont on peut encore trouver de nos jours le contexte dans un commentaire déposé mi août 2009 sur le billet “Sauvez Cramoisi” d’artypop :

Pour la petite histoire : l’an dernier il a écrit un livre ([DESCARTES ENTRE FOUCAULT ET DERRIDA : La folie dans la Première Méditation]) et il avait promis de réouvrir son blog s’il en vendait 502 exemplaires. Evidemment il savait que ce chiffre ne serait pas atteint. Il en a vendu 156 exemplaires et m’a donc défié de récolter 156 signatures pour revenir écrire …

(D’ailleurs fait super étrange, dans un autre commentaire sur le même site, vint4ge mentionne un “Nef”, qui est l’un de mes short nicknames ; je me demande si c’est de moi dont il s’agissait.)

L’absence de retour de Cramoisi laisse à penser que la pétition n’avait en son temps pas atteint ses objectifs…

vint4ge est resté gentiment obsédé par Cramoisi (un peu comme moi), le mentionnant de temps en temps sur Twitter, ou lui offrant même une place de choix dans les résultats de recherches sur son blog:
"Ces termes de recherche vous ont amenés ici : « cramoisi contingences » : rien de neuf à son sujet ici, pourquoi vous ne lui envoyez pas un mail ?"

Mais c’est Géradon qui à ce jour en parle le plus, toujours sur Twitter. Et au final on en vient à se demander si Cramoisi n’est pas une création de Géradon, son ami imaginaire…

Cramoisi avait donc marqué les esprits, et des années après, son souvenir est impérissable.

Cramoisi, ce "blaireau qui écrivait des poèmes sur des filles nues"

Cramoisi, anti-hérault, mais phénomène isolé ?
Non.

Certifié dinoblogueur

Dans un billet de début juin 2008, “les dinosaures des blogs“, “Mr Peer” avait lancé un concept finalement assez prémonitoire :

[…] je suggère de créer l’association des dinosaures des blogs, seule autorité compétente en la matière et capable de gérer le phénomène (et aussi compétente pour mettre hors ligne des sites, ou pour organiser des pendaisons ou lapidations publiques).
Les membres seront des blogueurs, des vrais, et surtout des vieux blogueurs qui se seront lancés au plus tard en 2002 (c’est à dire avant Loïc Le Meur).

Concept rapidement repris et précisé sur embruns.net par Laurent Gloaguen dans son billet “Labellisé dinoblogueur” :

Étant donné que Loïc Le Meur a commencé à bloguer le 29 septembre 2003, je propose d’allouer le label “Dinosaure du blogue” (ou “archéoblogueur”) à tout blogueur ayant commencé avant cette date. Il nous faudrait une plateforme collaborative afin d’élire un Conseil des sages et un Président des dinosaures des blogues, ils constitueront la HAB (Haute Autorité des Blogues) qui fera autorité sur la question.

La précédente définition fait donc de moi un “Dinosaure du blogue”, puisque j’ai commencé à bloguer le 23 février 2003 (“First post“), “218 jours avant LLM” !

Ce côté prémonitoire ; il vient du terme même, “dinoblogueurs”, comme annonçant leur probable disparition dans une extinction de masse inéluctable – de fait, en 2008, les carottes étaient déjà cuites depuis quelques temps…

Si l’on y réfléchit bien, sur le plan technologique, 2001-2006, c’était l’époque des moteurs de blog élégants, orientés texte jusqu’à leur propre nom, avec Movable Type ou TextPattern. Et même en y réfléchissant encore un peu plus, l’année charnière fut 2004 : stabilisation de Textpattern, dernières versions de la “Series 2” de Movable Type et arrivée du sieur Loïc Le Meur chez Six Apart. L’époque de l’artisanat de la fabrique des mots s’évanouissait, le business prenait le relais. 2003-2004, c’est aussi l’échec de la Social Software Alliance (dont j’ai fait parti), qui aspirait à mettre en place un Web 2.0 décentralisé mais inter-opérable, grâce à divers mécanismes qui peuvent sonner vieillots de nos jours (OPML, pingback, trackback, RSS, Atom, XMPP, etc.).
Ne vous étonnez pas au final si Facebook est apparu en 2004…

Commençait aussi à germer à la même époque dans la blogosphère anglophone le concept d’une stratification des blogueurs, comme pour leur attacher une valeur : des A-blogueurs qui généraient les idées ou étaient en contact direct avec les idées, en passant par les B-blogueurs qui les augmentaient, commentaient et diffusaient, jusqu’aux nombreux piailleurs de C-blogueurs qui ne faisaient que répéter le message originel à l’identique (je ne garantie pas l’exactitude de la classification).

