C’est une bonne question… et je me remercie à l’en-vie de me la poser, ici, maintenant, si subrepticement – non vraiment, c’est un semblant d’imprévu intégral. Alors je voudrais remercier – ah non, c’est pas ça – la bourde!
Pourquoi “Tokens” ?
J’avais convergé sur cette idée de “Tokens” à l’époque où je tentais vainement de relancer une activité d’écriture en ligne – un “blog”, quoi, comme on disait, voire “blogue”, ou “carnet Web” pour d’autres, ou encore “e-carnet” chez un certain.
J’avais d’ailleurs publié un premier billet sur l’ancienne version de ce nouveau blog (même titre) le 11/11/2011 autour de 11:11 😉 – cet ancien billet n’est plus accessible pour le moment dans les archives, mais il devrait réapparaître dans les mois qui viennent.
En tout cas ce qui est sûr, c’est que je voulais clairement marquer un changement, entre l’ancien site jpl.name (dont les dernières entrées datent de 2005) et toute nouvelle production.
Bref, c’était il y a quelques années, et je dois bien vous concéder que je ne me souviens plus de l’étincelle magnifique qui a dû caractériser l’émergence du terme.
En tout cas, c’est certain, j’ai du me dire que ça claquait bien.
“Whip!”
Donc : “Tokens”.
J’ai toujours aimé ce mot. Protéiforme, connoté – et encore plus après un passage d’époque sur la Wikipedia…
Déjà il s’agit d’un anglicisme. Ceux qui me connaissent depuis longtemps savent que je suis un admirateur de la farouche détermination des Québécois à entretenir la langue française en tentant avec sincérité de la faire vivre à l’époque d’Internet où l’anglais et la culture anglaise grignotent tous les pans de la vieille Europe. A priori j’aurais tendance à ne pas apprécier le bougre-mot. Mais voilà, il sonne plutôt bien.
En vieil anglais, tacen, c’est un signe, un symbole, une évidence ; on peut remonter plus loin, en passant par le proto-germanique *taiknam, avec toujours cette idée de signe, jusqu’à la racine proto-indo-européenne *deik-, “montrer”. Le “token” comme pièce est lui bien plus récent, du XVIe siècle. Cela fait de “token” un mot au final lourdement européen. Toutefois, admettons-le, j’aime encore plus le mot français “jeton”, sorte de shuriken inoffensif – sauf à lancer très très fort.
“Token”, cela évoque donc pour moi d’une certaine façon un bilinguisme, français et anglais, voire même un multi-linguisme, d’autant plus renforcé par mon départ de France pour l’Europe centrale. Interprétation et inter-pénétration des cultures et langues.
— J’aurais pu ici vous offrir des jeux de mots graveleux à foison – et je dois avouer que j’en avais écrit un paragraphe plein, mais je m’abstiendrai grâce à cette retenue légendaire qui me caractérise, tout en vous donnant rendez-vous pour une prochaine série de billets très “Snow, sex, and pivo” – et oui, mon bon monsieur, ma belle madame, les blogs ont toujours dû sans remettre au sexe pour s’assurer quelques lecteurs. Mais à nouveau, je m’égare…
Ensuite bien sûr, il me faut aborder les différents sens du mot “token” dans les technologies de l’information et de la communication, et notamment dans ce domaine qui m’est proche, l’informatique. Autant le dire tout de suite, “token” est un mot un peu fourre-tout ; en fait pas tant que ça si l’on creuse jusqu’aux racines.
Un token, c’est tout d’abord un identifiant ; un token est associé à une identité. Ces tokens, ce sont de multiples identités.
Un token, c’est aussi un mot de passe, un secret. Ces tokens, ce sont des parcelles cachées exposées.
Un token, c’est certes du code, du virtuel (vertu-elle), mais aussi parfois du matériel (matière-elle) dans le cas des jetons d’authentification (par exemple ici en République tchèque, je dispose de certains comptes en banque auprès de la banque russe Sberbank qui oblige ses clients à utiliser des tokens RSA SecurID pour valider la plupart des opérations).
Un token, c’est donc le générateur d’une série synchronisée. Ces tokens, ce sont donc des générateurs d’idées qui auraient perdu leurs synchrons, des textes à l’éternel recherche de quelques lecteurs.
Bien entendu pour l’ex-étudiant en informatique, “token”, cela évoque aussi cette expression “token ring”, la topologie réseau de l’anneau à jeton : le paradigme y est celui du rond-point, valeur ô combien française, au débit généralement plus grand qu’un carrefour – ouais enfin, quand tu en comprends les règles. Le token ring nécessite ainsi une boucle, contrainte topologique : le chacun son tour qui s’entremêle avec l’éternel recommencement dans une prison des idées lié à cette topologie particulière : n’est-ce pas évocateur des blogs comme caisse de résonance, ou plutôt de raisonnance ? Cette topologie fait alors du token un “droit de transmettre”. Ces tokens, ce sont des droits à communiquer – et je compte en faire usage.
Si l’on prend un peu de distance, s’aventurant en analyse lexicale, un token est une unité. Nombreux, les tokens s’assemblent en pluralité, révèlent peut-être une syntaxe, une communauté d’organisation. Ces tokens, les uns à la suite des autres, pourront-ils signifier ?
On peut aussi penser au “jeton de présence”, le “j’y étais, j’ai témoigné”. Ces tokens, ce sont des témoignages.
