Pourquoi while42 Prague est un fork

Si vous réfléchissez bien à ce titre, en bon français, cela donne : “Pourquoi tant-que-42 Prague est un embranchement” – si c’est pas de la littérature d’anticipation, ça… ou alors une fiction SNCF 😛

La nécessaire petite histoire personnelle, forcément

Quand je suis arrivé à Prague en octobre 2008, je dois dire que je ne me suis pas trop posé la question de savoir s’il y avait d’autres informaticiens français ici – ceci pour de multiples raisons que je détaillerai dans un autre billet. Encore moins après être passé indépendant sous le régime tchèque en février 2009.
J’ai peut-être commencé à me poser des questions en avril 2012 quand Cedric Maloux (EPITA ’92 expatrié à Prague) m’a contacté via LinkedIn en évoquant d’une certaine manière que ce n’était pas banal de tomber sur un (autre) ingénieur EPITA à Prague (bon alors forcément, quand j’ai vu sa photo-tout-seul prise à Prague pour fêter les 30 ans de l’école, j’ai eu un peu de peine pour lui).
Mais c’est au final tout simplement en travaillant au jour le jour comme ingénieur français avec des informaticiens tchèques que je me suis rendu compte qu’il y avait une spécificité française, ou du moins francophone : non seulement la culture de l’ingénierie façon Grandes Écoles n’est pas répandue en République tchèque, mais aussi je sentais que j’avais souvent plus d’évidences partagées avec des tchèques ayant suivi une partie de leurs études en France qu’avec des purs produits du système scolaire tchèque (pourtant pas tant que ça éloigné du système français). Et ce n’était bien souvent pas une question de langue, mais une question de culture, de relation aux savoirs, de pratiques, de manière de travailler, de concevoir le travail d’équipe, le “travailler ensemble”.

Et de me dire : tant qu’à résider principalement à Prague, autant faire bouger les choses aussi dans mon environnement immédiat.

Technomadisme

Fervent européen, j’ai plutôt tendance à rejeter la culture de l’expatriation d’entreprise à la française et me sentir plus proche de la culture technomades (dont le porte-étendard si vous ne le connaissez pas encore est Pieter Levels @levelsio). Début 2015 j’ai ainsi commencé à m’inscrire dans cette communauté technomade, à échanger avec des nomades français souhaitant expérimenter la vie à Prague ; de fils en aiguilles je me suis mis à rencontrer d’autres personnes qui partageaient une certaine vision de l’expatriation. À la fin du printemps 2015, je m’attelais au lancement du groupe Facebook “Prague Digital Nomads“, qui continue de nos jours à vivre sa belle vie et permet à de nombreuses personnes de ne pas se sentir trop perdues en arrivant à Prague.

En parallèle, de nombreux membres de la communauté technomades, comme Pieter Levels (@levelsio) ou David Heinemeier Hansson (@dhh), s’inscrivent dans un mouvement de transformation profond du monde du travail : distribué/asynchrone, où les jeunes pousses sont auto-suffisantes. Ceux qui me connaissent savent que c’est l’un de mes chevaux de bataille.

Si la création du réseau de technomades de Prague a certes amorcé un sous-réseau d’informaticiens francophones, cela n’a pas stoppé les messages que je reçois régulièrement d’informaticiens français voulant venir travailler à Prague, ou plus généralement “partir à l’Est”.

Où cela parle de while42

Je connaissais depuis pas mal de temps l’existence du réseau while42 ; je me suis donc dit qu’il serait sympa de créer quelque chose de similaire à Prague.

Pour ceux qui ne connaissent pas (et ils sont nombreux, même au sein du groupe IONIS), while42 est une initiative née a San Francisco qui s’est donnée pour objectif de mettre en place la communauté mondiale des “ingénieurs” français. Le réseau s’étend maintenant dans plus de 50 villes/chapitres à travers le monde (?) et compte plusieurs milliers de membres. Les deux maîtres d’oeuvre de ce chantier sont Julien Barbier (@julienbarbier42) et Sylvain Kalache (@sylvainkalache) ; d’ailleurs si vous voulez revenir aux origines, vous pouvez consulter le billet “while42 – the French Tech Engineer Network” de Julien, et “42ème chapitre et d’ailleurs, que signifie “while42”?” écrit par Sylvain.

Je pense que je partage beaucoup d’analyses avec Sylvain : même intérêt professionnel pour l’automatisation, proximité de point de vue sur le rôle de l’école, vision similaire sur les expatriés, réaction comparable vis-à-vis de La French Tech et de ReviensLéon

Par exemple, je vous laisse découvrir cet extrait de son billet “Les expatriés, au service de la France?“.

