Laissons les thuriféraires du national-entrepreneuriat mener leur combat dépassé

Ce billet fait partie d’une vague série abordant certains des sujets évoqués lors de mes activités communautaires, en tant qu’animateur de la communauté “éphémère récurrente” Prague Digital Nomads (technomades), ou mon rôle de “bienveillant dictateur à vie autoproclamé” pour “La Dernière Hospoda avant la fin du monde”, le réseau des francophones travaillant à Prague dans “la Tech”.

Il s’agit d’un texte (un peu long, sans queue ni tête, je vous le confesse volontiers) tentant d’apporter de la mesure dans ce nouveau climat de national-entrepreneuriat malsain qui se développe en France, d’Arnaud Montebourg à #REVIENSLEON, en passant par la French Tech, Marc Simoncini et compagnie.

Reviens Léon!

Alors #REVIENSLEON, c’est quoi ?
Si l’on s’en fit à la présentation du programme :

#REVIENSLEON, c’est le programme d’attractivité internationale et de recrutement des start-ups et scale-ups françaises en hypercroissance, pour valoriser l’expérience internationale et favoriser la circulation des compétences.

Le programme s’adresse aux Français qui sont partis à l’étranger après leurs études, pour travailler dans des entreprises innovantes/dynamiques/ambitieuses/etc. Bref, ils recherchent des “profils expérimentés” / “profils de haut niveau” avec une “expérience internationale” – bibi, quoi 😉

Ce programme se concentre sur deux actions principales :
– une vitrine des offres d’emplois disponibles,
– un accompagnement au retour.
S’ajoute à cela un travail d’évangélisation à l’international réalisé par les entreprises-membres, se déplaçant de temps en temps à l’étranger pour rencontrer les expatriés-cibles.

Pour les plus jeunes, ou ceux qui sont restés éloignés des écrans cathodiques, il s’agit d’un clin d’œil à une antédiluvienne publicité Panzani pour des ravioli (1984), dont le slogan était : “Reviens Léon, j’ai les mêmes à la maison!”

Le slogan a été remplacé chez #REVIENSLEON par “Reviens Léon, on innove à la maison!”

ReviensLéon dans la presse et premières critiques

Le programme a reçu beaucoup d’échos dans la presse après la tribune #REVIENSLEON publiée dans le Monde du 26/05/2015, tribune disponible également sur le site officiel.

Échos.
Car la presse française s’est montrée peu critique au début, que cela soit avant les vacances d’été 2015 (annonce de l’initiative pour les start-ups et scale-ups) ou après (extension de l’initiative aux grown-ups).

Jugez-en par vous-mêmes :
#REVIENSLEON sur Le Figaro .fr Tech & Web (23/05/2015)
#REVIENSLEON sur le JDN Web & Tech (27/05/2015) – je reviendrai plus bas sur cet article qui exemplifie la vision réductrice de l’international façon #REVIENSLEON
#REVIENSLEON sur l’Opinion Économie (27/05/2015)
#REVIENSLEON sur LePetitJournal.com (28/05/2015)
#REVIENSLEON sur Le Figaro .fr Économie (15/09/2015) – article évoquant l’extension de ReviensLéon des start-ups et scale-ups aux grown-ups
#REVIENSLEON sur le JDN Web & Tech (15/09/2015)

Heureusement, on a pu voir des analyses plus balancées de la part de la presse étrangère, comme sur BBC News (16/09/2015), avec une critique bien sentie des start-ups françaises : trop contentes de rester sur le marché français, au lieu d’avoir des ambitions globales.

Ce sont cependant les fondateurs de while42 (Julien Barbier & Sylvain Kalache) et autres membres qui ont été les plus bruyants à formuler une juste réponse :

D’abord Julien Barbier dans l’Opinion (28/05/2015), au travers d’une excellente tribune dénonçant l’initiative #REVIENSLEON – tribune que je vous conseille vivement de lire en entier :

Depuis longtemps, les pays ne sont plus limités par leur frontières géographiques. Chaque pays est aujourd’hui distribué, et chaque «nœud», chaque expatrié est une richesse extraordinaire pour la France. Ces expatriés apportent beaucoup à la France : nous sommes un relais pour tous les français qui voyagent, nous aidons les sociétés françaises à croître à l’international, nous avons un carnet d’adresse qui n’a pas de prix, nous avons vu, vécu, et appris beaucoup de choses qui n’auraient pas pu l’être en France. Et nous partageons tout cela avec qui en a besoin.

Suivi d’une récidive le jour suivant du même Julien Barbier dans L’Obs Économie (29/05/2015) :

“Je pense que ce projet part d’une bonne intention. Mais tous ces gens sont partis avant tout pour vivre une autre expérience et il ne faudrait pas pointer du doigt les expatriés. “Reviens Léon” me semble un combat du passé. Tout le monde, même ici, a des problèmes pour recruter ces profils. Dans la ‘Tech’, il n’y a aucun pays qui forme assez d’ingénieurs pour ses propres besoins. Ce que j’aimerais qu’on dise, c’est ‘Viens !’ tout simplement, quelle que soit la nationalité.”

Puis via diverses répliques dans la presse en ligne dédiée aux entrepreneurs et expatriés :
#REVIENSLEON sur Fractale (03/06/2015) repris sur WeLoveEntrepreneurs (04/06/2015), avec une très intéressante série d’interviews d’expatriés réagissant à #REVIENSLEON, parmi lesquels des membres de while42 :

De nombreux expats ont vivement réagi sur Facebook et Twitter devant cette campagne en expliquant pourquoi ils avaient quitté la France, en quoi le rayonnement de la France profitait aussi des français de l’étranger mais aussi pourquoi la France devrait accueillir les talents étrangers qui rêvent de rejoindre l’Hexagone, plutôt que faire revenir ceux qui se sentent bien ailleurs.

#REVIENSLEON sur LePetitJournal.com (04/06/2015), avec le rappel des positions de while42 via Julien Barbier et Sylvain Kalache, mais aussi Tanguy Rambaud :

“tous ces Français sont les meilleurs ambassadeurs de la France, pourquoi les faire revenir si tôt? La vraie question est peut-être plus pourquoi on est parti plutôt que de rester?”

Enfin la réaction de Sylvain Kalache sur FrenchWeb.fr (3 août 2015), répliquant que la France ne devrait pas se focaliser sur le retour des Français partis à l’étranger, mais sur le fait d’attirer les talents partout où ils se trouvent dans le monde, favorisant ainsi la diversité culturelle :

Non seulement des profils internationaux très pointus aideraient nos entreprises à se développer à large échelle, mais ils permettraient en plus de pénétrer plus facilement les autres marchés. Au jour où les services et plateformes sont utilisés partout dans le monde, il est crucial de comprendre les différences culturelles des différents marchés mondiaux. Avoir une diversité culturelle au sein des employés est donc très importante.

En résumé :
– ReviensLéon ne s’adresse qu’aux Français partis à l’étranger, et donne même l’impression de ne vouloir faire revenir que ceux présents dans la Silicon Valley.
– ReviensLéon ignore en cela les nombreux talents déjà présents en France, et manque même son objectif d’ouverture à l’international en ne s’adressant pas aux étrangers dans leur globalité.
– Peut-être encore plus grave, ReviensLéon cherche à faire revenir les expatriés français qui sont une richesse pour le rayonnement de la France dans le Monde.
– Conclusion : ReviensLéon mène le mauvais combat.

Et si l’esprit #REVIENSLEON est d’un autre siècle, nous allons voir que l’exécution de l’initiative pose elle aussi problème.

ReviensLéon, les nombreuses maladresses

On ne peut nier que le programme #REVIENSLEON s’inscrit dans une nouvelle dynamique de l’entrepreneuriat en France ; cependant cette initiative reste très maladroite, manquant même d’ambition, de perspective, et d’une vision de l’avenir.

De mon point de vue, les maladresses sont nombreuses.

Une logique bancale

Il y a tout d’abord un problème de logique même dès la tribune initiale.
Les start-ups françaises rassemblées dans cette tribune commencent par vanter les mérites des ingénieurs français recherchés partout dans le monde – je passerai pour l’instant le raccourci qui consiste à laisser croire que tous les ingénieurs expatriés sont partis car aspirés professionnellement :

En France, l’innovation technologique de plus haut niveau occupe une place de choix. Nos ingénieurs et informaticiens font partie des meilleurs et le monde entier cherche et parvient souvent à les attirer.

Pour ensuite mettre en avant que les start-ups françaises ont grandi et qu’elles doivent dorénavant jouer en ligue internationale :

Certaines sont déjà passées à l’échelle internationale. Nos start-up deviennent des scale-up, nous plaçant face au défi de la transition du local au mondial. Comment jouer dans la cours des multinationales ?

Et selon #REVIENSLEON, quel est l’obstacle principal pour constituer des équipes de niveau international ? Et bien que toi, expatrié français, tu ne vis pas en France :

L’obstacle, c’est que tu n’es pas là. Pour grandir, nous avons besoin de toi !

Donc la logique #REVIENSLEONS est la suivante : pour relevé le défi de l’international, c’est en France que nous avons besoin des ingénieurs français, et c’est uniquement de Français dont les sociétés françaises ont besoin.

Déjà, talents de l’Hexagone, passez votre chemin, vous n’intéressez pas ces start-ups – j’y reviendrai plus bas en évoquant mon cas personnel. #REVIENSLEONS se tire ainsi seul une balle dans le pied : en délaissant les ingénieurs locaux, ces entreprises les poussent encore un peu plus à se sentir délaissés en France et à donc à partir en emportant une petite rancœur qui ne fera qu’aider à rendre leur exil quasi-permanent.
Alors #REVIENSLEONS peut toujours rêver :

“Nous sommes bien sûr pour la circulation des compétences, assure Frédéric Mazzella. D’ailleurs, parmi les CEO à l’origine de Reviens Léon, beaucoup sont partis plusieurs années à l’étranger. Ce que l’on veut, c’est que la France soit assez attractive pour que les talents y reviennent après quelques années d’expatriation.”

Rêve décalé, car lorsqu’on a goûté à l’expatriation, à la richesse socio-culturelle qu’elle offre, on n’a qu’une envie, c’est de continuer à explorer le monde, de partir à la découverte d’autres pays, pas de retourner à l’origine du périple.
Or il semble que pour #REVIENSLEON, toutes les routes mènent à Paris.

Ensuite cette logique d’un autre âge de la “Team France” : que si une entreprise française gagne à l’international, c’est parce qu’elle aura su être “française” ; pas parce qu’elle aura su intégrer différentes cultures étrangères, ni d’ailleurs par sa capacité de projection à l’étranger.
Or, comme l’ont rappelé les fondateurs de while42, et comme le montrent tous les sondages, les expatriés français se sentent (plus) utiles à la France dans leurs pays d’expatriation que dans l’Hexagone. Ainsi pour ces entreprises françaises qui voudraient grandir à l’international, ce sont dans leurs futures succursales à l’étranger qu’elles ont besoin des Français expatriés, là où ils connaissent le terrain de jeu et ses différences avec le terrain hexagonal.