En bref, en 2004, les blogueurs sont devenus des produits.

Les blogs du début des années 2000, et moi et moi et moi

J’ai toutefois envie de reposer la question : alors, pourquoi cette extinction de masse ? Pourquoi de nombreux blogueurs ont-ils décidé d’arrêter d’écrire souvent abruptement ?

Tout d’abord, life happens, comme on dit.

Moi comme la plupart des blogueurs francophones de la grande époque, nous avions la vingtaine et nous étions étudiants : du temps libre, une vie sociale plutôt riche, des échanges intellectuels constants, une soif de connaissances se matérialisant dans la quantité de livres dévorés. Et cette envie de partager, presque une pulsion : alors on s’étale, sur ce que l’on apprend, mais aussi un peu sur sa vie privée, qu’on romance quand même un peu pour la rendre plus digeste et attirante. Ceci aussi pour soi-même, pour exister un peu plus.

Et puis on grandit.
Il faut entrer dans la vie “active” – c’est certain, parce qu’avant on foutait rien…
Et puis.
Avec la vie de couple, forcément, de passer trop de temps sur son blog, c’est un peu comme dire qu’on va au bistro du coin avec ses potes tous les jours. – alcoolique des zarsélettres!
Avec la vie de famille, forcément, tu as beaucoup moins de temps.
Avec la vie au boulot dans des postes à responsabilités, forcément, tu cherches à légèrement moins t’étaler sur tes problèmes intimes.

Le contexte fait que bien rapidement, que tu le veuilles ou non, tu te poses la question du retour sur investissement d’un blog.

Je me doutais que je devais avoir quelques lecteurs au vu des statistiques du site. Néanmoins cela restait impalpable. Quasi aucun commentaire : donc peu d’échanges et de rencontres ; et les amis qui me lisaient me faisaient leurs commentaires lorsqu’ils me voyaient – le disible engouffrait le scriptible.

Alors tu commences à réfléchir à la monétisation, tu envisages de mettre des publicités – mais l’écriture de soi, à part des pubs pour du Prozac, tu vois pas qui va miser dessus…

C’est peut-être aussi pour cela que, lorsque j’ai commencé à écrire en 2008-2009 en vue de publier à nouveau en ligne, je me suis recentré sur des sujets monétisables comme l’ingénierie logicielle… et puis pouf, life happens, again.

Du coup tu te laisses happer en 2007-2008 par Twitter, et surtout endoctriné par Facebook.
Car avec les “médias sociaux”, tu peux déblatérer sans réfléchir.
Et ils ont (presque) tout compris : que tu étais un produit bien entendu, mais aussi quelles pubs te balancer à tout moment (y compris pour des sites de rencontres entre lesbiennes quand toi tu es plutôt genre hétéro).

Avec le temps, ces médiaux sociaux te font apprécier les effets scandinaves, ceux du syndrome de Stockholm.
Mais pas que.

Twitter & microblogs / Facebook & microlikes

Dans son billet de fin avril 2010, “Vieux con nostalgique toi-même !“, vint4ge avançait que, Twitter, ce sont surtout des conneries, qu’il nous rend “fainéants et abruties”. Sur la même longueur d’onde, “Elixie” (Elise Costa / @BobbyFreckles), dans son billet du même jour, “In The Good Old Days“, avançait que “depuis que les gens ont Twitter, ils n’ont plus envie d’écrire ailleurs”, en assonant elle aussi un coup sur Twitter comme pourvoyeur de fadaises en série.

Moi je vois cela plutôt sous l’angle small is beautiful : Twitter et Facebook ont compris l’ère du temps, cette accélération des communications à outrance, ce besoin de retours continuels de la génération Y. Facebook et Twitter ont donc mis en place un système de perfusion de la motivation : j’écris un peu quand je veux, cela ne me prend pas trop de temps, mais cela suffit à ce que les gens me fassent des retours (likes/favorites), ou me diffusent (retweets/reshares) ; je reçois ainsi ma dose journalière de social virtuel.

Je me dois de concéder que Twitter m’a été très bénéfique, comme d’apprendre une nouvelle manière d’écrire, sharp : faire court, faire tranchant – précis, pointu, affûté.

Cramoisi aurait également pu écrire :

Le vrai but du tweetos devrait être, avant tout, celui de rendre sa vie tweetable.

