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March 23, 2005

Le parlé SMS comme apocalypse linguistique : Saussure nous rassure

À la suite de Le parlé SMS comme apocalypse linguistique :

En affirmant conjointement l'arbitraire de la langue et sa fonction de communication, les saussuriens restent d'ailleurs fidèles, en un certain sens, à l'attitude comparatiste. On se rappelle, en effet, que, pour Bopp et Schleicher, c'est la fonction de communication qui est à l'origine de l'arbitraire : du jour ou les hommes, voués au projet historique, ont considéré la langue comme un simple instrument, qui doit être utilisé avant tout avec efficacité et économie, les lois phonétiques ont commencé à éroder le système grammatical, et à détruire peu à peu l'organisation interne grâce à laquelle le mot ancien représentait l'acte de penser. Entraînant avec elle l'arbitraire, la communication a ainsi détourné la langue de sa vocation, l'empêchant de constituer un ordre analogue à celui de l'esprit. L'originalité de Saussure consiste seulement à prendre pour constitutif du langage ce que les comparatistes décrivaient comme sa dépravation. Pour lui, toute langue est, fondamentalement, un instrument de communication : elle est donc fondamentalement arbitraire et c'est dans cet arbitraire même que l'on doit chercher un ordre autonome.

Qu'est ce que le structuralisme ? – 1. le Structuralisme en linguistique, Oswald Ducrot, Éditions du Seuil [page 66, collection Points/Essais (1968)]

Bref, vive les borborygmes du langage provoqués par la déferlante SMS, puisque l'arbitraire est primaire.

Posted by Jean-Philippe on March 23, 2005 0 Comments, 205 TrackBacks

March 09, 2005

Le parlé SMS comme apocalypse linguistique

Le même pessimisme se retrouve chez Schleicher. A la différence des grammairiens de Port-Royal, Schleicher ne s'intéresse pas à l'organisation syntaxique de l'énoncé. Certes, il admet qu'elle constitue un reflet de l'activité intellectuelle (et, en ce sens, il tient pour acquises les thèses de la grammaire générale) ; mais, pour lui, il s'agit d'un reflet purement mécanique, d'une influence subie de l'extérieur, d'un effet de la pensée sur le langage, et non pas d'une tendance interne du langage, qui chercherait à représenter la pensée. De sorte que sa perfection dans les langues modernes ne les qualifie pas en tant que langues. Ce qui peut témoigner de l'aptitude de la langue à imiter la pensée, c'est seulement sa partie morphologique, à savoir l'organisation interne qu'elle donne aux mots. Schleicher, en effet, qui s'appuie sur un kantisme assez flou, pense que la coexistence du radical et des marques grammaticales dans le mot fait de celui-ci une image de la pensée. Toute pensée est en effet l'imposition de catégories intellectuelles à un donné empirique : or cette imposition est représentée dans le mot, où le radical, désignation de l'objet, est cerné par des marques grammaticales, désignations de rapports. L'existence du mot, dans sa forme pleine, répond donc à un souci qu'a eu l'esprit humain de se représenter à l'intérieur de la langue, de créer sa propre image hors de lui. Si, maintenant, les lois phonétiques détruisent cette organisation parfaite, c'est que l'esprit, au fur et à mesure de son développement, cesse de considérer la langue comme une œuvre où il façonne sa ressemblance. Il ne la considère plus que comme un moyen, comme un instrument pour la communication. L'exigence principale qu'il manifeste à son égard est alors une exigence d'économie, et les lois phonétiques, dues à une volonté de moindre effort dans la prononciation, marquent justement cette attitude d'utilisateur intéressé. La destruction du mot signifie ainsi la prééminence du souci de communication sur le souci de représentation – et le triomphe corrélatif de l'arbitraire.
Développant cette thèse dans un tableau grandiose, Schleicher imagine que l'évolution des langues se fait en deux périodes. Une période de formation (Ausbildung), où l'esprit invente, par approximations successives, l'organisation à donner au mot pour que celui-ci puisse lui représenter sa propre nature. Le changement linguistique, pendant cette période, ne se comprend que par un effort tenace pour motiver la langue. Nous n'avons, malheureusement, selon Schleicher, aucun témoignage direct de tout ce travail, qui appartient à la préhistoire de l'humanité. Ce dont nous avons témoignage, c'est seulement de la période de déclin (Verfall), qui correspond à l'histoire de l'humanité. Voué au projet politique, préoccupé uniquement de donner forme à la liberté à travers l'aventure sociale, l'esprit ne considère plus la langue que comme un moyen pour le développement de la cité. Il prend ainsi à son égard une attitude d'utilisateur intéressé, qui la soumet à des fins étrangères : entrent alors en jeu les lois phonétiques, qui détruisent progressivement, non par intention, mais par indifférence, l'œuvre construite à la période précédente. Ce qui permet à Schleicher de comparer les rapports entre la langue et la liberté de l'homme historique à ceux qu'entretiennent, selon Hegel, la nature et l'homme. Avant la venue de l'homme, la nature, animée par l'esprit, était créatrice : de même, avant que l'homme ait entrepris de réaliser la liberté dans l'histoire, la langue, objet de l'activité humaine, connaissait une perpétuelle création de formes nouvelles, destinées à représenter de mieux en mieux la réalité de la pensée. Et comme la nature, selon Hegel, a été réduite à se rabâcher elle-même à partir du moment où l'esprit s'est retiré d'elle pour se concentrer dans l'homme, de même la langue, lorsque l'homme historique a commencé à se désintéresser d'elle et à s'intéresser seulement à ce qu'il pouvait faire grâce à elle, la langue, devenue simple instrument, n'a plus connu que décadence et désorganisation. Elle est devenue fondamentalement arbitraire, non seulement parce qu'elle représentait de plus en plus mal la pensée, mais surtout parce que tout souci de représentation lui était devenu étranger. Comme les linguistes, pour leur malheur, connaissent seulement les langues de la période historique, ils ne sauraient attribuer aux différents états qu'ils étudient une organisation systématique : l'ordre apparent que l'on rencontre çà et là est seulement la survivance accidentelle d'un état ancien par ailleurs disparu. L'étude comparative ne peut donc relier que des éléments à des éléments, indépendamment des systèmes. Mais pour que ces comparaisons aient un sens, il faut penser que toutes les langues étudiées procèdent d'une organisation fondamentalement identique, qui s'est défaite au cours de l'évolution historique, laissant place à un pur chaos.

Qu'est ce que le structuralisme ? – 1. le Structuralisme en linguistique, Oswald Ducrot, Éditions du Seuil [pages 39-42, collection Points/Essais (1968)]

Très intéressant. Je pense cependant que les phases des langues (préhistoire puis histoire) sont des lignes de force de l'évolution à grande échelle de l'esprit humain. On doit pouvoir appliquer cette analyse localement à l'évolution des langues sur de courtes périodes (ces phénomènes puissants s'entremêlant infiniment tels les brins d'une guirlande) : l'analyse de Schleicher colle ainsi parfaitement à ce qui est en train d'advenir du français avec le langage SMS qui phonétise au plus haut point la langue de Molière, phonétisation semblant être le corrolaire du développement de la communication sur le pouce, nous transformant en services-humains activables à distance.

Posted by Jean-Philippe on March 09, 2005 6 Comments, 162 TrackBacks

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