Et j’en viens à mon point. Les français à l’étranger sont une chance pour la France. Un pays qui ne sait pas communiquer et ne rayonne pas à l’international est, au jour de la mondialisation, un pays mort. Les Français à l’étranger sont des passerelles vers l’expansion de la France.
Non seulement ils facilitent les flux financiers à l’international, mais c’est aussi une façon pour nous d’élargir notre savoir en ayant des français qui apprennent de nouvelles cultures, méthodes de travail différentes et peuvent les partager en revenant en France ou lorsque des Français les visitent. La diversité est une richesse! Finalement l’abondance des ingénieurs français très appréciés partout dans le monde est un gage de qualité pour le système éducatif et la force de travail française.

Voilà, c’est bien dit : les expatriés comme facilitateurs, interfaces vers d’autres cultures, richesses pour le pays, gages de qualité pour un système éducatif !

Néanmoins, plus je suivais l’actualité média des deux compères, plus de pensais qu’il existait un schisme dans nos manières de réaliser cette visionun rift entre nos terrains d’aventures.
Et cet écart est bien reflété par leurs projets successifs : les multiples projets de Sylvain et Julien semblent mettre progressivement en place une “pompe à talents” pour la Silicon Valley, alors que je suis fondamentalement convaincu que si l’on se retrousse les manches, on peut faire aussi bien et différemment de partout dans le monde (technomadisme, travail asynchrone), ou localement, par exemple en Europe centrale (Berlin, Prague, Budapest), plus au Nord (Tallinn) ou plus à l’Est (Bucarest, Sofia) – vous avez vu ce vide sur la carte while42 en Europe Centrale et Europe de l’Est ?

Petit résumé de leurs activités (je suis quand même fan, hein, les gars) :

– donc while42 (2012), qui a démarré à San Francisco ;
HNWatcher (2013), qui permet de suivre l’activité d’Hacker News – site d’information récemment devenu moins dépendant de YC Combinator, bien que toujours fortement ancré à San Francisco, même si le YC Fellowship a été lancé il y a quelques mois (mais ne parlez pas de startups en télétravail à Paul Graham) ;
TechMeUp (avril 2014), site de présentation des francophones qui “font” la tech, surtout centré sur l’Amérique du Nord et la France ;
TechMeAbroad (avril 2015), qui est principalement présenté comme un site pour trouver du travail aux USA avec sponsor du visa, même si les offres d’emplois couvrent un espace géographique bien plus large ;
HOLBERTON school (2015, September), “42 à San Francisco”.

Déjà, encore bravo, ça bouge et ça communique bien sur le mouvement, ce dont nous n’avons pas l’habitude en France 😀 Bon réseautage, bon effet boule de neige, bon effet de levier, bon storytelling

Mais voilà, quand je regarde cela de loin depuis la vieille Europe à l’Est (ou “Far East” avec nos amis bisons et aurochs), le message que je perçois c’est : heyyy les copains, venez à San Francisco, il y fait bon vivre pour nous les ingénieurs français !
Sans compter qu’à la longue ça tend à ressembler à un panier de crabes entre membres de LinkedIn/Docker/ex-Pixowl 😉

Prague n’est pas S.F.

Plus sérieusement, tout ça pour en venir au fait que le contexte n’est pas du tout le même à San Francisco qu’à Prague, et que nous n’avons pas ici autant de facteurs qui contribuent à la réussite de la Silicon Valley.

Petite parenthèse : mon point de vue est que Prague est une superbe plate-forme pour lancer une startup (vous pouvez à ce sujet consulter “Czech the tech scene” de l’accélérateur StartupYard, même si je ne suis pas totalement d’accord) – je reviendrai sur cet aspect dans un autre billet.

Tout d’abord les tchèques ne sont pas autant ouverts que les américains de prime abord (moins hypocrites ?) : cela ne favorise pas vraiment l’émulation, ni dans un cadre professionnel, ni dans des rencontres plus informelles.
Ici non plus, on ne trouve pas comme en Californie ce climat si agréable ; les températures qui descendent sous -20°C en hiver, les nuits qui commencent à 16h30 dès l’automne : tout cela ne pousse pas forcément à sortir, se rencontrer et communiquer en toutes saisons.
Heureusement, les tchèques ont la meilleure culture de la bière au monde, la pivo consommée dans des hospodas – bistros tchèques -, ce qui permet de mitiger un peu.

J’ajouterais que nombreux sont les ingénieurs locaux qui n’apprécient plus de voir ces grandes entreprises américaines exploiter la main d’oeuvre bon marché du pays, ni les gestionnaires américains incompétents débarquer à Prague, et gagner au moins 5 fois plus qu’eux juste par le fait qu’ils sont américains… et pourtant les profils techniques sont plutôt bien servis niveau salaire à Prague. En passant : les ingénieurs Français de la Silicon Valley témoignent souvent du fait qu’ils ont quitté la France car ils n’était pas aussi bien considérés que les gestionnaires – alors imaginez ce que c’est bien plus à l’Est…

Je pourrais allonger la liste, mais passons à l’action.

Hospoda42

J’ai beaucoup été influencé par les modèles de programmation distribuée, par le Small Pieces Loosely Joined, et je pense qu’on peut construire des réseaux importants où chaque nœud à une identité forte. Je préfère la liasse aux chapitres bien reliés.
Car ce n’est pas parce qu’un groupe de techos francophones va se voir labelliser [while42] que tous leurs problèmes vont se trouver résolus, ni même que la communauté va fonctionner comme sur des roulettes.