Et d’une certaine manière, c’est Twitter et Facebook qui provoquent chez moi la réapparition d’une envie d’écrire. Car ces médias sociaux, en entraînant la diffusion des idées, ont aussi contribué à leur uniformisation ; de-là l’envie retrouvée d’exprimer son point de vue, sa différence. Ou plutôt, de la motiver : comment l’envie de motivation engendre la motivation renouvelée de l’écrit.

Un retour des blogs ?

En fait les blogs intéressants n’ont jamais vraiment disparu, ils se sont juste transformés, ont recombiné leurs structures internes.

– certes l’actualisation régulière a basculé vers des formes micro, comme Twitter (ou le lifestreaming, j’y reviendrai dans un billet plus lointain) ;
– cependant pour ceux qui ont conservé leurs blogs, ils leur ont servi à développer des sujets que les formes micro ne permettent pas ;
– l’intimité romancée a été récupéré par les blogs BD, qui sont par ailleurs devenu une forme intéressante pour la monétisation ;
– la démultiplication des médias sociaux a même amplifié la sérialisation.

Il ne nous reste plus qu’à espérer que nombreux seront les blogueurs disparus de la grande époque à s’emparer de tous ces supports, à y faire leurs nouveaux nids.

Note de fin

Toutes ces évolutions sont aussi sous-tendues par la dichotomie rampante entre le Web comme réceptacle d’idées qui tout à la fois média nous en dépossède.
Les médias sociaux, pour un bénéfice maximal, voilent cette dichotomie.

On peut penser que Facebook et Twitter s’effondreront bientôt sous leur propre masse, remplacés par le Web permanent distribué que chercher à offrir de prometteurs projets comme IPFS ou Matrix.

De prochains sujets 😉

Pourquoi while42 Prague est un fork

Si vous réfléchissez bien à ce titre, en bon français, cela donne : “Pourquoi tant-que-42 Prague est un embranchement” – si c’est pas de la littérature d’anticipation, ça… ou alors une fiction SNCF 😛

La nécessaire petite histoire personnelle, forcément

Quand je suis arrivé à Prague en octobre 2008, je dois dire que je ne me suis pas trop posé la question de savoir s’il y avait d’autres informaticiens français ici – ceci pour de multiples raisons que je détaillerai dans un autre billet. Encore moins après être passé indépendant sous le régime tchèque en février 2009.
J’ai peut-être commencé à me poser des questions en avril 2012 quand Cedric Maloux (EPITA ’92 expatrié à Prague) m’a contacté via LinkedIn en évoquant d’une certaine manière que ce n’était pas banal de tomber sur un (autre) ingénieur EPITA à Prague (bon alors forcément, quand j’ai vu sa photo-tout-seul prise à Prague pour fêter les 30 ans de l’école, j’ai eu un peu de peine pour lui).
Mais c’est au final tout simplement en travaillant au jour le jour comme ingénieur français avec des informaticiens tchèques que je me suis rendu compte qu’il y avait une spécificité française, ou du moins francophone : non seulement la culture de l’ingénierie façon Grandes Écoles n’est pas répandue en République tchèque, mais aussi je sentais que j’avais souvent plus d’évidences partagées avec des tchèques ayant suivi une partie de leurs études en France qu’avec des purs produits du système scolaire tchèque (pourtant pas tant que ça éloigné du système français). Et ce n’était bien souvent pas une question de langue, mais une question de culture, de relation aux savoirs, de pratiques, de manière de travailler, de concevoir le travail d’équipe, le “travailler ensemble”.

Et de me dire : tant qu’à résider principalement à Prague, autant faire bouger les choses aussi dans mon environnement immédiat.

Technomadisme

Fervent européen, j’ai plutôt tendance à rejeter la culture de l’expatriation d’entreprise à la française et me sentir plus proche de la culture technomades (dont le porte-étendard si vous ne le connaissez pas encore est Pieter Levels @levelsio). Début 2015 j’ai ainsi commencé à m’inscrire dans cette communauté technomade, à échanger avec des nomades français souhaitant expérimenter la vie à Prague ; de fils en aiguilles je me suis mis à rencontrer d’autres personnes qui partageaient une certaine vision de l’expatriation. À la fin du printemps 2015, je m’attelais au lancement du groupe Facebook “Prague Digital Nomads“, qui continue de nos jours à vivre sa belle vie et permet à de nombreuses personnes de ne pas se sentir trop perdues en arrivant à Prague.

En parallèle, de nombreux membres de la communauté technomades, comme Pieter Levels (@levelsio) ou David Heinemeier Hansson (@dhh), s’inscrivent dans un mouvement de transformation profond du monde du travail : distribué/asynchrone, où les jeunes pousses sont auto-suffisantes. Ceux qui me connaissent savent que c’est l’un de mes chevaux de bataille.