D’ailleurs la métaphore n’est pas celle de l’affrontement sportif, elle tient plutôt de la guerre.

Une métaphore nationale belliqueuse

#REVIENSLEON

Il y a d’abord le discours diviseur, mis en relief par une esthétique qui renvoie aux milices de la Révolution française, à un schisme entre les citoyens arborant la cocarde nationale, et les autres, ces ennemis. Le logo #REVIENSLEON, logo inspiré de la cocarde tricolore, n’est vraiment pas fédérateur. Cocarde qui se trouve d’ailleurs utilisée sur les aéronefs de l’État français – si #REVIENSLEON voulait une connotation belliquo-nationale, ils l’ont…
J’aurais préféré une baguette ou un croissant : il y avait bien Rude Baguette (le blog en anglais des startups françaises), alors pourquoi pas “autoroute des croissants” – ou toute autre viennoiserie semi-croustillante.

En passant, il est selon moi symptomatique qu’un journal comme LePetitJournal.com, qui se consacre aux Français de l’étranger, n’ait vu aucun problème dans la dialectique #REVIENSLEON :

Bien loin d’un message patriotique, le programme entend valoriser les compétences des expatriés et les intégrer à la dynamique entrepreneuriale française.

Car oui, il s’agit bien d’un message patriotique ; et quant à “valoriser les compétences”, je n’ai vu aucun journaliste aller faire une étude de terrain et essayer de savoir à quelle augmentation de salaire en pourcentage correspondait la valorisation d’un expatrié pour les entreprises participant au programme – peu, je pense (voir plus bas).

Ce discours belliqueux se retrouve aussi dans les interviews et mises en exergue. Par exemple dans “Parole de Léon : Florian chez Box“, on peut lire :

Aujourd’hui, il rentre en France, parce que c’est maintenant que tout est en train de se passer !

Semez des Pommes de terre pour la France
Je ne sais pas vous, mais moi cela me fait penser aux textes des affiches de propagande pendant les guerres qui ont déchiré l’Europe au XXe siècle.

Toute cette dialectique du consommer nationale, à commencer par l’agriculture et l’alimentation.
Bref, pour être un patriote des start-ups, il faut cultiver les tubercules de la division – et du coup, tu te dis qu’une pomme de terre française, cela aurait fait un bon logo pour #REVIENSLEON, bien patriotique.
Fabriqué en France avec des Pommes de terre françaises
(Merci à Alix pour la référence à cette photo du “Fabriqué en France”.)

En passant, ces “paroles de Léon” n’en sont pas vraiment : même si le Florian en question a bien dû être interviewé, l’article sur le site s’apparente plus à du storytelling bien orchestré, dont chaque section vient en écho à la dialectique #REVIENSLEON.

Un international très anglo-saxon

Revenons aussi cette obsession pour la Silicon Valley qui a tendance à être énervante à la longue :

Objectif : recruter les profils français de haut niveau partis à l’étranger, et notamment dans la Silicon Valley, pour travailler dans des entreprises innovantes.

Comme si c’était le seul endroit sur Terre où se trouvaient des ingénieurs français expatriés compétents…

Silicon Valley, ou plus généralement, les bassins anglo-saxons, si l’on suit le Roadshow – “tournée” cela devait faire trop français – des villes évangélisées par #REVIENSLEON : New-York (24 juin), San Francisco (26 juin), Londres (2 juillet), Dublin (4 novembre)… peut-être Berlin à venir ?

Au final ce que je peux comprendre, et je le démontrerai plus bas, c’est que le programme #REVIENSLEON ne puisse être intéressant que pour les expatriés français des pays anglo-saxons, et que réciproquement cela doit bien être les seuls expatriés que #REVIENSLEON peut s’offrir.

Et donc du franglais…

… car après ton départ, expatrié, la langue française a évolué :

la Maison Plisson, le nouveau Merci de la food.

Bref, un autre “truc bidule” que je n’aime pas avec #REVIENSLEON, c’est leur usage du franglais : c’est tellement mal utilisé que certains passages en deviennent incompréhensibles.
Cela doit être pour faire jeune, pour montrer que même la langue française a bougé… – et comme je dois être un vieux con (dynamique tout de même), c’est normal que je ne comprenne pas.

L’avenir de “la Tech” Made in France

La légère inflexion de la communication #REVIENSLEON

Autant le dire tout de suite, j’ai peu d’espoir que #REVIENSLEON se transforme en initiative ouverte sur l’Europe et le Monde, multiculturelle.

Mais on peut constater que leur discours s’infléchit quand même, tout doucement, trop doucement.

Printemps 2015

Il y a parfois du côté de #REVIENSLEON de jolies formulations, qui malheureusement ne sont pas suivies d’actes :

Ainsi dès le printemps 2015 dans leur présentation du French Tech Ticket :

Ces dernières années, l’écosystème de startups français a fait preuve d’une dynamique remarquable, emmenée par une nouvelle génération d’entrepreneurs, investisseurs, ingénieurs, designers et de nombreux autres talents. Cette French Tech fait bouger les lignes très rapidement, et la France est certainement aujourd’hui à un point de bascule.

Et surtout :

La vitalité d’un écosystème innovant se nourrit de la diversité de ses acteurs.

Ah mais j’oubliais, #REVIENSLEON se délecte de pommes de terre françaises, donc telle est la diversité dont ils parlent!

J’ai donc tendance à croire que ces déclarations constituent une sorte de synthèse politicienne, donc bancale par définition, pour essayer de raccrocher la logique nationale initiale de #REVIENSLEON et de la French Tech, au début d’ouverture nécessaire pour attirer les entrepreneurs étrangers au travers du French Tech Ticket.

Été 2015

Dans un article du PetitJournal.com (16/07/2015) :

Les détracteurs du programme visent principalement son aspect « franco-français », ce dont se défendent les membres. « #REVIENS LEON ne prêche pas un discours nationaliste. Il ne s’agit pas non plus d’une injonction au retour. Nous voulons juste que les expatriés sachent que s’ils veulent revenir, ils n’ont pas à avoir peur d’entreprendre les démarches » explique Laurène Corbière.

Comme je l’ai esquissé précédemment, même si le discours n’est pas nationaliste, il reste national et ne s’adresse jusqu’à présent nullement aux francophones, à la francophonie si vivace, ni n’appelle des collaborations multi-culturelles.
Et j’ajoute, sur le “avoir peur” : sérieusement, croient-ils qu’un expatrié qui a quitté son pays d’origine aurait peur d’y rentrer ? D’ailleurs, parmi les expatriés que je côtoie toutes les semaines (français, francophones ou amoureux de la France), aucun ne doute du potentiel des start-ups françaises ; en revanche, le discours national, lui, fait peur.

Et puis toujours cette logique biaisée :

Ainsi à défaut de vouloir à tout prix faire rentrer les expatriés en France, comme certains ont pu le comprendre, #REVIENS LEON valorise leur expérience à l’international et les incite même à partir. « L’idée est la suivante, s’adresser aux potentiels futurs Léon en leur disant : ‘profite de ton expérience internationale, tout en sachant que les choses évoluent en France et que si tu souhaites rentrer, tu n’as pas à avoir peur de franchir le pas » complète Laurène Corbière.

Pars c’est bien, mais ça nous arrangerait que tu rentres ensuite.
Et encore cette référence à la “peur” – ça vire presque au psychodrame d’horreur…

Encore plus drôle et plus français : la “grosse opération de communication” de l’initiative a clairement été mal pensée et mal exécutée, et c’est presque l’aveux d’une bourde :

« Lancer #REVIENS LEON a nécessité une grosse opération de communication, tout était à faire » confie Laurène Corbière. L’équipe est partie de zéro et a su gagner rapidement en visibilité. « Suite quelques échos d’incompréhension que nous avons pu recevoir, nous avons dû ajuster notre communication afin d’éviter les malentendus» complète-elle.
(…)
Il s’agit d’un « work in progress », c’est-à-dire que le discours du programme est sujet à des évolutions et ajustements constants. « Il est retravaillé au fur et à mesure, au gré des avancées du programme et des réactions dont nous avons écho ». Le projet étant jeune, l’équipe évolue certes avec ambition, mais également à tâtons.

Pourquoi ô pourquoi avoir persévéré dans cette voie, je ne me l’explique pas complètement – bon, la responsable du projet de l’époque ne fait plus partie du programme ; peut-être faut-il y voir un signe…

Automne 2015

Enfin dans la lettre d’actualité n°3 autour du France Digitale Day en septembre – France Digitale, French Tech, #REVIENSLEON… personne ne se dit que cela devient difficile à suivre ? y a-t-il besoin en France d’autant d’initiatives éparpillées et redondantes ?
Bref, dans ces actualités, #REVIENSLEON se redéfinie comme le “mouvement pour renforcer l’attractivité internationale de l’écosystème French Tech”.
Et une fois de plus, nouvelle erreur de communication : car #REVIENSLEON et l’écosystème French Tech n’ont alors plus des objectifs entièrement similaires :
l’écosystème French Tech s’internationalise lentement via les French Tech Hubs qui dans leur cahier des charges sont pris en charge par des expatriés expérimentés,
– ceux là-même que #REVIENSLEON veut faire rentrer…

Du coup, nouvelle correction autour du 4 novembre 2015 lors du Dublin Web Summit, où #REVIENSLEON annonçait “des échanges sur les écosystèmes start-up hyper dynamiques et innovants en Europe”.

Arrivé à ce point, cela ressemble clairement à des problèmes de communication entre la French Tech et #REVIENSLEON…
Très français.

Mais youpi quand même !! il aura donc fallu 6 mois (!!) au service communication de #REVIENSLEON pour enfin peut-être formaliser ce qu’aurait dû être #REVIENSLEON dès le début, et à s’aligner avec le discours French Tech. (6 mois !!) Pour moi, cela ne fait que renforcer l’image d’amateurisme qui peut planer dans les entreprises françaises…

Ne vous réjouissez pas trop vite, car c’est pas gagné…

Suite à quelques tweets la semaine dernière, @ReviensLeon m’a contacté sur Twitter en DM pour préciser :

ReviensLeon s’adresse à ceux qui veulent rejoindre une entreprise française en tant que salarié et ce, que le bureau soit en France ou à l’étranger puisque l’ambition du programme est de développer les boîtes françaises à l’international. Précision importante !

Note de vieux con : je me suis toujours demandé pourquoi mes étudiantes terminaient souvent leurs paragraphes de “précision” “importante” par “précision importante !” – avec ce point, d’exclamation, pas d’importance…

Bref, Personnellement, je ne me souviens par avoir vu sur leur site beaucoup d’offres #REVIENSLEON à l’étranger…

“La Tech” Made in France

Au final, toute cette bouillie verbeuse est l’aboutissement d’un alignement de la communication autour de l’innovation en France sur celle du “Made in France” façon Arnaud Montebourg.

En bleu blanc rouge.

Du coup, quid de la French Tech ?

