May 25, 2005
Je souligne :
[…] Ce véritable apprendre est ainsi un prendre suprêmement remarquable, un prendre dans lequel celui qui prend ne prend que ce qu'au fond il a déjà. A cet apprendre correspond aussi l'enseigner. Enseigner, c'est donner, offrir. Mais ce qui est offert dans l'enseignement n'est pas ce qui peut être appris ; ce qui est donné à l'élève, c'est seulement l'indication lui permettant de prendre par lui-même ce qu'il a déjà. Quand l'élève ne fait que prendre possession de quelque chose qui lui est offert, il n'apprend pas. Il ne commence à apprendre que lorsqu'il éprouve ce qu'il prend comme ce qu'il a déjà lui-même en propre. Là seulement est le véritable apprendre, où prendre ce qu'on a déjà, c'est se-donner-à-soi-même, et où cela est éprouvé en tant que tel. Enseigner ne veut donc rien dire d'autre que laisser les autres apprendre, c'est-à-dire se porter mutuellement à l'apprendre. Apprendre est plus difficile qu'enseigner ; car seul celui qui peut vraiment apprendre – et seulement aussi longtemps qu'il le peut – celui-là seul est capable d'enseigner. Le véritable enseignant ne se distingue de l'élève qu'en ce qu'il peut mieux apprendre et a plus authentiquement la volonté d'apprendre. Dans tout enseigner, c'est l'enseignant qui apprend le plus.
[…]
Qu'est-ce qu'une chose ?, Martin Heidegger, Éditions Gallimard [page 85, collection tel (1962, 1971 pour la traduction française)]
Posted by Jean-Philippe on May 25, 2005 1 Comments, 936 TrackBacks
May 03, 2005
Je souligne (en gras):
[…]
Troisième et (j'espère) dernier type d'investissement du résumé métalittéraire, le plus fortement investi, justement, et pris dans un discours dont il ne constitue qu'une utilité préliminaire ou plus habilement dissimulée : le discours « critique » en général et sous toutes ses formes, de la plus pédante (universitaire : bien des thèses de doctorat ne sont que des séries de résumés « savamment » raboutés, et ce livre lui-même…) à la plus populaire : le compte rendu journalistique.
[…]
Palimpsestes – La littérature au second degré, Gérard Genette, Éditions du Seuil [page 344, collection Points/Essais (1982)]
Je suis de ceux qui pensent que si cela a déjà été dit, alors il n'y a plus (grand chose) à en dire. De ce fait, une thèse de doctorat, comme toute recherche scientifique, doit apporter de la nouveauté, de l'originalité, un point de vue neuf.
Parallèlement, j'en profite pour signaler que je doute quand même de plus en plus de la compétence de nombre de comités de lecture de conférences qui notent bien souvent dans leur appel que le contenu de tout article soumis doit s'avérer original (certes, dans la communauté en question), et qui acceptent cependant plusieurs années de suite des papiers répétant les mêmes rengaines, voire des papiers légèrement modifiés qui ont déjà été publiés dans pas mal d'autres conférences…
Posted by Jean-Philippe on May 03, 2005 6 Comments, 1648 TrackBacks
March 23, 2005
À la suite de Le parlé SMS comme apocalypse linguistique :
En affirmant conjointement l'arbitraire de la langue et sa fonction de communication, les saussuriens restent d'ailleurs fidèles, en un certain sens, à l'attitude comparatiste. On se rappelle, en effet, que, pour Bopp et Schleicher, c'est la fonction de communication qui est à l'origine de l'arbitraire : du jour ou les hommes, voués au projet historique, ont considéré la langue comme un simple instrument, qui doit être utilisé avant tout avec efficacité et économie, les lois phonétiques ont commencé à éroder le système grammatical, et à détruire peu à peu l'organisation interne grâce à laquelle le mot ancien représentait l'acte de penser. Entraînant avec elle l'arbitraire, la communication a ainsi détourné la langue de sa vocation, l'empêchant de constituer un ordre analogue à celui de l'esprit. L'originalité de Saussure consiste seulement à prendre pour constitutif du langage ce que les comparatistes décrivaient comme sa dépravation. Pour lui, toute langue est, fondamentalement, un instrument de communication : elle est donc fondamentalement arbitraire et c'est dans cet arbitraire même que l'on doit chercher un ordre autonome.