Si la création du réseau de technomades de Prague a certes amorcé un sous-réseau d’informaticiens francophones, cela n’a pas stoppé les messages que je reçois régulièrement d’informaticiens français voulant venir travailler à Prague, ou plus généralement “partir à l’Est”.

Où cela parle de while42

Je connaissais depuis pas mal de temps l’existence du réseau while42 ; je me suis donc dit qu’il serait sympa de créer quelque chose de similaire à Prague.

Pour ceux qui ne connaissent pas (et ils sont nombreux, même au sein du groupe IONIS), while42 est une initiative née a San Francisco qui s’est donnée pour objectif de mettre en place la communauté mondiale des “ingénieurs” français. Le réseau s’étend maintenant dans plus de 50 villes/chapitres à travers le monde (?) et compte plusieurs milliers de membres. Les deux maîtres d’oeuvre de ce chantier sont Julien Barbier (@julienbarbier42) et Sylvain Kalache (@sylvainkalache) ; d’ailleurs si vous voulez revenir aux origines, vous pouvez consulter le billet “while42 – the French Tech Engineer Network” de Julien, et “42ème chapitre et d’ailleurs, que signifie “while42”?” écrit par Sylvain.

Je pense que je partage beaucoup d’analyses avec Sylvain : même intérêt professionnel pour l’automatisation, proximité de point de vue sur le rôle de l’école, vision similaire sur les expatriés, réaction comparable vis-à-vis de La French Tech et de ReviensLéon

Par exemple, je vous laisse découvrir cet extrait de son billet “Les expatriés, au service de la France?“.

Et j’en viens à mon point. Les français à l’étranger sont une chance pour la France. Un pays qui ne sait pas communiquer et ne rayonne pas à l’international est, au jour de la mondialisation, un pays mort. Les Français à l’étranger sont des passerelles vers l’expansion de la France.
Non seulement ils facilitent les flux financiers à l’international, mais c’est aussi une façon pour nous d’élargir notre savoir en ayant des français qui apprennent de nouvelles cultures, méthodes de travail différentes et peuvent les partager en revenant en France ou lorsque des Français les visitent. La diversité est une richesse! Finalement l’abondance des ingénieurs français très appréciés partout dans le monde est un gage de qualité pour le système éducatif et la force de travail française.

Voilà, c’est bien dit : les expatriés comme facilitateurs, interfaces vers d’autres cultures, richesses pour le pays, gages de qualité pour un système éducatif !

Néanmoins, plus je suivais l’actualité média des deux compères, plus de pensais qu’il existait un schisme dans nos manières de réaliser cette visionun rift entre nos terrains d’aventures.
Et cet écart est bien reflété par leurs projets successifs : les multiples projets de Sylvain et Julien semblent mettre progressivement en place une “pompe à talents” pour la Silicon Valley, alors que je suis fondamentalement convaincu que si l’on se retrousse les manches, on peut faire aussi bien et différemment de partout dans le monde (technomadisme, travail asynchrone), ou localement, par exemple en Europe centrale (Berlin, Prague, Budapest), plus au Nord (Tallinn) ou plus à l’Est (Bucarest, Sofia) – vous avez vu ce vide sur la carte while42 en Europe Centrale et Europe de l’Est ?

Petit résumé de leurs activités (je suis quand même fan, hein, les gars) :

– donc while42 (2012), qui a démarré à San Francisco ;
HNWatcher (2013), qui permet de suivre l’activité d’Hacker News – site d’information récemment devenu moins dépendant de YC Combinator, bien que toujours fortement ancré à San Francisco, même si le YC Fellowship a été lancé il y a quelques mois (mais ne parlez pas de startups en télétravail à Paul Graham) ;
TechMeUp (avril 2014), site de présentation des francophones qui “font” la tech, surtout centré sur l’Amérique du Nord et la France ;
TechMeAbroad (avril 2015), qui est principalement présenté comme un site pour trouver du travail aux USA avec sponsor du visa, même si les offres d’emplois couvrent un espace géographique bien plus large ;
HOLBERTON school (2015, September), “42 à San Francisco”.

Déjà, encore bravo, ça bouge et ça communique bien sur le mouvement, ce dont nous n’avons pas l’habitude en France 😀 Bon réseautage, bon effet boule de neige, bon effet de levier, bon storytelling

Mais voilà, quand je regarde cela de loin depuis la vieille Europe à l’Est (ou “Far East” avec nos amis bisons et aurochs), le message que je perçois c’est : heyyy les copains, venez à San Francisco, il y fait bon vivre pour nous les ingénieurs français !
Sans compter qu’à la longue ça tend à ressembler à un panier de crabes entre membres de LinkedIn/Docker/ex-Pixowl 😉

Prague n’est pas S.F.