Déjà, rien qu’à lire le bilan French Tech par ses leaders, on peut prendre peur (et pas par désir d’impatriation) :

“Chez Blablacar, la moyenne d’âge de nos 360 salariés est de 29 ans. C’est très jeune. Le recrutement est notre principal problème, nous peinons à trouver les profils qui nous correspondent. Le numérique réinvente tous les métiers existants et en créé de nouveaux. Alors on préfère former des jeunes plutôt que d’embaucher des seniors qu’il faut mieux payer et qui n’ont pas davantage de compétences pour nos métiers.”

Le discours classique que l’on sert aux seniors : “vous comprenez, le monde a changé, rien n’est comme avant, vos compétences ne valent plus rien, pas plus que celles des juniors, donc autant pour nous recruter des juniors”.
Bon remarquez, c’est cohérent avec mon expérience : j’ai échangé avec une start-up French Tech pour un poste de développeur senior, et leur épreuve de code c’était de savoir implémenter une structure informatique de base, genre niveau Bac+1… – Je reviendrai sur ce point dans un autre billet.
Bref, ils se marchent sur la tête : vous croyez qu’avec ce genre de remarques les entreprises #REVIENSLEON vont payer à leurs justes valeurs les expatriés aux “profils expérimentés” que le programme cherche à attirer ?

L’avenir de la French Tech dépend des barbares

Je ne suis clairement pas le seul heureusement à avoir cette analyse, que l’isolationisme du programme #REVIENSLEON n’est pas la solution. On peut juste constater que ceux qui exprime ces idées vivent à l’étranger.

Par exemple dans un article sur Tech City & FrenchConnect London (30/01/2015) :

L’investisseur (belge) Fred Destin, qui connaît bien aussi la Silicon Valley, reproche toutefois à la France son approche de haut en bas «à travers de grands projets grandioses» et des «politiques publiques qui se posent en gardiens de la nationalité française, comme la BPI, sans comprendre qu’on évolue dans un environnement mondial».

Et c’est dans la rencontre avec les Français de l’étranger, comme à Londres, que de nouveaux axes se dessinent :

– Collaboration entre les écosystèmes européens :

Il y a environ 6 mois, avant qu’Axelle Lemaire soit nommée ministre, nous étions déjà en contact et partagions la volonté de faire cesser le French bashing qui battait alors son plein. Nous avions commencé à travailler sur une conférence prévue à la rentrée chez Google Campus sur le thème : “Silicon Channel : Towards a London-Paris Super Tech Hub ?”. Cette table ronde, coorganisée avec Tech City UK, était l’occasion parfaite de lancer le débat avec un thème très similaire : « Paris vs Londres : de la compétition à la collaboration ? L’attractivité de l’Europe pour les startups passe-t-elle par une plus grande collaboration entre les écosystèmes tech de Paris et Londres ? ».

– Structuration du réseau entre les entrepreneurs français à l’étranger :

Elle souhaite à ce titre créer un réseau structuré d’entrepreneurs français à l’étranger qui puissent être les ambassadeurs de la French Tech et contribuer à changer cette mauvaise image de la France.

Il est important que ces nouveaux axes s’affirment, car quelques entrepreneurs français comme Marc Simoncini se lancent dans la prédication du national-entrepreneuriat.

Le cas Marc Simoncini

C’est donc dans ce contexte que d’autres entrepreneurs français à succès se sont transformés en VRP des entreprises françaises de “la Tech”.

Il en va ainsi du patron de LVMH qui a rejoint l’initiative #REVIENSLEON, ou de Xavier Niel qui déjà en octobre 2014 incitait les forces innovantes à créer des entreprises en France, même s’il partait du même constat que les fondateurs de while42 sur les ingénieurs français :

«Quand je voyage, je m’aperçois que dans le monde entier, dans les entreprises de nouvelles technologies, vous avez toujours des Français. On les forme bien, ils sont géniaux, font des trucs fantastiques, sont réputés dans le monde entier…».

[La France] est un endroit fantastique pour créer une entreprise.

Le personnage Simoncini

C’est aussi le point de vue défendu par Marc Simoncini, comme on peut le constater dans un entretien d’octobre 2015 sur Maddyness.
Attardons-nous un peu sur cet entretien, car je pense qu’il présente bien le personnage.
Passons rapidement sur la personne posant les questions, ne cherchant pas le moins du monde à apporter la contradiction, et dont on peut résumer la contribution à cette citation fabuleuse :

D’accord.

Alors voici quelques faits avancés par le sieur Simoncini :
– “Il y a 30 ans, entrepreneur, ça n’existait pas… on était un patron… ça existait pas le mot ‘entrepreneur’… le mot ‘entrepreneur’ il est arrivé dans les années 2000, on a commencé à parler de l’ ‘entrepreneur’… nous on était des patrons” – alors que le terme “entrepreneur” date au moins dans sa signification moderne du XIXe siècle et que le focus sur l’innovation date de la première moitié du XXe.
– “A l’époque un ordinateur cela fallait 1 million de francs” – personnellement le ZX81 sur lequel j’ai commencé l’informatique il y a plus de 30 ans, donc avant l’époque mentionnée par Simoncini, il devait valoir entre 1000 et 3000 francs (et était doté de plus de 64 Ko).
– “la France est un tout petit pays, donc on peut pas faire de miracle” – et la francophonie ?
– “La France sera jamais un grand pays de l’Internet” – pourquoi ?
– “Par contre si vous rapportez le nombre de startups au nombre d’habitants, alors là oui on est une grande nation Internet…” – j’aimerais bien savoir d’où il tient ses données comparatives, car si l’on s’en tient aux montants des levées de fonds per capita en Europe, la France est même derrière la Lettonie…
Bref, son idée, c’est qu’il faut rester en France :

Y’a pas de raison objective de quitter la France aujourd’hui pour créer son truc.

Justement, objectivement, rien qu’en quelques réponses, il a quand même maximisé sur les approximations…

Voilà, peut-être que moi aussi dans une quinzaine années, je serai interviewé par une journaliste qui boira mes paroles au calice de ma voix, et cela sera pour lui clamer que “il y a 15 ans, expatpreneur, ça existait pas… on était juste un évadé fiscal…” – et j’espère alors que j’aurai en face de moi quelqu’un pour m’apporter la contradiction.

Avec Marc Simoncini, ce qui est récurrent, c’est qu’il y a une vérité, et c’est sa vérité.

L’appel de Marc Simoncini

C’est donc ce même monsieur qui nous a donné droit à son “Appel du 15 novembre” (sur Facebook puis sur Twitter), suite aux attentats du 13 :

Mes chers amis entrepreneurs, vous êtes nombreux, très nombreux à avoir quitté la France, pour des raisons personnelles parfois et fiscales souvent. Nous avons besoin ici de toutes les forces, de toute l’intelligence et de tous les moyens pour que notre pays reste une belle grande nation laïque de droit de liberté et de tolérance. Notre pays vous à donné la chance de réussir vos vies et vous faites partie des quelques % de l’humanité qui ont tellement plus que nécessaire. Alors, mes amis, je vous en conjure, revenez en France, revenez entreprendre, revenez avec votre intelligence et votre énergie, vos idées et votre enthousiasme, revenez, payez y vos impôts, vous verrez ça n’est pas si difficile ! Revenez, parce que si nous ne sauvons pas notre nation vous aurez vous aussi bientôt tout perdu.

Le Monde s’en est fait écho dans un article, repris aussi ici.

Le problème est qu’il se focalise majoritairement sur le fait que les entrepreneurs français seraient partis à l’étranger pour des raisons fiscales.
Et encore plus grave, qu’il considère que les problèmes de la France sont dus à un manque d’argent – pas à une mauvaise utilisation de celui déjà présent dans le pays… non non non…

Et dans la même lignée que le précédent entretien que j’ai décousu, qu’il détient la Vérité :

Entendre la vérité ne fait plaisir à personne.

Comme pour #REVIENSLEON, il s’agit de stigmatiser, de montrer du doigt, de diviser au lieu de rassembler.

Beaucoup de retour dans ce sens, et même des voies intermédiaires :

De son côté, Jean-David Chamboredon, qui avait lancé en septembre 2012 le mouvement des Pigeons, dénonçant une loi de finance jugée « anti-start-up », modère. « Les entrepreneurs peuvent être partis pour des raisons fiscales, mais ils refont leur vie, et oublient ensuite les raisons de leur départ. »

Mais sieur Simoncini s’en fout :

« Je m’en fous d’avoir l’air cocardier, conclut le fondateur de Meetic et Sensee. On est au pied du mur, et pour ceux qui ont de l’argent, du talent, le devoir d’aider c’est maintenant. »

Bref, encore un fan des cocarderies : vous devez aider ici et maintenant.
Alors que cela fait longtemps que nous aidons, là-bas et toujours.

Une vision réaliste des expatriés

D’une certaine manière, La French Tech, #REVIENSLEON et Marc Simonicini ont tous la même lacune : semble-t-il, une très mauvaise connaissance des expatriés. Du coup c’est le populisme : on collecte les préjugés et stéréotypes, puis on montre les expatriés du doigt… enfin on leur jette des pommes de terre françaises dans des pogroms innovants.

Les journalistes économiques français ne les y aident pas : les expats sont souvent présentés comme partant dans des pays anglo-saxons, et autour de raisons tournant autour de l’argent (bon, c’est le Le Figaro .fr économie, alors ça aide pas forcément) ; apparemment des gens plutôt aisés ou ayant fait de belles études, qui pour la plupart partiraient pour échapper à l’impôt.

Et pourtant.
Et pourtant, #REVIENSLEON mentionne dans un article intitulé “Les Français à l’étranger, un atout pour la Francele rapport de la sénatrice Hélène Conway-Mouret représentant les Français établis hors de France (juillet 2015) qui souligne dès son introduction les caricatures concernant les Français de l’étranger (ce rapport est très intéressant au passage, j’espère juste que Madame la Sénatrice écrira un de ces jours un second volet sur ces Français qui ne reviennent pas, et comment simplifier leurs démarches administratives) :

Je constate aussi en lisant la presse que le vocabulaire pour décrire ces migrations est négatif. En effet, il s’agit presque toujours de “fuite” ou “d’exil”. Les études ou sondages réalisés portent quant à eux sur l’évaluation de “l’hémorragie” ou sur “l’exil des forces vives” (commission d’enquête demandée par l’UMP en 2014). Cela sous-entend que les Français sont forcés à quitter la France. Cette contrevérité est terrible car, au prix d’un éclatement de la communauté nationale, elle accrédite l’idée chez nos compatriotes métropolitains que les Français établis hors de France sont des privilégiés. Elle nie également, pour ces derniers, le mérite d’une démarche qui au contraire atteste de ce que la France s’inscrit dans le monde, y est reconnue.

Et ce rapport est une claque anti-#REVIENSLEON, explicitant bien que nous sommes passés d’une ère de l’expatriation à celle de la mobilité, que la génération de Français européens “repousse les frontières de la France”.