Qu'est ce que le structuralisme ? – 1. le Structuralisme en linguistique, Oswald Ducrot, Éditions du Seuil [page 66, collection Points/Essais (1968)]
Bref, vive les borborygmes du langage provoqués par la déferlante SMS, puisque l'arbitraire est primaire.
Posted by Jean-Philippe on March 23, 2005 0 Comments, 205 TrackBacks
March 09, 2005
Le même pessimisme se retrouve chez Schleicher. A la différence des grammairiens de Port-Royal, Schleicher ne s'intéresse pas à l'organisation syntaxique de l'énoncé. Certes, il admet qu'elle constitue un reflet de l'activité intellectuelle (et, en ce sens, il tient pour acquises les thèses de la grammaire générale) ; mais, pour lui, il s'agit d'un reflet purement mécanique, d'une influence subie de l'extérieur, d'un effet de la pensée sur le langage, et non pas d'une tendance interne du langage, qui chercherait à représenter la pensée. De sorte que sa perfection dans les langues modernes ne les qualifie pas en tant que langues. Ce qui peut témoigner de l'aptitude de la langue à imiter la pensée, c'est seulement sa partie morphologique, à savoir l'organisation interne qu'elle donne aux mots. Schleicher, en effet, qui s'appuie sur un kantisme assez flou, pense que la coexistence du radical et des marques grammaticales dans le mot fait de celui-ci une image de la pensée. Toute pensée est en effet l'imposition de catégories intellectuelles à un donné empirique : or cette imposition est représentée dans le mot, où le radical, désignation de l'objet, est cerné par des marques grammaticales, désignations de rapports. L'existence du mot, dans sa forme pleine, répond donc à un souci qu'a eu l'esprit humain de se représenter à l'intérieur de la langue, de créer sa propre image hors de lui. Si, maintenant, les lois phonétiques détruisent cette organisation parfaite, c'est que l'esprit, au fur et à mesure de son développement, cesse de considérer la langue comme une œuvre où il façonne sa ressemblance. Il ne la considère plus que comme un moyen, comme un instrument pour la communication. L'exigence principale qu'il manifeste à son égard est alors une exigence d'économie, et les lois phonétiques, dues à une volonté de moindre effort dans la prononciation, marquent justement cette attitude d'utilisateur intéressé. La destruction du mot signifie ainsi la prééminence du souci de communication sur le souci de représentation – et le triomphe corrélatif de l'arbitraire.
Développant cette thèse dans un tableau grandiose, Schleicher imagine que l'évolution des langues se fait en deux périodes. Une période de formation (Ausbildung), où l'esprit invente, par approximations successives, l'organisation à donner au mot pour que celui-ci puisse lui représenter sa propre nature. Le changement linguistique, pendant cette période, ne se comprend que par un effort tenace pour motiver la langue. Nous n'avons, malheureusement, selon Schleicher, aucun témoignage direct de tout ce travail, qui appartient à la préhistoire de l'humanité. Ce dont nous avons témoignage, c'est seulement de la période de déclin (Verfall), qui correspond à l'histoire de l'humanité. Voué au projet politique, préoccupé uniquement de donner forme à la liberté à travers l'aventure sociale, l'esprit ne considère plus la langue que comme un moyen pour le développement de la cité. Il prend ainsi à son égard une attitude d'utilisateur intéressé, qui la soumet à des fins étrangères : entrent alors en jeu les lois phonétiques, qui détruisent progressivement, non par intention, mais par indifférence, l'œuvre construite à la période précédente. Ce qui permet à Schleicher de comparer les rapports entre la langue et la liberté de l'homme historique à ceux qu'entretiennent, selon Hegel, la nature et l'homme. Avant la venue de l'homme, la nature, animée par l'esprit, était créatrice : de même, avant que l'homme ait entrepris de réaliser la liberté dans l'histoire, la langue, objet de l'activité humaine, connaissait une perpétuelle création de formes nouvelles, destinées à représenter de mieux en mieux la réalité de la pensée. Et comme la nature, selon Hegel, a été réduite à se rabâcher elle-même à partir du moment où l'esprit s'est retiré d'elle pour se concentrer dans l'homme, de même la langue, lorsque l'homme historique a commencé à se désintéresser d'elle et à s'intéresser seulement à ce qu'il pouvait faire grâce à elle, la langue, devenue simple instrument, n'a plus connu que décadence et désorganisation. Elle est devenue fondamentalement arbitraire, non seulement parce qu'elle représentait de plus en plus mal la pensée, mais surtout parce que tout souci de représentation lui était devenu étranger.