Bref, depuis le printemps 2015, j’ai bien fait une quinzaine de ch’tites réunions avec d’autres français à Prague – imaginez la quantité de bières ! – pour lancer la mécanique menant à la création d’un “while42 Prague”, sous la forme d’un gentle fork.

Le nom du projet est depuis le début “La Dernière Hospoda avant la fin du monde” (“The Hospoda at the End of the Universe”), pour rester dans la mythologie créée par Douglas Adams, omniprésente à l’EPITA et dans les autres écoles dont elle a accouché.
Ceci parce que l’hospoda, le bistro tchèque, c’est un symbole fort de l’échange convivial en République tchèque.

Les règles du cercle des 42 anonymes

Les règles sont un peu différentes de while42 :

  • 1. Pas besoin d’être français, il suffit d’être francophone : Ceci vise clairement à favoriser les échanges entre les expatriés et les locaux, dans le cadre de la langue de Molière. En outre cela permet à nos confrères d’autres contrées francophones de nous rejoindre (Bénélux, Suisse, Québec…).
  • 2. Pas besoin d’un diplôme délivré par une école française, ni d’être un ingénieur : Il suffit juste de savoir coder dans un langage de programmation et d’avoir fait ses études dans une école francophone.
  • 3. Pas besoin de vivre en continu à Prague : L’expérience a montré que les technomades francophones de passage à Prague nous aident à faire grossir notre réseau.
  • 4a. Pas de trou’du’c, vraiment : Nous aimons les débats et les échanges, mais dans une bonne ambiance. Le but n’est pas de croître aussi vite que possible, mais de créer un groupe soudé : à part les technomades, tous les futurs membres doivent préalablement rencontrer les root/toor-s.
  • 4b. Pas de foutaise : Nous n’en avons que faire des discours préformatés ; par exemple nous souhaitons découvrir ce qui se passe réellement dans les sociétés pour lesquelles des francophones travaillent, pas nous voir rabacher la version officielle.
  • 5. Pas de double pipe car certaines personnes peuvent trouver l’expression offensante (je vous laisse réfléchir au truculent “au début pour mieux se connaître, on fait une double pipe”) – nous sommes d’ailleurs toujours à la recherche d’une méthode de speed dating sympathique.

D’une certaine manière, je pense que l’idée du fork des règles était déjà dans l’esprit originel de while42, mais que personne n’a vraiment tenté l’aventure :

All the chapters have the same while42 main rules, but depending on the personalities of the managers, the needs of the members, the city/country culture, you will find that every chapter has its own personality and energy.

Les rencontres

L’idée est de monter un événement une fois par mois. Nous discutons encore des modalités.

Entre membres actuels, nous nous voyons déjà plusieurs fois par mois pour déjeuner, dîner ou prendre l’apéro.
Les événements Hospoda seront un peu plus organisés, avec : – une (ou plusieurs) présentation(s) sur des aspects techniques / de productivité / relatif à l’entreprenariat / culturels – et des photos de l’événement.

Si des sponsors souhaitant accueillir les événements Hospoda se manifestent, nous aviserons.
Un sponsor est une entreprise qui emploie des francophones, propose un espace pour accueillir les membres de l’Hospoda et les sustenter (bières et pizzas par exemple).
Les entreprises sponsors tirent profit de ces événements : elles rencontrent les talents francophones locaux dans une bonne ambiance et peuvent présenter leurs activités.
Bref, potentiels sponsors, n’hésitez pas à me contacter.

Un événement sponsorisé peut se continuer par des vagabondages dans des lieux de perdition praguois.

Nous avons plein d’autres idées pour les mois à venir.
Je travaille par exemple sur un programme d’initiation à l’informatique pour les enfants francophones de Prague, de niveau école primaire ; également sur “Prague-matique”, un site de références factuelles pour les francophones en République tchèque.
Aux dernières réunions, nous avons aussi abordé l’idée de faire de Prague ville labellisée La French Tech (même si je ne suis pas un fan du concept French Tech, cela ne m’empêcherait pas d’aider l’initiative).

Quelques liens

Nous avons une page LinkedIn, en anglais, juste pour la communication externe.

Toutes les discussions ont lieu dans notre groupe Facebook secret, ou IRL – les deux étant interdépendants, car vous ne pouvez faire partie du groupe Facebook que si vous participez aux événements IRL.

Vous pouvez aussi suivre le hashtag #Hospoda42 sur les réseaux sociaux.

Au plaisir de vous serrez la paluche lors d’une prochaine rencontre de la Dernière Hospoda avant la Fin du Monde !

Jean-Philippe @jpleboeuf
root “La Dernière Hospoda avant la fin du monde”
/ “The Hospoda at the End of the Universe”

3 thoughts on “Pourquoi while42 Prague est un fork

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