En passant j’ai l’impression tout de même encore une fois que certains journalistes essaient de faire du sensationnalisme, avec le titre de l’écho dans LePetitJournal.com : “HELENE CONWAY-MOURET – « Le retour, une problématique permanente pour tous les expatriés »” – pas tous, peut-être 50 %…

Certes #REVIENSLEON complète son état des lieux avec un sondage Ipsos sur les Français résidant à l’étranger dont les résultats montrent que :

– 38% des Français partent pour donner une nouvelle impulsion à leur vie professionnelle,
– près de 50% sont partis depuis au moins 6 ans, et ont un contrat de travail local et non détaché d’une entreprise française,
– la moitié seulement pense rentrer vivre en France un jour, et ils sont 15% à en avoir la certitude,
– 88% d’entre eux estiment contribuer au rayonnement et à la promotion de la culture française en vivant à l’étranger.

Mais au lieu d’en tirer une logique cohérente, #REVIENSLEON veut contribuer à “lever les inquiétudes” quand à un retour en France, pour ces 42% d’expatriés qui pourraient en souffrir…

Au final, comme de nombreux partis politiques, #REVIENSLEON est là pour manipuler les inquiétudes, vivre de la peur. Or “La peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine… mène à la souffrance.” – plus que quelques jours pour réviser !

J’ajoute que lorsque je consulte les fiches pratiques sur #REVIENSLEON, je ne peux m’empêcher de penser à tous ces psychologues pour ex-expatriés, ceux qui reçoivent ces Français dont la vie a été “éprouvante” parce qu’ils ne pouvaient pas trouver dans les super marchés de leurs pays d’expatriation les produits français…
Vous voyez, je me suis occupé en famille de toutes les démarches pour partir à l’étranger dans un pays dont je ne parlais pas la langue, ce n’est pas pour me sentir perdu lors d’un retour hypothétique dans un pays où je la parle…
Du coup tu commences un peu à douter du côté “brillant” des expatriés qu’ils veulent faire revenir…

Revenons à nos moutons. Ou plutôt, à nos vaches laitières bien françaises.

L’excellente étude de mondissimo.com « Expatriés, votre vie nous intéresse… » – Vague 10 nous apprend donc que “40 % des Français travaillant à l’étranger ne veulent pas revenir en France”. Mais aussi que :

– en 10 ans de 2003 à 2013, le pourcentage d’expatriés “dorés” (détachés ou expatriés par une entreprise / administration / organisation gouvernementale ou non / association) a été divisé par 2 ;
– en revanche, le nombre de créateurs d’entreprise / commerçants / professions libérales a lui été multiplié par 2 ;
– toujours plus d’expatriés prévoient de rester au moins 10 ans à l’étranger (je pense qu’on doit être proche des 3/4 maintenant), et dans les faits y restent de plus en plus longtemps ;
– seulement 19 % des expatriés le sont en Amérique du Nord, 33 % en Europe ;
– la situation du conjoint qui ne travaille pas (souvent associée aux expats “dorés”) est de moins en moins courante, car le nombre de conjoints travaillent dans une autre entreprise étrangère est grandissant ;
– en revanche, si entre 2005 et 2008 les raisons positives à l’expatriation progressaient (intérêt professionnel que cela soit mission ou salaire, apprentissage de langues étrangères, enrichissement culturel), depuis 2013 il s’agit clairement de quitter la France.

Pourquoi les français s’expatrient, et pourquoi ne reviennent-ils pas ?
Ils s’expatrient :
– déjà parce que les frontières s’évanouissent, grâce aux compagnies aériennes à bas coup, grâce à Internet, etc. ;
– pour découvrir d’autres cultures, pour rencontrer tout court ;
– pour changer de cadre professionnel, pour plus de diversités, pour expérimenter les mélanges de pratiques.
Ils ne rentrent pas :
– car ils ont compris que les pays étaient dorénavant distribués ;
– et de plus en plus souvent, pour toutes les expériences positives évoquées, mais aussi par qu’ils ont trouvé la tranquillité, plus de sécurité, et peut-être des pays moins liberticides que la France de 2015 et son état d’urgence, plongeant un pays décliniste dans la division.

Mon expérience personnelle en tant qu’expatrié en Europe centrale

Bon, après avoir écrit tout ça, tu te dis qu’H4, cela mène un peu à tout, de Frédéric à Emmanuel, en passant par mes anciens potes de galère Fabrice et Alexandre – bref, vous l’aurez compris, il me manque encore un article dans la Wikipedia pour combler ma vie 😛

Déjà, le discours #REVIENSLEON me renvoie à l’époque où j’avais plutôt le droit à des #CASSETOIPAUVCON en série – cela à l’air d’être une expression très utilisée dans les sphères de pouvoir françaises…
Je me suis en effet posé la question de quitter le pays peu de temps après avoir mis en suspens mes études/recherches à l’université. À cette époque où, alors que j’étais en discussions pour un poste chez Google à l’étranger (et dans d’autres fleurons étrangers), l’un des “concurrents” de Google en France m’avait sorti que je n’avais “aucune expérience” – alors que je programmais depuis l’âge de 5 ans, que j’avais eu de multiples expériences professionnelles dans les 10 années précédentes, que je sortais du top de ma promo EPITA, que j’avais également un Master pluridisciplinaire rare, que j’avais enseigné pendant de nombreuses années et aussi écrit un best-seller en informatique, et que je venais d’éclater les connaissances en ingénierie des données d’un de leur directeur technique local, et celles en IA distribuée de leur directeur technique national. Et encore, moi j’avais la “chance” d’être caucasien…
Bref, je ne peux que m’associer au ressenti de ces jeunes ingénieurs en France qui vont penser que les entreprises françaises ne veulent pas d’eux, pas maintenant : quel que soit ton niveau, même aussi brillant sois-tu, tu seras toujours de la merde pour la plupart des employeurs, un numéro.

Ensuite au risque de me répéter, l’idée de la “Team France” me paraît complètement non séculaire, encore plus ici à Prague, un des centres de l’Europe. Dans cette ville, grande capitale européenne.

Petite précision pour toi, lecteur francophone peut-être Français, pas forcément connaisseur de l’Europe centrale et orientale : cela fait des années que Prague (République tchèque) et Bratislava (République slovaque) apparaissent dans les classements des régions les plus riches d’Europe : London à la 1ère place, Bratislava à la 6e, Paris à la 8e, Prague à la 9e – mais Prague finira bien par passer devant Paris (région) dans les années qui viennent. Prague, capitale du royaume de Bohème au sein du Saint-Empire romain germanique, de la province de Bohème au sein de l’Empire d’Autriche puis austro-hongrois, avant de devenir capitale de la Tchécoslovaquie puis de la République tchèque.
De France, on voit souvent le Bénélux relié à Paris et à Londres comme un énorme pôle européen. Mais c’est oublier qu’à l’autre bout de l’Europe, au travers d’un réseau toujours en formation, se développe une nouvelle région des start-ups de “la Tech” : Berlin (Allemagne), Varsovie & Cracovie (Pologne), Prague & Brno (Tchéquie), Bratislava (Slovaquie), Vienne (Autriche), Budapest (Hongrie), Cluj-Napoca & Bucharest (Roumanie), Sofia (Bulgarie)…

Ici en milieu professionnel, on travaille joyeusement avec de nombreuses nationalités : des tchèques et des slovaques bien sûr, des polonais et des ukrainiens, des américains et des russes, etc. – c’est l’Auberge espagnol en milieu professionnel. Mais c’est normal, rien de spécial. Je n’ai jamais vécu cela dans les entreprises françaises pour lesquelles j’ai travaillées, et ce n’est le cas d’aucune de mes connaissances en métropole. Ici les projets informatiques sont souvent à ambition internationale car le marché local est minuscule. En outre, et c’est un gros plus, les services resources humaines sont habitués à recruter des étrangers, et relativement au fait des problèmes de visas.

Ceci vient en écho avec une remarque d’un membre #REVIENSLEON :

l’initiative «Reviens Léon» est l’illustration du malaise des recruteurs français, qui peinent à trouver des profils internationaux. De fait, «la France a un complexe d’infériorité quand il s’agit d’aller recruter à l’étranger», note Ping-Ki Houang, le directeur général du site de vente en ligne Showroomprive.com

Tellement vrai : je ne suis jamais contacté par des start-ups françaises, jamais. En revanche, je reçois des propositions du reste du monde : USA (ingénieur backend senior chez Amazon, idem chez un partenaire Netflix), Irlande (spécialiste des moteurs de recherche chez Dell), Dubai (directeur R&D), et de nombreuses autres startups ailleurs en Europe notamment dans la FinTech… – mais jamais rien venant de France…

Alors quand je lis :

Aujourd’hui, ces talents peuvent revenir en France, car la France est prête à les accueillir.

Il faudrait peut-être déjà que “la France” apprenne qu’il y a d’autres pays au-delà de ses frontières.

Le cadre de vie

Alors j’ai beaucoup critiqué la peur du retour évoqué par #REVIENSLEON. Je dois avouer que j’ai une peur, oui, à m’imaginer travailler à nouveau en France : l’apparente impossibilité pour les start-ups de l’Hexagone à valoriser toutes les compétence multi-culturelles chèrement acquises ; peur de me retrouver comme tous ces expatriés revenant en France et donc la carrière à l’étranger est juste considérée comme une parenthèse qui doit se refermer – c’est par exemple l’avis exprimé dans un article de Rude Baguette (qui traite des expatriations dorées, mais le raisonnement s’applique au final aux autres cas).

Et puis le problème insoluble pour ceux qui comme moi travaillent à Prague, Budapest ou autre ville d’exception : aucune start-up du programme #REVIENSLEON ne peut nous faire revenir en France et nous assurer le même niveau de vie.

Petite démonstration.

À Prague un bon ingénieur senior peu espérer un salaire brut entre 75000 CZK et 125000 CZK (cela peut monter plus haut en prenant des responsabilités exécutives), ce qui fait entre 53745 CZK (1985 €) et 87487 CZK (3235 €) de salaire net *après impôts*, ce qui correspond en France à un salaire annuel brut entre 30935 € et 50410 € *avant impôts* – bon déjà quand tu vois toutes ces start-ups françaises qui pensent recruter à 35000 € des profils senior, elles se mettent un peu le doigt dans l’œil…
Mais ces salaires doivent être modulés du coût de la vie, le ratio étant de 2,20 entre Prague et Paris en faveur de Prague, si l’on suit NomadList qui donne souvent des ordres de grandeur corrects. La conséquence est qu’un ingénieur senior payé 50410 € à Prague devra gagner 110902 € à Paris s’il veut disposer du même niveau de vie (et en France il faudra prendre en compte les impôts en plus).
Encore une fois, aucune des start-ups du programme #REVIENSLEON n’a à ma connaissance les ressources pour proposer ce genre de salaires à des ingénieurs seniors, même des expatriés ; en outre dans ces calculs je ne valorise pas l’expérience internationale, donc il faudrait s’imaginer des salaires encore supérieurs.
En revanche le ratio est de 2,17 entre San Francisco et Paris en faveur de Paris, et 1,40 entre London et Paris en faveur de Paris : vous comprenez donc pourquoi #REVIENSLEON peut se permettre de faire revenir des ingénieurs anglo-saxons : ils sont cheap. Mais jamais ils n’auront le niveau de vie que nous ingénieurs expatriés avons en Europe centrale et orientale.
Exprimé différemment : pour un ingénieur praguois, migrer à Paris sans modulation de salaire, c’est comme pour un ingénieur parisien migrer à San Francisco en conservant le sien…

Et ce ne sont que des données. Elles ne prennent pas en compte la coloration locale.