Comme les linguistes, pour leur malheur, connaissent seulement les langues de la période historique, ils ne sauraient attribuer aux différents états qu'ils étudient une organisation systématique : l'ordre apparent que l'on rencontre çà et là est seulement la survivance accidentelle d'un état ancien par ailleurs disparu. L'étude comparative ne peut donc relier que des éléments à des éléments, indépendamment des systèmes. Mais pour que ces comparaisons aient un sens, il faut penser que toutes les langues étudiées procèdent d'une organisation fondamentalement identique, qui s'est défaite au cours de l'évolution historique, laissant place à un pur chaos.
Qu'est ce que le structuralisme ? – 1. le Structuralisme en linguistique, Oswald Ducrot, Éditions du Seuil [pages 39-42, collection Points/Essais (1968)]
Très intéressant. Je pense cependant que les phases des langues (préhistoire puis histoire) sont des lignes de force de l'évolution à grande échelle de l'esprit humain. On doit pouvoir appliquer cette analyse localement à l'évolution des langues sur de courtes périodes (ces phénomènes puissants s'entremêlant infiniment tels les brins d'une guirlande) : l'analyse de Schleicher colle ainsi parfaitement à ce qui est en train d'advenir du français avec le langage SMS qui phonétise au plus haut point la langue de Molière, phonétisation semblant être le corrolaire du développement de la communication sur le pouce, nous transformant en services-humains activables à distance.
Posted by Jean-Philippe on March 09, 2005 6 Comments, 162 TrackBacks
March 08, 2005
Comme c'est aujourd'hui la Journée de la Femme, je tiens bon de rappeler que toute différenciation basée sur une catégorie (par extension une communauté) peut être considérée comme un racisme...
Racisme
De scandaleuses injustices et d'insoutenables misères naissent, le saviez-vous, d'une faute de logique, souvent commise, qui consiste à confondre votre identité avec l'une ou l'autre parmi vos appartenances.
Par la première, singulière, vous êtes vous-mêmes, individu ou personne inimitable, telle que, sans doute, la génétique jamais avant vous ne la trouva ni ne la répétera aussi longtemps que dureront les vivants.
Par les secondes, toujours collectives, vous faites partie des Français ou des Algériens, des bruns ou des chauves, mâles ou femelles, Blancs ou Noirs, chrétiens ou athées, savants ou bacheliers, que sais-je.
Le racisme, par exemple, consiste à traiter quelqu'un comme si sa personnalité s'épuisait en l'une de ses appartenances, choisie et persécutée : vous êtes noir ou mâle ou catholique ou roux. Ainsi, parler de l'identité masculine ou nationale revient à réduire la personne à une catégorie ou le collectif à l'individuel : faute de logique, dangereuse humainement. Non, vous ne faites que partie de tel pays ou de votre sexe.
De là fondent sur le monde tant de malheurs qu'il faut redresser cette commune erreur.
Les arbres de connaissances, Michel Authier et Pierre Lévy, Éditions La Découverte [pages 8-9, collection Poche/Essais (1998)]
Posted by Jean-Philippe on March 08, 2005 2 Comments, 168 TrackBacks
December 06, 2004
Je souligne :
(...)
De façon générale, le subjectivisme soutient que, soit relativement (pour le sujet), soit absolument (en soi), il n'y a de réalité que subjective, tandis que l'objectivisme considère comme existant en dehors du sujet pensant ces choses dont les subjectivistes font un état du sujet. Par exemple, une théorie de la connaissance subjectiviste affirmera que le sujet ne connaît les choses que telles qu'elles sont pour lui, ou même ne connaît que ses propres sensations ou représentations ; une gnoséologie objectiviste avancera au contraire que l'être humain peut appréhender des données objectives, contrôlables de manière intersubjective, et les différencier de données strictement subjectives, issues de l'expérience vécue, de rêve ou de l'imagination. De même, en esthétique, le subjectivisme tend à faire dépendre tous les jugements de valeur des impressions personnelles, alors que l'objectivisme soutiendra qu'il est possible de porter des jugements objectifs, ou à tout le moins justifiés et intersubjectivement partagés, sur la qualité intrasèque des oeuvres. Enfin, en méta-éthique, le subjectivisme avance que les attitudes ou comportements moraux sont uniquement affaire de préférences et que rien ne peut les justifier. Bien sûr, le subjectivisme admettra que les gens issus d'une certaine culture peuvent manifester les mêmes goûts ou préférences, il admettra même qu'on peut voir certains avantages à l'adoption de telle attitude ou de tel comportement moral, mais il continuera de penser que rien de tout ceci ne saurait prouver à quelqu'un qui aurait éventuellement des goûts, des préférences, des attitudes ou des comportements différents qu'il a nécessairement tort. A l'opposé, l'objectivisme considère que certaines vérités morales sont totalement indépendantes de ce que les gens pensent ou désirent. Tout comme, pourrait-on ajouter, l'énoncé « 2 + 2 = 4 » serait encore vrai si plus personne ne savait compter, une théorie peut être vraie pour l'objectiviste de stricte obédience même si personne ne croit en sa vérité, ou encore une toile de maître demeure un chef d'oeuvre même si tout le monde l'a oubliée. (...)