Plus sérieusement, tout ça pour en venir au fait que le contexte n’est pas du tout le même à San Francisco qu’à Prague, et que nous n’avons pas ici autant de facteurs qui contribuent à la réussite de la Silicon Valley.

Petite parenthèse : mon point de vue est que Prague est une superbe plate-forme pour lancer une startup (vous pouvez à ce sujet consulter “Czech the tech scene” de l’accélérateur StartupYard, même si je ne suis pas totalement d’accord) – je reviendrai sur cet aspect dans un autre billet.

Tout d’abord les tchèques ne sont pas autant ouverts que les américains de prime abord (moins hypocrites ?) : cela ne favorise pas vraiment l’émulation, ni dans un cadre professionnel, ni dans des rencontres plus informelles.
Ici non plus, on ne trouve pas comme en Californie ce climat si agréable ; les températures qui descendent sous -20°C en hiver, les nuits qui commencent à 16h30 dès l’automne : tout cela ne pousse pas forcément à sortir, se rencontrer et communiquer en toutes saisons.
Heureusement, les tchèques ont la meilleure culture de la bière au monde, la pivo consommée dans des hospodas – bistros tchèques -, ce qui permet de mitiger un peu.

J’ajouterais que nombreux sont les ingénieurs locaux qui n’apprécient plus de voir ces grandes entreprises américaines exploiter la main d’oeuvre bon marché du pays, ni les gestionnaires américains incompétents débarquer à Prague, et gagner au moins 5 fois plus qu’eux juste par le fait qu’ils sont américains… et pourtant les profils techniques sont plutôt bien servis niveau salaire à Prague. En passant : les ingénieurs Français de la Silicon Valley témoignent souvent du fait qu’ils ont quitté la France car ils n’était pas aussi bien considérés que les gestionnaires – alors imaginez ce que c’est bien plus à l’Est…

Je pourrais allonger la liste, mais passons à l’action.

Hospoda42

J’ai beaucoup été influencé par les modèles de programmation distribuée, par le Small Pieces Loosely Joined, et je pense qu’on peut construire des réseaux importants où chaque nœud à une identité forte. Je préfère la liasse aux chapitres bien reliés.
Car ce n’est pas parce qu’un groupe de techos francophones va se voir labelliser [while42] que tous leurs problèmes vont se trouver résolus, ni même que la communauté va fonctionner comme sur des roulettes.

Bref, depuis le printemps 2015, j’ai bien fait une quinzaine de ch’tites réunions avec d’autres français à Prague – imaginez la quantité de bières ! – pour lancer la mécanique menant à la création d’un “while42 Prague”, sous la forme d’un gentle fork.

Le nom du projet est depuis le début “La Dernière Hospoda avant la fin du monde” (“The Hospoda at the End of the Universe”), pour rester dans la mythologie créée par Douglas Adams, omniprésente à l’EPITA et dans les autres écoles dont elle a accouché.
Ceci parce que l’hospoda, le bistro tchèque, c’est un symbole fort de l’échange convivial en République tchèque.

Les règles du cercle des 42 anonymes

Les règles sont un peu différentes de while42 :

  • 1. Pas besoin d’être français, il suffit d’être francophone : Ceci vise clairement à favoriser les échanges entre les expatriés et les locaux, dans le cadre de la langue de Molière. En outre cela permet à nos confrères d’autres contrées francophones de nous rejoindre (Bénélux, Suisse, Québec…).
  • 2. Pas besoin d’un diplôme délivré par une école française, ni d’être un ingénieur : Il suffit juste de savoir coder dans un langage de programmation et d’avoir fait ses études dans une école francophone.
  • 3. Pas besoin de vivre en continu à Prague : L’expérience a montré que les technomades francophones de passage à Prague nous aident à faire grossir notre réseau.
  • 4a. Pas de trou’du’c, vraiment : Nous aimons les débats et les échanges, mais dans une bonne ambiance. Le but n’est pas de croître aussi vite que possible, mais de créer un groupe soudé : à part les technomades, tous les futurs membres doivent préalablement rencontrer les root/toor-s.
  • 4b. Pas de foutaise : Nous n’en avons que faire des discours préformatés ; par exemple nous souhaitons découvrir ce qui se passe réellement dans les sociétés pour lesquelles des francophones travaillent, pas nous voir rabacher la version officielle.
  • 5. Pas de double pipe car certaines personnes peuvent trouver l’expression offensante (je vous laisse réfléchir au truculent “au début pour mieux se connaître, on fait une double pipe”) – nous sommes d’ailleurs toujours à la recherche d’une méthode de speed dating sympathique.