Par exemple, je vois la scolarisation et les activités extra-scolaires de mon fils : à 4 ans à l’école maternelle, il faisait déjà de l’escalade et de la natation avec l’école ; maintenant en classe préparatoire primaire renforcée en tchèque et mathématiques (système public tchèque), il fait du badmington et du unihockey, de la céramique et de la flûte à bec, sans compter les activités au Lego Education Center de Prague ; plus le fait de parler tchèque et français, et de commencer l’anglais l’année prochaine – ce n’est pas le système français qui va garantir un trilinguisme à la fin de l’école primaire. Et tout cela pour un faible investissement financier – je n’ose m’imaginer ce qu’il faudrait débourser en France à une école privée pour qu’il bénéficie de tout ça.

Je pense aussi à la vie le week-end et la nuit : à Prague, je peux faire mes courses le week-end normalement, et en semaine jusqu’à 22h-24h sans problème ; je peux trouver un fast-food italien ou mexicain ouvert après minuit si j’ai un petit creux ; je peux prendre un tram de nuit toutes les 15 min ; je peux discuter de mes projets dans des bars sympathiques jusqu’au bout de la nuit, et parfois même y manger jusqu’au milieu de la nuit. Tout ceci est à l’image de la vie en Europe centrale : bouillonnante. Essayez pour voir à Paris…

Bref, #REVIENSLEON, les données sont là, la guerre des retours (au moins non- anglo-saxons) me semble déjà perdue.

La seule solution à mon avis serait pour ces start-ups d’accepter de recruter des ingénieurs en travail à distance (et asynchrone de surcroît) – j’y reviendrai dans un autre billet.
Des entreprises françaises qui contacteraient des ingénieurs senior talentueux à Prague pour les payer entre 50000 € et 75000 €, cela serait apprécié – j’ai encore un peu d’espoir…
Mais même dans ce cas, la bataille va être de plus en plus difficile : beaucoup d’entreprises américaines se sont déjà engouffrées sur la route du recrutement de travailleurs à distance. Buffer par exemple paie un ingénieur senior nomade basé à Paris un salaire brut annuel de $97,768 soit 89830 € – j’ai ici encore du mal à voir comment une entreprise française pourrait facilement s’aligner…
Il reste néanmoins toujours la solution de recruter plus de technomades, qui voyagent dans des pays à bas coût, et pour lesquels un salaire d’ingénieur senior français est tout à fait suffisant pour profiter de la vie.

Note de fin

La conclusion est alors limpide : le national-entrepreneuriat est encore une de ces idées dont on se serait bien passé pour ne pas avoir l’air ridicule à l’étranger. Dans un monde glocalisé, l’avenir déjà présent, c’est le liminal-entrepreneuriat!

Si vous voulez discuter de tous ces sujets polémiques, vous pouvez venir à Prague et trinquer avec moi et d’autres membres #Hospoda42, ou me rencontrer lors de mes déplacements, notamment à Paris.


Jean-Philippe

L’ère regrettée des dinoblogueurs

Où j’ai découvert que je n’écrivais pas seulement pour chauffer les câbles

Dans un billet vieux de plus de 5 ans, “Gimme back the 2000-2005 blogs !“, vint4ge criait son désarroi, “Je n’apprécie plus de lire des blogs.”, en expliquant qu’il lui était dorénavant difficile de trouver en ligne des lectures stimulantes, et que les mises à jour des blogs qu’il avait l’habitude de lire devenaient selon lui trop irrégulières.

Il définissait aussi un certain nombre de traits caractéristiques des blogs de la “grande époque” :
– actualisation très régulière (jusqu’à plusieurs fois par jour) ;
– longueur conséquente des billets ;
– intimité romancée ;
– sérialisation : un peu comme une histoire sans fin.

Je vais revenir plus loin sur ces différents points, mais commençons d’abord par me projeter dans cette histoire.

J’avais appris l’existence de Jules/vint4ge lorsqu’il m’avait contacté au début d’août 2009 pour me faire part d’une pétition qu’il avait mise en place sur lapetition.be, “Pour le retour de Cramoisi et Contingences” – apparemment je n’étais pas le seul triste du retrait de Cramoisi et de son blog, Contingences (c’est bon, vous suivez ?).

Je découvrais aussi que vint4ge m’avais mentionné quelques jours auparavant dans son billet “Lectures de remplacement” :

Ils n’écrivent plus alors je fouille les archives : jpl.name et iokanaan

Cela m’avait beaucoup touché – “oh putain oh putain, je manque à quelqu’un !!” – et m’étais fendu d’un commentaire ; j’y annonçait un retour pour la fin de l’été 2009, retour qui n’est jamais advenu.

Cramoisi, la blogosphère francophone, le reste

Il y a encore quelques jours de cela, Axel me demandait : “mais au fait, c’est qui ce Cramoisi que tu mentionnes tout le temps ?” – un belge qui ne connait pas Cramoisi, ça existe ?


Seb Cramoisi, c’était l’anti-lifestyle design : on avait toujours l’impression qu’il écrivait sa vie dans l’instant, sans la concevoir dans une perspective future, que celle-ci venait imprégner le papier qu’il noircissait ; et étant apparemment souvent en manque de papier, il se voyait parfois obligé d’emprunter la peau de demoiselles. Ou peut-être était-ce ce qu’il aimait à nous laisser croire, car comme il l’avait mentionné dans un billet (dont je m’étais fait l’écho ici) :

Le vrai but du blogueur devrait être, avant tout, celui de rendre sa vie blogable.

Comme beaucoup d’autres lecteurs amoureux de l’intelligence des mots, j’étais un admirateur de ses billets – irréguliers dans mes souvenirs – qu’il m’était parfois arrivé d’évoquer sur mon ancien blog.
Cramoisi, c’était aussi un pousse-au-crime de l’écriture, dont les supplices verbeux s’imprégnaient lentement en vous, en moi : au travers des “immobilismes et mouvements“, entraînant une “immunité contre le bonheur“, parfois “quelques mots“, poussant à une “instanciation de nos rêves sur les méandres de la réalité“, à partir de “ces mots qui voudraient exister en dehors de la prison qu’on leur impose“, évoquant parfois des “non-souvenirs d’une vie d’anti-débauche “, contre “décapitation du passé, renoncement au présent et condamnation à un futur imaginaire“…

J’ai l’impression de courir après mes caprices parfois, enfin non, je devrais dire : tout le temps. Plus précisément, ça doit se situer entre caprice, nonchalance, fainéantise, détournement de futur mineur, espoir d’avenir majeur.

– Celle-là, elle est de moi – j’en suis un peu fier.

Cramoisi, il lisait beaucoup ; ou du moins il avait souvent un livre à la main.
Cramoisi, il agençait des concepts intéressants – méta-hétérotopie!
Cramoisi, il écrivait bien, sur n’importe quel support (donc)…
Cramoisi, il avait des potes sympas (Christophe Géradon, etc.).
Cramoisi, il avait des copines, et donnait même l’impression de posséder un harem dévoué.
Cramoisi, il buvait, aussi – de la bière belge ?
Bref, Cramoisi nous caressait avec ses notes de vie, d’une vie que parfois nous aurions tous aimé expérimenter, nous, ses lecteurs perdus mais assidus.

Or voilà, Cramoisi s’est éclipsé, puis les archives se sont taris.

Je ne sais pas pourquoi :
Peut-être l’image que renvoyait son blog ne correspondait-elle pas à la carrière à laquelle il aspirait ? J’en doute un peu, même si c’est un problème que j’ai un peu rencontré.
Peut-être l’envie de passer à autre chose, à un autre, de tourner la page, de faire table-rase ?
Peut-être tout simplement la lassitude.
Ou plutôt.
La nonchalance.

Vu de ma banlieue parisienne, Cramoisi, c’était aussi l’épicentre d’un vaste réseau de blogueurs nous abreuvant d’une intimité romancée, avec des noms bizarres presque sortis de contes de fée, comme la “Princesse Clope au Bec”.

La blogosphère francophone/belge avait ainsi perdu son anti-hérault.

Du coup voilà vint4ge qui lançait sa pétition, dont on peut encore trouver de nos jours le contexte dans un commentaire déposé mi août 2009 sur le billet “Sauvez Cramoisi” d’artypop :

Pour la petite histoire : l’an dernier il a écrit un livre ([DESCARTES ENTRE FOUCAULT ET DERRIDA : La folie dans la Première Méditation]) et il avait promis de réouvrir son blog s’il en vendait 502 exemplaires. Evidemment il savait que ce chiffre ne serait pas atteint. Il en a vendu 156 exemplaires et m’a donc défié de récolter 156 signatures pour revenir écrire …

(D’ailleurs fait super étrange, dans un autre commentaire sur le même site, vint4ge mentionne un “Nef”, qui est l’un de mes short nicknames ; je me demande si c’est de moi dont il s’agissait.)

L’absence de retour de Cramoisi laisse à penser que la pétition n’avait en son temps pas atteint ses objectifs…

vint4ge est resté gentiment obsédé par Cramoisi (un peu comme moi), le mentionnant de temps en temps sur Twitter, ou lui offrant même une place de choix dans les résultats de recherches sur son blog:
"Ces termes de recherche vous ont amenés ici : « cramoisi contingences » : rien de neuf à son sujet ici, pourquoi vous ne lui envoyez pas un mail ?"

Mais c’est Géradon qui à ce jour en parle le plus, toujours sur Twitter. Et au final on en vient à se demander si Cramoisi n’est pas une création de Géradon, son ami imaginaire…

Cramoisi avait donc marqué les esprits, et des années après, son souvenir est impérissable.

Cramoisi, ce "blaireau qui écrivait des poèmes sur des filles nues"

Cramoisi, anti-hérault, mais phénomène isolé ?
Non.

Certifié dinoblogueur

Dans un billet de début juin 2008, “les dinosaures des blogs“, “Mr Peer” avait lancé un concept finalement assez prémonitoire :

[…] je suggère de créer l’association des dinosaures des blogs, seule autorité compétente en la matière et capable de gérer le phénomène (et aussi compétente pour mettre hors ligne des sites, ou pour organiser des pendaisons ou lapidations publiques).
Les membres seront des blogueurs, des vrais, et surtout des vieux blogueurs qui se seront lancés au plus tard en 2002 (c’est à dire avant Loïc Le Meur).

Concept rapidement repris et précisé sur embruns.net par Laurent Gloaguen dans son billet “Labellisé dinoblogueur” :

Étant donné que Loïc Le Meur a commencé à bloguer le 29 septembre 2003, je propose d’allouer le label “Dinosaure du blogue” (ou “archéoblogueur”) à tout blogueur ayant commencé avant cette date. Il nous faudrait une plateforme collaborative afin d’élire un Conseil des sages et un Président des dinosaures des blogues, ils constitueront la HAB (Haute Autorité des Blogues) qui fera autorité sur la question.