Entrée Objectivité, section L'objectivisme et le subjectivisme comme métaphysique, Robert Nadeau, dans Dictionnaire d'histoire et philosophie des sciences, sous la direction de Dominique Lecourt, Éditions puf/Quadrige [page 699, collection Dico Poche (1999)]
– Qui sait respirer l'air de mes écrits sait que c'est un air des hauteurs, un air mordant. Il faut y être fait pour y vivre, sans quoi le péril est grand d'y prendre froid. La glace est proche, la solitude effrayante – mais comme les choses y baignent paisiblement dans la lumière ! Comme on y respire librement ! Combien de choses on y sent au-dessous de soi – La philosophie, telle que je l'ai toujours comprise et vécue, consiste à vivre volontairement dans les glaces et sur les cimes, – à rechercher tout ce qui dans l'existence dépayse et fait question, tout ce qui, jusqu'alors, a été mis au ban par la morale. Je dois à la longue expérience acquise au cours d'une telle incursion dans les contrées interdites, d'avoir appris à envisager, tout autrement qu'on ne le souhaiterait sans doute, les raisons pour lesquelles on a jusqu'ici « moralisé » et « idéalisé » : l'histoire cachée des philosophes, la psychologie de leurs plus grands noms, m'est apparue sous son vrai jour. – Quelle dose de vérité un esprit sait-il supporter, sait-il risquer ? Voilà qui, de plus en plus, devint pour moi le vrai critère des valeurs. L'erreur (la croyance en l'idéal) n'est pas aveuglement, l'erreur est lâcheté... Chaque acquisition, chaque pas en avant dans la connaissance est la conséquence du courage, de la dureté envers soi, même de la probité envers soi... Je ne réfute pas un « idéal », mais je ne le touche qu'avec des pincettes... Nirimur in vetitum : c'est par ce signe qu'un jour ma philosophie vaincra, car jusqu'ici on n'a jamais, par principe, interdit que la vérité. –
Ecce Homo, Friedrich Nietzsche, Éditions Gallimard [page 94, collection Folio/Essais (2002)]
Posted by Jean-Philippe on December 06, 2004 1 Comments, 167 TrackBacks
November 26, 2004
(...) « Amender les hommes », voilà bien la dernière chose qu'il me viendrait à l'idée de promettre. Ce n'est pas moi qui dresserai jamais aucune idole nouvelle : les anciennes puissent-elles apprendre ce qu'il en coûte d'avoir des pieds d'argile. Renverser les idoles (et par « idoles », j'entends tout « idéal »), telle est plutôt mon affaire. Dans la mesure où l'on forgeait de toutes pièces un mensonger « monde idéal », c'est autant de sa valeur, de son sens, de sa véracité que l'on ôtait à la réalité... « Monde vrai » et « monde de l'apparence », traduisez : monde inventé par le mensonge et réalité... Le mensonge de l'idéal fut jusqu'ici l'anathème jeté sur la réalité, et l'humanité même en est devenue mensongère et fausse – jusque dans ses instincts les plus profonds – au point d'adorer les valeurs inverses de celles qui lui auraient garanti l'épanouissement, l'avenir, le droit éminent à un avenir.