D’une certaine manière, je pense que l’idée du fork des règles était déjà dans l’esprit originel de while42, mais que personne n’a vraiment tenté l’aventure :

All the chapters have the same while42 main rules, but depending on the personalities of the managers, the needs of the members, the city/country culture, you will find that every chapter has its own personality and energy.

Les rencontres

L’idée est de monter un événement une fois par mois. Nous discutons encore des modalités.

Entre membres actuels, nous nous voyons déjà plusieurs fois par mois pour déjeuner, dîner ou prendre l’apéro.
Les événements Hospoda seront un peu plus organisés, avec : – une (ou plusieurs) présentation(s) sur des aspects techniques / de productivité / relatif à l’entreprenariat / culturels – et des photos de l’événement.

Si des sponsors souhaitant accueillir les événements Hospoda se manifestent, nous aviserons.
Un sponsor est une entreprise qui emploie des francophones, propose un espace pour accueillir les membres de l’Hospoda et les sustenter (bières et pizzas par exemple).
Les entreprises sponsors tirent profit de ces événements : elles rencontrent les talents francophones locaux dans une bonne ambiance et peuvent présenter leurs activités.
Bref, potentiels sponsors, n’hésitez pas à me contacter.

Un événement sponsorisé peut se continuer par des vagabondages dans des lieux de perdition praguois.

Nous avons plein d’autres idées pour les mois à venir.
Je travaille par exemple sur un programme d’initiation à l’informatique pour les enfants francophones de Prague, de niveau école primaire ; également sur “Prague-matique”, un site de références factuelles pour les francophones en République tchèque.
Aux dernières réunions, nous avons aussi abordé l’idée de faire de Prague ville labellisée La French Tech (même si je ne suis pas un fan du concept French Tech, cela ne m’empêcherait pas d’aider l’initiative).

Quelques liens

Nous avons une page LinkedIn, en anglais, juste pour la communication externe.

Toutes les discussions ont lieu dans notre groupe Facebook secret, ou IRL – les deux étant interdépendants, car vous ne pouvez faire partie du groupe Facebook que si vous participez aux événements IRL.

Vous pouvez aussi suivre le hashtag #Hospoda42 sur les réseaux sociaux.

Au plaisir de vous serrez la paluche lors d’une prochaine rencontre de la Dernière Hospoda avant la Fin du Monde !

Jean-Philippe @jpleboeuf
root “La Dernière Hospoda avant la fin du monde”
/ “The Hospoda at the End of the Universe”

Pourquoi ce titre, Tokens: Slices of Consciousness ?

C’est une bonne question… et je me remercie à l’en-vie de me la poser, ici, maintenant, si subrepticement – non vraiment, c’est un semblant d’imprévu intégral. Alors je voudrais remercier – ah non, c’est pas ça – la bourde!

Pourquoi “Tokens” ?

J’avais convergé sur cette idée de “Tokens” à l’époque où je tentais vainement de relancer une activité d’écriture en ligne – un “blog”, quoi, comme on disait, voire “blogue”, ou “carnet Web” pour d’autres, ou encore “e-carnet” chez un certain.
J’avais d’ailleurs publié un premier billet sur l’ancienne version de ce nouveau blog (même titre) le 11/11/2011 autour de 11:11 😉 – cet ancien billet n’est plus accessible pour le moment dans les archives, mais il devrait réapparaître dans les mois qui viennent.
En tout cas ce qui est sûr, c’est que je voulais clairement marquer un changement, entre l’ancien site jpl.name (dont les dernières entrées datent de 2005) et toute nouvelle production.
Bref, c’était il y a quelques années, et je dois bien vous concéder que je ne me souviens plus de l’étincelle magnifique qui a dû caractériser l’émergence du terme.
En tout cas, c’est certain, j’ai du me dire que ça claquait bien.

“Whip!”

Donc : “Tokens”.