La précédente définition fait donc de moi un “Dinosaure du blogue”, puisque j’ai commencé à bloguer le 23 février 2003 (“First post“), “218 jours avant LLM” !

Ce côté prémonitoire ; il vient du terme même, “dinoblogueurs”, comme annonçant leur probable disparition dans une extinction de masse inéluctable – de fait, en 2008, les carottes étaient déjà cuites depuis quelques temps…

Si l’on y réfléchit bien, sur le plan technologique, 2001-2006, c’était l’époque des moteurs de blog élégants, orientés texte jusqu’à leur propre nom, avec Movable Type ou TextPattern. Et même en y réfléchissant encore un peu plus, l’année charnière fut 2004 : stabilisation de Textpattern, dernières versions de la “Series 2” de Movable Type et arrivée du sieur Loïc Le Meur chez Six Apart. L’époque de l’artisanat de la fabrique des mots s’évanouissait, le business prenait le relais. 2003-2004, c’est aussi l’échec de la Social Software Alliance (dont j’ai fait parti), qui aspirait à mettre en place un Web 2.0 décentralisé mais inter-opérable, grâce à divers mécanismes qui peuvent sonner vieillots de nos jours (OPML, pingback, trackback, RSS, Atom, XMPP, etc.).
Ne vous étonnez pas au final si Facebook est apparu en 2004…

Commençait aussi à germer à la même époque dans la blogosphère anglophone le concept d’une stratification des blogueurs, comme pour leur attacher une valeur : des A-blogueurs qui généraient les idées ou étaient en contact direct avec les idées, en passant par les B-blogueurs qui les augmentaient, commentaient et diffusaient, jusqu’aux nombreux piailleurs de C-blogueurs qui ne faisaient que répéter le message originel à l’identique (je ne garantie pas l’exactitude de la classification).

En bref, en 2004, les blogueurs sont devenus des produits.

Les blogs du début des années 2000, et moi et moi et moi

J’ai toutefois envie de reposer la question : alors, pourquoi cette extinction de masse ? Pourquoi de nombreux blogueurs ont-ils décidé d’arrêter d’écrire souvent abruptement ?

Tout d’abord, life happens, comme on dit.

Moi comme la plupart des blogueurs francophones de la grande époque, nous avions la vingtaine et nous étions étudiants : du temps libre, une vie sociale plutôt riche, des échanges intellectuels constants, une soif de connaissances se matérialisant dans la quantité de livres dévorés. Et cette envie de partager, presque une pulsion : alors on s’étale, sur ce que l’on apprend, mais aussi un peu sur sa vie privée, qu’on romance quand même un peu pour la rendre plus digeste et attirante. Ceci aussi pour soi-même, pour exister un peu plus.

Et puis on grandit.
Il faut entrer dans la vie “active” – c’est certain, parce qu’avant on foutait rien…
Et puis.
Avec la vie de couple, forcément, de passer trop de temps sur son blog, c’est un peu comme dire qu’on va au bistro du coin avec ses potes tous les jours. – alcoolique des zarsélettres!
Avec la vie de famille, forcément, tu as beaucoup moins de temps.
Avec la vie au boulot dans des postes à responsabilités, forcément, tu cherches à légèrement moins t’étaler sur tes problèmes intimes.

Le contexte fait que bien rapidement, que tu le veuilles ou non, tu te poses la question du retour sur investissement d’un blog.

Je me doutais que je devais avoir quelques lecteurs au vu des statistiques du site. Néanmoins cela restait impalpable. Quasi aucun commentaire : donc peu d’échanges et de rencontres ; et les amis qui me lisaient me faisaient leurs commentaires lorsqu’ils me voyaient – le disible engouffrait le scriptible.

Alors tu commences à réfléchir à la monétisation, tu envisages de mettre des publicités – mais l’écriture de soi, à part des pubs pour du Prozac, tu vois pas qui va miser dessus…

C’est peut-être aussi pour cela que, lorsque j’ai commencé à écrire en 2008-2009 en vue de publier à nouveau en ligne, je me suis recentré sur des sujets monétisables comme l’ingénierie logicielle… et puis pouf, life happens, again.

Du coup tu te laisses happer en 2007-2008 par Twitter, et surtout endoctriné par Facebook.
Car avec les “médias sociaux”, tu peux déblatérer sans réfléchir.
Et ils ont (presque) tout compris : que tu étais un produit bien entendu, mais aussi quelles pubs te balancer à tout moment (y compris pour des sites de rencontres entre lesbiennes quand toi tu es plutôt genre hétéro).

Avec le temps, ces médiaux sociaux te font apprécier les effets scandinaves, ceux du syndrome de Stockholm.
Mais pas que.

Twitter & microblogs / Facebook & microlikes

Dans son billet de fin avril 2010, “Vieux con nostalgique toi-même !“, vint4ge avançait que, Twitter, ce sont surtout des conneries, qu’il nous rend “fainéants et abruties”. Sur la même longueur d’onde, “Elixie” (Elise Costa / @BobbyFreckles), dans son billet du même jour, “In The Good Old Days“, avançait que “depuis que les gens ont Twitter, ils n’ont plus envie d’écrire ailleurs”, en assonant elle aussi un coup sur Twitter comme pourvoyeur de fadaises en série.

Moi je vois cela plutôt sous l’angle small is beautiful : Twitter et Facebook ont compris l’ère du temps, cette accélération des communications à outrance, ce besoin de retours continuels de la génération Y. Facebook et Twitter ont donc mis en place un système de perfusion de la motivation : j’écris un peu quand je veux, cela ne me prend pas trop de temps, mais cela suffit à ce que les gens me fassent des retours (likes/favorites), ou me diffusent (retweets/reshares) ; je reçois ainsi ma dose journalière de social virtuel.

Je me dois de concéder que Twitter m’a été très bénéfique, comme d’apprendre une nouvelle manière d’écrire, sharp : faire court, faire tranchant – précis, pointu, affûté.

Cramoisi aurait également pu écrire :

Le vrai but du tweetos devrait être, avant tout, celui de rendre sa vie tweetable.

Et d’une certaine manière, c’est Twitter et Facebook qui provoquent chez moi la réapparition d’une envie d’écrire. Car ces médias sociaux, en entraînant la diffusion des idées, ont aussi contribué à leur uniformisation ; de-là l’envie retrouvée d’exprimer son point de vue, sa différence. Ou plutôt, de la motiver : comment l’envie de motivation engendre la motivation renouvelée de l’écrit.

Un retour des blogs ?

En fait les blogs intéressants n’ont jamais vraiment disparu, ils se sont juste transformés, ont recombiné leurs structures internes.

– certes l’actualisation régulière a basculé vers des formes micro, comme Twitter (ou le lifestreaming, j’y reviendrai dans un billet plus lointain) ;
– cependant pour ceux qui ont conservé leurs blogs, ils leur ont servi à développer des sujets que les formes micro ne permettent pas ;
– l’intimité romancée a été récupéré par les blogs BD, qui sont par ailleurs devenu une forme intéressante pour la monétisation ;
– la démultiplication des médias sociaux a même amplifié la sérialisation.

Il ne nous reste plus qu’à espérer que nombreux seront les blogueurs disparus de la grande époque à s’emparer de tous ces supports, à y faire leurs nouveaux nids.

Note de fin

Toutes ces évolutions sont aussi sous-tendues par la dichotomie rampante entre le Web comme réceptacle d’idées qui tout à la fois média nous en dépossède.
Les médias sociaux, pour un bénéfice maximal, voilent cette dichotomie.

On peut penser que Facebook et Twitter s’effondreront bientôt sous leur propre masse, remplacés par le Web permanent distribué que chercher à offrir de prometteurs projets comme IPFS ou Matrix.

De prochains sujets 😉

Pourquoi while42 Prague est un fork

Si vous réfléchissez bien à ce titre, en bon français, cela donne : “Pourquoi tant-que-42 Prague est un embranchement” – si c’est pas de la littérature d’anticipation, ça… ou alors une fiction SNCF 😛

La nécessaire petite histoire personnelle, forcément

Quand je suis arrivé à Prague en octobre 2008, je dois dire que je ne me suis pas trop posé la question de savoir s’il y avait d’autres informaticiens français ici – ceci pour de multiples raisons que je détaillerai dans un autre billet. Encore moins après être passé indépendant sous le régime tchèque en février 2009.
J’ai peut-être commencé à me poser des questions en avril 2012 quand Cedric Maloux (EPITA ’92 expatrié à Prague) m’a contacté via LinkedIn en évoquant d’une certaine manière que ce n’était pas banal de tomber sur un (autre) ingénieur EPITA à Prague (bon alors forcément, quand j’ai vu sa photo-tout-seul prise à Prague pour fêter les 30 ans de l’école, j’ai eu un peu de peine pour lui).
Mais c’est au final tout simplement en travaillant au jour le jour comme ingénieur français avec des informaticiens tchèques que je me suis rendu compte qu’il y avait une spécificité française, ou du moins francophone : non seulement la culture de l’ingénierie façon Grandes Écoles n’est pas répandue en République tchèque, mais aussi je sentais que j’avais souvent plus d’évidences partagées avec des tchèques ayant suivi une partie de leurs études en France qu’avec des purs produits du système scolaire tchèque (pourtant pas tant que ça éloigné du système français). Et ce n’était bien souvent pas une question de langue, mais une question de culture, de relation aux savoirs, de pratiques, de manière de travailler, de concevoir le travail d’équipe, le “travailler ensemble”.

Et de me dire : tant qu’à résider principalement à Prague, autant faire bouger les choses aussi dans mon environnement immédiat.

Technomadisme

Fervent européen, j’ai plutôt tendance à rejeter la culture de l’expatriation d’entreprise à la française et me sentir plus proche de la culture technomades (dont le porte-étendard si vous ne le connaissez pas encore est Pieter Levels @levelsio). Début 2015 j’ai ainsi commencé à m’inscrire dans cette communauté technomade, à échanger avec des nomades français souhaitant expérimenter la vie à Prague ; de fils en aiguilles je me suis mis à rencontrer d’autres personnes qui partageaient une certaine vision de l’expatriation. À la fin du printemps 2015, je m’attelais au lancement du groupe Facebook “Prague Digital Nomads“, qui continue de nos jours à vivre sa belle vie et permet à de nombreuses personnes de ne pas se sentir trop perdues en arrivant à Prague.

En parallèle, de nombreux membres de la communauté technomades, comme Pieter Levels (@levelsio) ou David Heinemeier Hansson (@dhh), s’inscrivent dans un mouvement de transformation profond du monde du travail : distribué/asynchrone, où les jeunes pousses sont auto-suffisantes. Ceux qui me connaissent savent que c’est l’un de mes chevaux de bataille.