Identités, secrets, générateurs de série, droits à communiquer, signes, témoignages : un token est un potentiel, un ouvroir à idées. Et de multiples tokens forment des différences de potentiels, des tensions, équivalentes à des résistances tacites croisées à des courants de conscience. Stream of Consciousness.
Un token, c’est donc une valeur, cela possède une valeur, potentielle.
Sous l’Empire britannique, un token était un disque à l’apparence de monnaie non officielle ; cette pièce avait sa valeur fixée par l’émetteur. Ces tokens, ce sont des textes dont seule importe la valeur pour leur auteur – celle que je leur attribue.
D’ailleurs au casino, les tokens sont utilisés pour miser – j’espère ne pas trop y perdre. Car c’est aussi un token que l’on peut utiliser au supermarché pour emprunter un caddy et y déposer ses merdes ^^
Enfin, il y a la connotation ethnique, le tokenisme, la représentation de la minorité. Un peu incongru, cet expatrié, The French Token, le français alibi. Et la boucle est bouclée, avec cette minorité ethnique qui fait écho à la langue française minoritaire, bien entendu dans le nouveau monde, mais aussi dans mon pays d’accueil, la République tchèque.
L’alibi, qui jette de la poudre aux yeux. Ces textes, en trompe-l’oeil. Cette présence aseptistatique, un cache-misère.
Pourquoi “Slices of Consciousness” ?
D’accord, j’ai toujours eu petit faible pour les termes comme “Stream of Consciousness”, ce flux/courant de conscience.
Peut-être certains se rappelleront-ils mon intérêt pour les “vacuités traumatiques“.
Ou d’autres auront-ils peut-être visité mon début de carnet scientifique publique dans lequel j’avais tenté de prendre quelques notes en 2004-2005, le défunt site Stignergy, dont la section blog se nommait “IdeaStream” – vous pouvez accéder à ces entrées ici, mais soyez prévenus qu’il s’agit d’un import encore non formaté.
En critique littéraire, le flux de conscience est une technique qui cherche à décrire le point de vue cognitif d’un individu, en dévoilant son processus de pensée et ses sentiments, “ce qui lui passe à l’esprit”. On peut voir cela comme une forme de monologue intérieur, à la narration souvent hachée, véhicule d’une pensée associative, discursive. – De Jean-Philippe, on peut dire qu’il est discursif.
C’est aussi un clin d’œil à Cédric, lecteur du philosophe psychologue William James, qui dans The Principles of Psychology, chapitre “The Stream of Thought” (1890), expliquait :
Consciousness, then, does not appear to itself chopped up in bits. Such words as ‘chain’ or ‘train’ do not describe it fitly as it presents itself in the first instance. It is nothing jointed; if flows. A ‘river’ or a ‘stream’ are the metaphors by which it is most naturally described. In talking of it hereafter, let us call it the stream of thought, of consciousness, or of subjective life.
Traduction personnelle :
La conscience, donc, n’apparaît pas à elle-même découpée en morceaux. Des mots comme “chaîne” ou “train” ne la décrivent pas convenablement comme elle se présente en première instance. Ce n’est pas quelque chose de joint; elle coule. Une “rivière” ou un “courant” sont les métaphores par lesquelles elle est le plus naturellement décrite. Lorsque je parlerai d’elle par la suite, appelons la “flux de pensée”, de conscience, ou de vie subjective.
Subjectivités.
Le flux de conscience, c’est aussi l’ensemble des pensées (événements, objets, émotions et expérience sensible) dont on peut avoir conscience, dont on est aware, que l’on appréhende par contuition. Le flux de conscience n’implique par forcément la compréhension car l’ensemble du flux n’a pas nécessairement le focus, c’est le sous-flux du sub-conscient.
React. Paah! Aware. ya yaah! – “Les pauvres, ils savent pas.”
“Je suis aware” ᕙ(⇀‸↼‶)ᕗ
“Stream of Consciousness” (que l’on affuble parfois du sobriquet “SoC”), à ce qu’il reste de mon audition, c’est aussi un titre instrumental de l’un des chefs d’oeuvre du groupe de métal progressif Dream Theater, Train of Thought (2003), l’un de leurs albums les plus sombres. Ainsi une évocation de ma passion pour la musique – métal \m/
Dream Theater: Live at Budokan – “Stream of Consciousness”
Alors : “train de pensée” ou “courant de conscience” ? Succession d’unités ou flux indivisé ? Disons que, en attendant de rentrer dans ces détails liés à ma thèse, j’ai choisi de domestiquer le courant en le découpant en tranches de vie, “Slices of Life”.
“Dexter: Morning Routine”
Cette référence à “Dexter” n’est pas anodine ; et pas uniquement parce que chaque épisode nous offre des extraits du flux de conscience perturbée de Dexter.
Aussi parce que je suis partisan des méta-continuités, de l’hyper-littérature aux encyclopédies de l’imaginaire, des échanges entre sciences et critique littéraire (je vous recommande vivement la revue Théorie Littérature Epistémologie), aux références pervasives à la pop culture – certains se souviendront d’une citation de JCVD que j’avais mise en exergue dans l’un de mes mémoires.
Tokens: Slices of Consciousness, c’est une machine à dévorer le monde.
P.S. : désolé pour le style de merde, c’est dur de se remettre au turbin :/