J’ai toujours aimé ce mot. Protéiforme, connoté – et encore plus après un passage d’époque sur la Wikipedia…

Déjà il s’agit d’un anglicisme. Ceux qui me connaissent depuis longtemps savent que je suis un admirateur de la farouche détermination des Québécois à entretenir la langue française en tentant avec sincérité de la faire vivre à l’époque d’Internet où l’anglais et la culture anglaise grignotent tous les pans de la vieille Europe. A priori j’aurais tendance à ne pas apprécier le bougre-mot. Mais voilà, il sonne plutôt bien.
En vieil anglais, tacen, c’est un signe, un symbole, une évidence ; on peut remonter plus loin, en passant par le proto-germanique *taiknam, avec toujours cette idée de signe, jusqu’à la racine proto-indo-européenne *deik-, “montrer”. Le “token” comme pièce est lui bien plus récent, du XVIe siècle. Cela fait de “token” un mot au final lourdement européen. Toutefois, admettons-le, j’aime encore plus le mot français “jeton”, sorte de shuriken inoffensif – sauf à lancer très très fort.
“Token”, cela évoque donc pour moi d’une certaine façon un bilinguisme, français et anglais, voire même un multi-linguisme, d’autant plus renforcé par mon départ de France pour l’Europe centrale. Interprétation et inter-pénétration des cultures et langues.
— J’aurais pu ici vous offrir des jeux de mots graveleux à foison – et je dois avouer que j’en avais écrit un paragraphe plein, mais je m’abstiendrai grâce à cette retenue légendaire qui me caractérise, tout en vous donnant rendez-vous pour une prochaine série de billets très “Snow, sex, and pivo” – et oui, mon bon monsieur, ma belle madame, les blogs ont toujours dû sans remettre au sexe pour s’assurer quelques lecteurs. Mais à nouveau, je m’égare…

Ensuite bien sûr, il me faut aborder les différents sens du mot “token” dans les technologies de l’information et de la communication, et notamment dans ce domaine qui m’est proche, l’informatique. Autant le dire tout de suite, “token” est un mot un peu fourre-tout ; en fait pas tant que ça si l’on creuse jusqu’aux racines.

Un token, c’est tout d’abord un identifiant ; un token est associé à une identité. Ces tokens, ce sont de multiples identités.
Un token, c’est aussi un mot de passe, un secret. Ces tokens, ce sont des parcelles cachées exposées.

Un token, c’est certes du code, du virtuel (vertu-elle), mais aussi parfois du matériel (matière-elle) dans le cas des jetons d’authentification (par exemple ici en République tchèque, je dispose de certains comptes en banque auprès de la banque russe Sberbank qui oblige ses clients à utiliser des tokens RSA SecurID pour valider la plupart des opérations).
Un token, c’est donc le générateur d’une série synchronisée. Ces tokens, ce sont donc des générateurs d’idées qui auraient perdu leurs synchrons, des textes à l’éternel recherche de quelques lecteurs.

Bien entendu pour l’ex-étudiant en informatique, “token”, cela évoque aussi cette expression “token ring”, la topologie réseau de l’anneau à jeton : le paradigme y est celui du rond-point, valeur ô combien française, au débit généralement plus grand qu’un carrefour – ouais enfin, quand tu en comprends les règles. Le token ring nécessite ainsi une boucle, contrainte topologique : le chacun son tour qui s’entremêle avec l’éternel recommencement dans une prison des idées lié à cette topologie particulière : n’est-ce pas évocateur des blogs comme caisse de résonance, ou plutôt de raisonnance ? Cette topologie fait alors du token un “droit de transmettre”. Ces tokens, ce sont des droits à communiquer – et je compte en faire usage.

Si l’on prend un peu de distance, s’aventurant en analyse lexicale, un token est une unité. Nombreux, les tokens s’assemblent en pluralité, révèlent peut-être une syntaxe, une communauté d’organisation. Ces tokens, les uns à la suite des autres, pourront-ils signifier ?

On peut aussi penser au “jeton de présence”, le “j’y étais, j’ai témoigné”. Ces tokens, ce sont des témoignages.

Identités, secrets, générateurs de série, droits à communiquer, signes, témoignages : un token est un potentiel, un ouvroir à idées. Et de multiples tokens forment des différences de potentiels, des tensions, équivalentes à des résistances tacites croisées à des courants de conscience. Stream of Consciousness.

Un token, c’est donc une valeur, cela possède une valeur, potentielle.

Sous l’Empire britannique, un token était un disque à l’apparence de monnaie non officielle ; cette pièce avait sa valeur fixée par l’émetteur. Ces tokens, ce sont des textes dont seule importe la valeur pour leur auteur – celle que je leur attribue.
D’ailleurs au casino, les tokens sont utilisés pour miser – j’espère ne pas trop y perdre. Car c’est aussi un token que l’on peut utiliser au supermarché pour emprunter un caddy et y déposer ses merdes ^^

Enfin, il y a la connotation ethnique, le tokenisme, la représentation de la minorité. Un peu incongru, cet expatrié, The French Token, le français alibi. Et la boucle est bouclée, avec cette minorité ethnique qui fait écho à la langue française minoritaire, bien entendu dans le nouveau monde, mais aussi dans mon pays d’accueil, la République tchèque.