Si la création du réseau de technomades de Prague a certes amorcé un sous-réseau d’informaticiens francophones, cela n’a pas stoppé les messages que je reçois régulièrement d’informaticiens français voulant venir travailler à Prague, ou plus généralement “partir à l’Est”.

Où cela parle de while42

Je connaissais depuis pas mal de temps l’existence du réseau while42 ; je me suis donc dit qu’il serait sympa de créer quelque chose de similaire à Prague.

Pour ceux qui ne connaissent pas (et ils sont nombreux, même au sein du groupe IONIS), while42 est une initiative née a San Francisco qui s’est donnée pour objectif de mettre en place la communauté mondiale des “ingénieurs” français. Le réseau s’étend maintenant dans plus de 50 villes/chapitres à travers le monde (?) et compte plusieurs milliers de membres. Les deux maîtres d’oeuvre de ce chantier sont Julien Barbier (@julienbarbier42) et Sylvain Kalache (@sylvainkalache) ; d’ailleurs si vous voulez revenir aux origines, vous pouvez consulter le billet “while42 – the French Tech Engineer Network” de Julien, et “42ème chapitre et d’ailleurs, que signifie “while42”?” écrit par Sylvain.

Je pense que je partage beaucoup d’analyses avec Sylvain : même intérêt professionnel pour l’automatisation, proximité de point de vue sur le rôle de l’école, vision similaire sur les expatriés, réaction comparable vis-à-vis de La French Tech et de ReviensLéon

Par exemple, je vous laisse découvrir cet extrait de son billet “Les expatriés, au service de la France?“.

Et j’en viens à mon point. Les français à l’étranger sont une chance pour la France. Un pays qui ne sait pas communiquer et ne rayonne pas à l’international est, au jour de la mondialisation, un pays mort. Les Français à l’étranger sont des passerelles vers l’expansion de la France.
Non seulement ils facilitent les flux financiers à l’international, mais c’est aussi une façon pour nous d’élargir notre savoir en ayant des français qui apprennent de nouvelles cultures, méthodes de travail différentes et peuvent les partager en revenant en France ou lorsque des Français les visitent. La diversité est une richesse! Finalement l’abondance des ingénieurs français très appréciés partout dans le monde est un gage de qualité pour le système éducatif et la force de travail française.

Voilà, c’est bien dit : les expatriés comme facilitateurs, interfaces vers d’autres cultures, richesses pour le pays, gages de qualité pour un système éducatif !

Néanmoins, plus je suivais l’actualité média des deux compères, plus de pensais qu’il existait un schisme dans nos manières de réaliser cette visionun rift entre nos terrains d’aventures.
Et cet écart est bien reflété par leurs projets successifs : les multiples projets de Sylvain et Julien semblent mettre progressivement en place une “pompe à talents” pour la Silicon Valley, alors que je suis fondamentalement convaincu que si l’on se retrousse les manches, on peut faire aussi bien et différemment de partout dans le monde (technomadisme, travail asynchrone), ou localement, par exemple en Europe centrale (Berlin, Prague, Budapest), plus au Nord (Tallinn) ou plus à l’Est (Bucarest, Sofia) – vous avez vu ce vide sur la carte while42 en Europe Centrale et Europe de l’Est ?

Petit résumé de leurs activités (je suis quand même fan, hein, les gars) :

– donc while42 (2012), qui a démarré à San Francisco ;
HNWatcher (2013), qui permet de suivre l’activité d’Hacker News – site d’information récemment devenu moins dépendant de YC Combinator, bien que toujours fortement ancré à San Francisco, même si le YC Fellowship a été lancé il y a quelques mois (mais ne parlez pas de startups en télétravail à Paul Graham) ;
TechMeUp (avril 2014), site de présentation des francophones qui “font” la tech, surtout centré sur l’Amérique du Nord et la France ;
TechMeAbroad (avril 2015), qui est principalement présenté comme un site pour trouver du travail aux USA avec sponsor du visa, même si les offres d’emplois couvrent un espace géographique bien plus large ;
HOLBERTON school (2015, September), “42 à San Francisco”.

Déjà, encore bravo, ça bouge et ça communique bien sur le mouvement, ce dont nous n’avons pas l’habitude en France 😀 Bon réseautage, bon effet boule de neige, bon effet de levier, bon storytelling

Mais voilà, quand je regarde cela de loin depuis la vieille Europe à l’Est (ou “Far East” avec nos amis bisons et aurochs), le message que je perçois c’est : heyyy les copains, venez à San Francisco, il y fait bon vivre pour nous les ingénieurs français !
Sans compter qu’à la longue ça tend à ressembler à un panier de crabes entre membres de LinkedIn/Docker/ex-Pixowl 😉

Prague n’est pas S.F.

Plus sérieusement, tout ça pour en venir au fait que le contexte n’est pas du tout le même à San Francisco qu’à Prague, et que nous n’avons pas ici autant de facteurs qui contribuent à la réussite de la Silicon Valley.

Petite parenthèse : mon point de vue est que Prague est une superbe plate-forme pour lancer une startup (vous pouvez à ce sujet consulter “Czech the tech scene” de l’accélérateur StartupYard, même si je ne suis pas totalement d’accord) – je reviendrai sur cet aspect dans un autre billet.

Tout d’abord les tchèques ne sont pas autant ouverts que les américains de prime abord (moins hypocrites ?) : cela ne favorise pas vraiment l’émulation, ni dans un cadre professionnel, ni dans des rencontres plus informelles.
Ici non plus, on ne trouve pas comme en Californie ce climat si agréable ; les températures qui descendent sous -20°C en hiver, les nuits qui commencent à 16h30 dès l’automne : tout cela ne pousse pas forcément à sortir, se rencontrer et communiquer en toutes saisons.
Heureusement, les tchèques ont la meilleure culture de la bière au monde, la pivo consommée dans des hospodas – bistros tchèques -, ce qui permet de mitiger un peu.

J’ajouterais que nombreux sont les ingénieurs locaux qui n’apprécient plus de voir ces grandes entreprises américaines exploiter la main d’oeuvre bon marché du pays, ni les gestionnaires américains incompétents débarquer à Prague, et gagner au moins 5 fois plus qu’eux juste par le fait qu’ils sont américains… et pourtant les profils techniques sont plutôt bien servis niveau salaire à Prague. En passant : les ingénieurs Français de la Silicon Valley témoignent souvent du fait qu’ils ont quitté la France car ils n’était pas aussi bien considérés que les gestionnaires – alors imaginez ce que c’est bien plus à l’Est…

Je pourrais allonger la liste, mais passons à l’action.

Hospoda42

J’ai beaucoup été influencé par les modèles de programmation distribuée, par le Small Pieces Loosely Joined, et je pense qu’on peut construire des réseaux importants où chaque nœud à une identité forte. Je préfère la liasse aux chapitres bien reliés.
Car ce n’est pas parce qu’un groupe de techos francophones va se voir labelliser [while42] que tous leurs problèmes vont se trouver résolus, ni même que la communauté va fonctionner comme sur des roulettes.

Bref, depuis le printemps 2015, j’ai bien fait une quinzaine de ch’tites réunions avec d’autres français à Prague – imaginez la quantité de bières ! – pour lancer la mécanique menant à la création d’un “while42 Prague”, sous la forme d’un gentle fork.

Le nom du projet est depuis le début “La Dernière Hospoda avant la fin du monde” (“The Hospoda at the End of the Universe”), pour rester dans la mythologie créée par Douglas Adams, omniprésente à l’EPITA et dans les autres écoles dont elle a accouché.
Ceci parce que l’hospoda, le bistro tchèque, c’est un symbole fort de l’échange convivial en République tchèque.

Les règles du cercle des 42 anonymes

Les règles sont un peu différentes de while42 :

  • 1. Pas besoin d’être français, il suffit d’être francophone : Ceci vise clairement à favoriser les échanges entre les expatriés et les locaux, dans le cadre de la langue de Molière. En outre cela permet à nos confrères d’autres contrées francophones de nous rejoindre (Bénélux, Suisse, Québec…).
  • 2. Pas besoin d’un diplôme délivré par une école française, ni d’être un ingénieur : Il suffit juste de savoir coder dans un langage de programmation et d’avoir fait ses études dans une école francophone.
  • 3. Pas besoin de vivre en continu à Prague : L’expérience a montré que les technomades francophones de passage à Prague nous aident à faire grossir notre réseau.
  • 4a. Pas de trou’du’c, vraiment : Nous aimons les débats et les échanges, mais dans une bonne ambiance. Le but n’est pas de croître aussi vite que possible, mais de créer un groupe soudé : à part les technomades, tous les futurs membres doivent préalablement rencontrer les root/toor-s.
  • 4b. Pas de foutaise : Nous n’en avons que faire des discours préformatés ; par exemple nous souhaitons découvrir ce qui se passe réellement dans les sociétés pour lesquelles des francophones travaillent, pas nous voir rabacher la version officielle.
  • 5. Pas de double pipe car certaines personnes peuvent trouver l’expression offensante (je vous laisse réfléchir au truculent “au début pour mieux se connaître, on fait une double pipe”) – nous sommes d’ailleurs toujours à la recherche d’une méthode de speed dating sympathique.

D’une certaine manière, je pense que l’idée du fork des règles était déjà dans l’esprit originel de while42, mais que personne n’a vraiment tenté l’aventure :

All the chapters have the same while42 main rules, but depending on the personalities of the managers, the needs of the members, the city/country culture, you will find that every chapter has its own personality and energy.

Les rencontres

L’idée est de monter un événement une fois par mois. Nous discutons encore des modalités.

Entre membres actuels, nous nous voyons déjà plusieurs fois par mois pour déjeuner, dîner ou prendre l’apéro.
Les événements Hospoda seront un peu plus organisés, avec : – une (ou plusieurs) présentation(s) sur des aspects techniques / de productivité / relatif à l’entreprenariat / culturels – et des photos de l’événement.

Si des sponsors souhaitant accueillir les événements Hospoda se manifestent, nous aviserons.
Un sponsor est une entreprise qui emploie des francophones, propose un espace pour accueillir les membres de l’Hospoda et les sustenter (bières et pizzas par exemple).
Les entreprises sponsors tirent profit de ces événements : elles rencontrent les talents francophones locaux dans une bonne ambiance et peuvent présenter leurs activités.
Bref, potentiels sponsors, n’hésitez pas à me contacter.

Un événement sponsorisé peut se continuer par des vagabondages dans des lieux de perdition praguois.

Nous avons plein d’autres idées pour les mois à venir.
Je travaille par exemple sur un programme d’initiation à l’informatique pour les enfants francophones de Prague, de niveau école primaire ; également sur “Prague-matique”, un site de références factuelles pour les francophones en République tchèque.
Aux dernières réunions, nous avons aussi abordé l’idée de faire de Prague ville labellisée La French Tech (même si je ne suis pas un fan du concept French Tech, cela ne m’empêcherait pas d’aider l’initiative).

Quelques liens

Nous avons une page LinkedIn, en anglais, juste pour la communication externe.

Toutes les discussions ont lieu dans notre groupe Facebook secret, ou IRL – les deux étant interdépendants, car vous ne pouvez faire partie du groupe Facebook que si vous participez aux événements IRL.