Ecce Homo, Friedrich Nietzsche, Éditions Gallimard [pages 93 et 94, collection Folio/Essais (2002)]
Posted by Jean-Philippe on November 26, 2004 0 Comments, 263 TrackBacks
November 10, 2004
Je souligne :
« Comme les producteurs primaires et les demandeurs peuvent entrer directement en contact les uns avec les autres, toute une classe de professionnels risque désormais d'apparaître comme des intermédiaires parasites de l'information (journalistes, éditeurs, enseignants, médecins, avocats, cadres moyens) ou de la transaction (commerçants, banquiers, agents financiers divers) et voient leurs rôles habituels menacés. On appelle ce phénomène la « désintermédiation ». Les institutions et métiers fragilisés par la désintermédiation et l'accroissement de transparence ne pourront survivre et prospérer dans le cyberespace qu'en accomplissant leur migration de compétences vers l'organisation de l'intelligence collective et l'aide à la navigation. » (Remarquez la problématique du rôle des journalistes si l'on considère l'expansion continuelle de la blogosphère, identique à celle de la question des enseignants.)
et plus loin :
« Quant à l'exploitation économique des contenus en question, les manières habituelles de valoriser la propriété sur l'information (achat du support physique de l'information ou paiement de droits d'auteurs classiques) sont de moins en moins adaptées au caractère fluide et virtuel des messages. En abandonnant totalement toute prétention à la propriété sur les logiciels et l'information, comme certains activistes du réseau le proposent, on risque de revenir en deçà de l'invention du droit d'auteur et du brevet, à l'époque où les idées suées par des travailleurs du neurone pouvaient être bloquées par des monopoles ou appropriées sans contrepartie par des puissances économiques ou politiques. Mais à l'époque de l'économie de l'information et de la connaissance, plutôt que d'abandonner les droits de propriété sur toutes les formes de biens logiciels, ce qui reviendrait à une spoliation éhontée des producteurs de base, des nouveaux prolétaires que sont les travailleurs intellectuels, on semble plutôt s'orienter vers une sophistication du droit d'auteur. Ce perfectionnement se poursuit dans deux directions : passage d'un droit territorial à un droit du flux et passage de la valeur d'échange à la valeur d'usage. »
Qu'est-ce que le virtuel ?, Pierre Lévy, Éditions La Découverte (1998)
[pages 60 et 62, collection Poche]
Posted by Jean-Philippe on November 10, 2004 3 Comments, 169 TrackBacks
September 06, 2004
« Il n'existe pas de pires victimes que les gens dont le talent n'a jamais été reconnu. Ils sont de la race des pires bourreaux que la terre engendre. »
Villa Vortex, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (2003)
[page 260, collection La Noire]
Posted by Jean-Philippe on September 06, 2004 22 Comments, 584 TrackBacks
September 05, 2004
« Chaque jour, durant ce mois de juin 1992, et alors que la date de départ de Nitzos pour la poudrière balkanique se précisait, je pus constater que quelque chose était en train de pourrir. Quelque chose situé juste sous nos pieds. Quelque chose qui finirait par nous avaler, et nous dévorer, tous inexorablement. Mais si je ressentais le tremblement de l'onde de choc tectonique qui faisait vibrer les fondations de l'édifice, j'étais dans l'incapacité d'en comprendre la véritable signification. Privé de tout instinct, dont même l'insecte le plus primitif dispose, je possédais des facultés d'analyse élaborées, mais encore aucune soif de destruction suffisante.
Il me restait beaucoup à apprendre.
Pourtant, à la fin du mois, nous étions parvenus à établir une première configuration.
Cette configuration « virtuelle » n'était pas un gadget à forme humanoïde. C'était un programme, donc un corps sans organes formé de sa seule codification, secrète, invisible, y compris pour lui-même.
Il s'agissait d'une entité abstraite, une matrice mathématique – élaborée par Nitzos grâce à un logiciel d'origine militaire que Willy avait « craqué » quelque part – et qui croisait et recroisait nos données, présentant des tableaux synthétiques, des « maps » disait Nitzos, des cartes, oui c'était bien cela.
Or les cartes ne sont pas une simple « re-présentation » du territoire. J'en avais la preuve : elles produisent le territoire, elles engendraient le processus par lequel celui-ci se mettait à tracer sa topologie propre dans le monde.
En fait, je comprenais que sans la carte, le mot même de « territoire » n'avait aucun sens.