L’alibi, qui jette de la poudre aux yeux. Ces textes, en trompe-l’oeil. Cette présence aseptistatique, un cache-misère.

Pourquoi “Slices of Consciousness” ?

D’accord, j’ai toujours eu petit faible pour les termes comme “Stream of Consciousness”, ce flux/courant de conscience.

Peut-être certains se rappelleront-ils mon intérêt pour les “vacuités traumatiques“.
Ou d’autres auront-ils peut-être visité mon début de carnet scientifique publique dans lequel j’avais tenté de prendre quelques notes en 2004-2005, le défunt site Stignergy, dont la section blog se nommait “IdeaStream” – vous pouvez accéder à ces entrées ici, mais soyez prévenus qu’il s’agit d’un import encore non formaté.

En critique littéraire, le flux de conscience est une technique qui cherche à décrire le point de vue cognitif d’un individu, en dévoilant son processus de pensée et ses sentiments, “ce qui lui passe à l’esprit”. On peut voir cela comme une forme de monologue intérieur, à la narration souvent hachée, véhicule d’une pensée associative, discursive. – De Jean-Philippe, on peut dire qu’il est discursif.

C’est aussi un clin d’œil à Cédric, lecteur du philosophe psychologue William James, qui dans The Principles of Psychology, chapitre “The Stream of Thought” (1890), expliquait :

Consciousness, then, does not appear to itself chopped up in bits. Such words as ‘chain’ or ‘train’ do not describe it fitly as it presents itself in the first instance. It is nothing jointed; if flows. A ‘river’ or a ‘stream’ are the metaphors by which it is most naturally described. In talking of it hereafter, let us call it the stream of thought, of consciousness, or of subjective life.

Traduction personnelle :

La conscience, donc, n’apparaît pas à elle-même découpée en morceaux. Des mots comme “chaîne” ou “train” ne la décrivent pas convenablement comme elle se présente en première instance. Ce n’est pas quelque chose de joint; elle coule. Une “rivière” ou un “courant” sont les métaphores par lesquelles elle est le plus naturellement décrite. Lorsque je parlerai d’elle par la suite, appelons la “flux de pensée”, de conscience, ou de vie subjective.

Subjectivités.

Le flux de conscience, c’est aussi l’ensemble des pensées (événements, objets, émotions et expérience sensible) dont on peut avoir conscience, dont on est aware, que l’on appréhende par contuition. Le flux de conscience n’implique par forcément la compréhension car l’ensemble du flux n’a pas nécessairement le focus, c’est le sous-flux du sub-conscient.

React. Paah! Aware. ya yaah! – “Les pauvres, ils savent pas.”

“Je suis aware” ᕙ(⇀‸↼‶)ᕗ

“Stream of Consciousness” (que l’on affuble parfois du sobriquet “SoC”), à ce qu’il reste de mon audition, c’est aussi un titre instrumental de l’un des chefs d’oeuvre du groupe de métal progressif Dream Theater, Train of Thought (2003), l’un de leurs albums les plus sombres. Ainsi une évocation de ma passion pour la musique – métal \m/

Dream Theater: Live at Budokan – “Stream of Consciousness”

Alors : “train de pensée” ou “courant de conscience” ? Succession d’unités ou flux indivisé ? Disons que, en attendant de rentrer dans ces détails liés à ma thèse, j’ai choisi de domestiquer le courant en le découpant en tranches de vie, “Slices of Life”.

“Dexter: Morning Routine”

Cette référence à “Dexter” n’est pas anodine ; et pas uniquement parce que chaque épisode nous offre des extraits du flux de conscience perturbée de Dexter.

Aussi parce que je suis partisan des méta-continuités, de l’hyper-littérature aux encyclopédies de l’imaginaire, des échanges entre sciences et critique littéraire (je vous recommande vivement la revue Théorie Littérature Epistémologie), aux références pervasives à la pop culture – certains se souviendront d’une citation de JCVD que j’avais mise en exergue dans l’un de mes mémoires.

Tokens: Slices of Consciousness, c’est une machine à dévorer le monde.

P.S. : désolé pour le style de merde, c’est dur de se remettre au turbin :/