Vous pouvez aussi suivre le hashtag #Hospoda42 sur les réseaux sociaux.

Au plaisir de vous serrez la paluche lors d’une prochaine rencontre de la Dernière Hospoda avant la Fin du Monde !

Jean-Philippe @jpleboeuf
root “La Dernière Hospoda avant la fin du monde”
/ “The Hospoda at the End of the Universe”

Pourquoi ce titre, Tokens: Slices of Consciousness ?

C’est une bonne question… et je me remercie à l’en-vie de me la poser, ici, maintenant, si subrepticement – non vraiment, c’est un semblant d’imprévu intégral. Alors je voudrais remercier – ah non, c’est pas ça – la bourde!

Pourquoi “Tokens” ?

J’avais convergé sur cette idée de “Tokens” à l’époque où je tentais vainement de relancer une activité d’écriture en ligne – un “blog”, quoi, comme on disait, voire “blogue”, ou “carnet Web” pour d’autres, ou encore “e-carnet” chez un certain.
J’avais d’ailleurs publié un premier billet sur l’ancienne version de ce nouveau blog (même titre) le 11/11/2011 autour de 11:11 😉 – cet ancien billet n’est plus accessible pour le moment dans les archives, mais il devrait réapparaître dans les mois qui viennent.
En tout cas ce qui est sûr, c’est que je voulais clairement marquer un changement, entre l’ancien site jpl.name (dont les dernières entrées datent de 2005) et toute nouvelle production.
Bref, c’était il y a quelques années, et je dois bien vous concéder que je ne me souviens plus de l’étincelle magnifique qui a dû caractériser l’émergence du terme.
En tout cas, c’est certain, j’ai du me dire que ça claquait bien.

“Whip!”

Donc : “Tokens”.

J’ai toujours aimé ce mot. Protéiforme, connoté – et encore plus après un passage d’époque sur la Wikipedia…

Déjà il s’agit d’un anglicisme. Ceux qui me connaissent depuis longtemps savent que je suis un admirateur de la farouche détermination des Québécois à entretenir la langue française en tentant avec sincérité de la faire vivre à l’époque d’Internet où l’anglais et la culture anglaise grignotent tous les pans de la vieille Europe. A priori j’aurais tendance à ne pas apprécier le bougre-mot. Mais voilà, il sonne plutôt bien.
En vieil anglais, tacen, c’est un signe, un symbole, une évidence ; on peut remonter plus loin, en passant par le proto-germanique *taiknam, avec toujours cette idée de signe, jusqu’à la racine proto-indo-européenne *deik-, “montrer”. Le “token” comme pièce est lui bien plus récent, du XVIe siècle. Cela fait de “token” un mot au final lourdement européen. Toutefois, admettons-le, j’aime encore plus le mot français “jeton”, sorte de shuriken inoffensif – sauf à lancer très très fort.
“Token”, cela évoque donc pour moi d’une certaine façon un bilinguisme, français et anglais, voire même un multi-linguisme, d’autant plus renforcé par mon départ de France pour l’Europe centrale. Interprétation et inter-pénétration des cultures et langues.
— J’aurais pu ici vous offrir des jeux de mots graveleux à foison – et je dois avouer que j’en avais écrit un paragraphe plein, mais je m’abstiendrai grâce à cette retenue légendaire qui me caractérise, tout en vous donnant rendez-vous pour une prochaine série de billets très “Snow, sex, and pivo” – et oui, mon bon monsieur, ma belle madame, les blogs ont toujours dû sans remettre au sexe pour s’assurer quelques lecteurs. Mais à nouveau, je m’égare…

Ensuite bien sûr, il me faut aborder les différents sens du mot “token” dans les technologies de l’information et de la communication, et notamment dans ce domaine qui m’est proche, l’informatique. Autant le dire tout de suite, “token” est un mot un peu fourre-tout ; en fait pas tant que ça si l’on creuse jusqu’aux racines.

Un token, c’est tout d’abord un identifiant ; un token est associé à une identité. Ces tokens, ce sont de multiples identités.
Un token, c’est aussi un mot de passe, un secret. Ces tokens, ce sont des parcelles cachées exposées.

Un token, c’est certes du code, du virtuel (vertu-elle), mais aussi parfois du matériel (matière-elle) dans le cas des jetons d’authentification (par exemple ici en République tchèque, je dispose de certains comptes en banque auprès de la banque russe Sberbank qui oblige ses clients à utiliser des tokens RSA SecurID pour valider la plupart des opérations).
Un token, c’est donc le générateur d’une série synchronisée. Ces tokens, ce sont donc des générateurs d’idées qui auraient perdu leurs synchrons, des textes à l’éternel recherche de quelques lecteurs.

Bien entendu pour l’ex-étudiant en informatique, “token”, cela évoque aussi cette expression “token ring”, la topologie réseau de l’anneau à jeton : le paradigme y est celui du rond-point, valeur ô combien française, au débit généralement plus grand qu’un carrefour – ouais enfin, quand tu en comprends les règles. Le token ring nécessite ainsi une boucle, contrainte topologique : le chacun son tour qui s’entremêle avec l’éternel recommencement dans une prison des idées lié à cette topologie particulière : n’est-ce pas évocateur des blogs comme caisse de résonance, ou plutôt de raisonnance ? Cette topologie fait alors du token un “droit de transmettre”. Ces tokens, ce sont des droits à communiquer – et je compte en faire usage.

Si l’on prend un peu de distance, s’aventurant en analyse lexicale, un token est une unité. Nombreux, les tokens s’assemblent en pluralité, révèlent peut-être une syntaxe, une communauté d’organisation. Ces tokens, les uns à la suite des autres, pourront-ils signifier ?

On peut aussi penser au “jeton de présence”, le “j’y étais, j’ai témoigné”. Ces tokens, ce sont des témoignages.

Identités, secrets, générateurs de série, droits à communiquer, signes, témoignages : un token est un potentiel, un ouvroir à idées. Et de multiples tokens forment des différences de potentiels, des tensions, équivalentes à des résistances tacites croisées à des courants de conscience. Stream of Consciousness.

Un token, c’est donc une valeur, cela possède une valeur, potentielle.

Sous l’Empire britannique, un token était un disque à l’apparence de monnaie non officielle ; cette pièce avait sa valeur fixée par l’émetteur. Ces tokens, ce sont des textes dont seule importe la valeur pour leur auteur – celle que je leur attribue.
D’ailleurs au casino, les tokens sont utilisés pour miser – j’espère ne pas trop y perdre. Car c’est aussi un token que l’on peut utiliser au supermarché pour emprunter un caddy et y déposer ses merdes ^^

Enfin, il y a la connotation ethnique, le tokenisme, la représentation de la minorité. Un peu incongru, cet expatrié, The French Token, le français alibi. Et la boucle est bouclée, avec cette minorité ethnique qui fait écho à la langue française minoritaire, bien entendu dans le nouveau monde, mais aussi dans mon pays d’accueil, la République tchèque.

L’alibi, qui jette de la poudre aux yeux. Ces textes, en trompe-l’oeil. Cette présence aseptistatique, un cache-misère.

Pourquoi “Slices of Consciousness” ?

D’accord, j’ai toujours eu petit faible pour les termes comme “Stream of Consciousness”, ce flux/courant de conscience.

Peut-être certains se rappelleront-ils mon intérêt pour les “vacuités traumatiques“.
Ou d’autres auront-ils peut-être visité mon début de carnet scientifique publique dans lequel j’avais tenté de prendre quelques notes en 2004-2005, le défunt site Stignergy, dont la section blog se nommait “IdeaStream” – vous pouvez accéder à ces entrées ici, mais soyez prévenus qu’il s’agit d’un import encore non formaté.

En critique littéraire, le flux de conscience est une technique qui cherche à décrire le point de vue cognitif d’un individu, en dévoilant son processus de pensée et ses sentiments, “ce qui lui passe à l’esprit”. On peut voir cela comme une forme de monologue intérieur, à la narration souvent hachée, véhicule d’une pensée associative, discursive. – De Jean-Philippe, on peut dire qu’il est discursif.

C’est aussi un clin d’œil à Cédric, lecteur du philosophe psychologue William James, qui dans The Principles of Psychology, chapitre “The Stream of Thought” (1890), expliquait :

Consciousness, then, does not appear to itself chopped up in bits. Such words as ‘chain’ or ‘train’ do not describe it fitly as it presents itself in the first instance. It is nothing jointed; if flows. A ‘river’ or a ‘stream’ are the metaphors by which it is most naturally described. In talking of it hereafter, let us call it the stream of thought, of consciousness, or of subjective life.

Traduction personnelle :

La conscience, donc, n’apparaît pas à elle-même découpée en morceaux. Des mots comme “chaîne” ou “train” ne la décrivent pas convenablement comme elle se présente en première instance. Ce n’est pas quelque chose de joint; elle coule. Une “rivière” ou un “courant” sont les métaphores par lesquelles elle est le plus naturellement décrite. Lorsque je parlerai d’elle par la suite, appelons la “flux de pensée”, de conscience, ou de vie subjective.

Subjectivités.

Le flux de conscience, c’est aussi l’ensemble des pensées (événements, objets, émotions et expérience sensible) dont on peut avoir conscience, dont on est aware, que l’on appréhende par contuition. Le flux de conscience n’implique par forcément la compréhension car l’ensemble du flux n’a pas nécessairement le focus, c’est le sous-flux du sub-conscient.

React. Paah! Aware. ya yaah! – “Les pauvres, ils savent pas.”

“Je suis aware” ᕙ(⇀‸↼‶)ᕗ

“Stream of Consciousness” (que l’on affuble parfois du sobriquet “SoC”), à ce qu’il reste de mon audition, c’est aussi un titre instrumental de l’un des chefs d’oeuvre du groupe de métal progressif Dream Theater, Train of Thought (2003), l’un de leurs albums les plus sombres. Ainsi une évocation de ma passion pour la musique – métal \m/

Dream Theater: Live at Budokan – “Stream of Consciousness”

Alors : “train de pensée” ou “courant de conscience” ? Succession d’unités ou flux indivisé ? Disons que, en attendant de rentrer dans ces détails liés à ma thèse, j’ai choisi de domestiquer le courant en le découpant en tranches de vie, “Slices of Life”.

“Dexter: Morning Routine”

Cette référence à “Dexter” n’est pas anodine ; et pas uniquement parce que chaque épisode nous offre des extraits du flux de conscience perturbée de Dexter.

Aussi parce que je suis partisan des méta-continuités, de l’hyper-littérature aux encyclopédies de l’imaginaire, des échanges entre sciences et critique littéraire (je vous recommande vivement la revue Théorie Littérature Epistémologie), aux références pervasives à la pop culture – certains se souviendront d’une citation de JCVD que j’avais mise en exergue dans l’un de mes mémoires.

Tokens: Slices of Consciousness, c’est une machine à dévorer le monde.

P.S. : désolé pour le style de merde, c’est dur de se remettre au turbin :/