Et là-dessus, il était clair que le tueur des centrales était en tout point d'accord avec nous. »
Villa Vortex, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (2003)
[pages 206-207, collection La Noire]
Dantec fait ici parler Alfred Korzybski par la bouche du personnage principal et narrateur de Villa Vortex, Kernal.... En cela on peut voir un hommage rendu à l'auteur de science-fiction A. E. Van Vogt et son Cycle du non A qui avait fait sortir de l'ombre la sémantique générale de Korzybski. Pour des développements de cette « théorie » voir Une carte n'est pas le territoire – Prolégomènes aux systèmes non-aristotéliciens et à la sémantique générale d'Alfred Korzybski, aux Éditions de l'Éclat.
Maintenant la question : un héros de roman qui parle à la première personne doit-il citer ses sources ? lol.
Posted by Jean-Philippe on September 05, 2004 12 Comments, 363 TrackBacks
August 31, 2004
« (...)
Il était l'incarnation même de tous les maléfices du monde.
C'était le meilleur inspecteur de police avec lequel j'avais jamais travaillé. »
« (...)
Si je voulais conserver la moindre chance de réussite, si je désirais vraiment la ténacité, la rage froide indispensable à l'entreprise, je devais pourtant m'attacher à ce petit bout de chair violentée comme s'il se fût de la mienne propre, et en échange je devais sans doute me préparer à perdre la plus grande partie de mon humanité. Je n'avais pas d'enfant, je n'étais pas marié de toute façon, et je ne vivais avec personne. Adopter un cadavre semblait bien le seul comportement raisonnable. »
Villa Vortex, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (2003)
[pages 25 et 36, collection La Noire]
Posted by Jean-Philippe on August 31, 2004 15 Comments, 299 TrackBacks
July 23, 2004
Pour Gaëlle et sûrement beaucoup d'autres personnes, voici la délivrance, la réponse à vos interrogations écologiques surgies de la lecture d'un bout de texte affolant :
« Cinq minutes plus tard, il [Ford Escort] était assis et se massait la tempe sur laquelle naissait une assez jolie bosse.
« Qui diable est cette bonne femme ? dit-il. Pourquoi sommes-nous entourés d'écureuils et qu'est-ce qu'ils veulent ?
— Ils n'ont pas cessé de m'empoisonner toute la nuit, dit Arthur. Ils n'arrêtent pas de vouloir m'offrir des revues et des tas de trucs. »
Ford fronça les sourcils. « Vraiment ?
— Et des bouts de chiffon. »
Ford réfléchit.
« Oh fit-il. Et c'est près de l'endroit où ton vaisseau s'est écrasé ?
— Oui, confirma Arthur un peu crispé.
— C'est sans doute ça. C'est un truc qui arrive. Les robots de cabine du vaisseau sont démolis. Les cyberesprits qui les contrôlent survivent et se mettent à infester la faune locale. De quoi vous transformer tout un écosystème en véritable entreprise de service désespérément prévenante, qui passe son temps à distribuer boissons fraîches et serviettes chaudes à tout les passants. Il devrait y avoir une loi pour l'interdire. Il y en a sans doute une. Et sans doute aussi une loi interdisant toute loi qui l'interdise pour que tout le monde puisse toujours être en forme et désaltéré. Et, oh ? Qu'est-ce que tu disais ? »
Douglas Adams, Le Guide Galactique, V - Globalement inoffensive
[pages 253-254, Éditions Denoël (1994), collection Folio SF (2001)]
Posted by Jean-Philippe on July 23, 2004 38 Comments, 259 TrackBacks
July 02, 2004
“(...)
“Mom, tell him to answer me. Why do you lock your door, Clay?”
I turn around. “Because you both stole a quarter gram of cocaine from me the last time I left my door open. That's why.”
My sisters don't say anything. “Teenage Enema Nurses in Bondage” by a group called Killer Pussy comes on the radio, and my mother asks if we have to listen to this and my sisters tell her to turn it up, and no one says anything else until the song's over. When we get home, my younger sister finally tells me, out by the pool, “That's bullshit. I can get my own cocaine.””
Bret Easton Ellis, Less Than Zero
[page 25, Éditions Vintage Books (1985), collection Vintage Contemporaries (1998)]
Posted by Jean-Philippe on July 02, 2004 63 Comments, 4057 TrackBacks
July 01, 2004
« (...)
Il y avait malgré tout quelque chose d'anormal dans ces bois.
Elle n'aurait pas su dire immédiatement quoi, mais ils ne lui faisaient pas l'effet de bois vigoureux et sains guettant l'arrivée d'un bon printemps. Les arbres penchaient de guinguois, maladifs, avec une espèce d'air blafard et rouillé. Plus d'une fois, Aléa eut la désagréable impression qu'ils cherchaient à la saisir au passage, mais ce n'était qu'un effet des jeux de lumière de sa torche qui faisait tressauter leurs ombres.
Soudain, quelque chose tomba d'une branche devant elle. Elle fit un saut en arrière, affolée, laissant échapper la torche et la boîte. Elle s'accroupit et sortit de sa poche son caillou spécialement aiguisé.
La chose qui venait de choir de l'arbre bougeait. La torche qui gisait au sol pointait dans sa direction et Aléa vit une vaste ombre grotesque progresser avec lenteur dans le faisceau de lumière, droit vers elle. Elle décelait à présent de faibles couinements et bruissements au milieu du sifflement régulier de la pluie. Elle chercha sa torche à tâtons, la récupéra, la braqua droit sur la créature.
Au même instant, une autre se laissa également tomber d'un arbre, à quelques mètres à peine. Affolée, Aléa faisait courir frénétiquement sa torche de l'une à l'autre. Elle tenait son caillou brandi, prête à frapper.
Les créatures étaient toutes petites, en fait. C'était l'angle de l'éclairage qui leur avait donné cette taille inquiétante. Non seulement elles étaient toutes petites mais petites, douces et fourrées. Et voilà qu'une troisième dégringolait des arbres. Elle tomba dans le faisceau de lumière, de sorte qu'Aléa la vit parfaitement.
Elle atterit avec précision, pivota puis, comme les deux autres, se mit à avancer d'une démarche lente et décidée vers Aléa.
Celle-ci resta figée. Elle tenait toujours son caillou levé mais prit progressivement conscience que les créatures sur lesquelles elle s'apprêtait à le lancer étaient en fait des écureuils. Ou du moins, des créatures analogues à des écureuils. Des créatures douces, tièdes et fourrées analogues à des écureuils, qui avançaient vers elle d'une façon qu'elle n'était pas certaine d'apprécier.
Elle braqua sa torche droit sur la première qui poussait des couinements saccadés, agressifs et tenait dans un de ses petits poings une espèce de bout de chiffon humide et rose. Aléa soupesa la pierre dans sa main, l'air menaçant, mais cela ne parut guère impressionner l'écureuil qui avançait toujours, son bout de chiffon humide à la main.
Elle recula encore d'un pas, se prit la cheville dans une racine et tomba à la renverse.
Aussitôt, le premier écureuil plongea sur elle comme une flèche ; il atterrit sur son estomac et continua d'avancer, une lueur glaciale et décidée au fond des yeux et un bout de chiffon humide dans le poing.
Aléa essaya de se redresser mais ne réussit à se soulever que de quelques centimètres. Le mouvement de surprise de l'écureuil juché sur son estomac la surprit en retour. L'écureuil s'immobilisa, lui agrippant la peau entre ses petites griffes à travers son corsage trempée. Puis lentement, centimètre par centimètre, il continua de grimper vers elle, s'arrêta et brandit sous son nez le bout de tissu.
Aléa était presque hypnotisée par l'étrange conduite de l'animal, par ses petits yeux brillants. Il brandit de nouveau son chiffon. Il le poussait vers elle avec insistance, en couinant de plus belle, jusqu'à ce qu'enfin, nerveuse, hésitante, elle le lui prenne. L'animal continuait de l'éplucher du regard. Aléa ne savait trop que faire. La pluie et la boue dégoulinaient sur son visage et un écureuil était assis sur elle. Elle prit le chiffon pour s'essuyer les yeux.
L'écureuil poussa un couinement de triomphe, récupéra son chiffon, sauta par terre, détala dans les profondeurs de la nuit, grimpa à toute allure le long d'un arbre, plongea dans un trou du tronc, s'y installa confortablement et alluma une cigarette.
Pendant ce temps-là, Aléa essayaitde chasser l'écureuil muni du gland rempli d'eau et celui qui tenait le papier. Elle recula en se tortillant sur les fesses.
« Non, cria-t-elle, allez-vous-en ! »
Ils décampèrent, affolés puis repartirent à l'attaque, agitant leurs présents dans sa direction. Elle brandit son caillou. « Allez-vous-en ! » glapit-elle.
Les écureuils trotinnaient en cercle, consternés. Puis l'un des deux fonça vers elle à toute vitesse, lâcha le gland sur ses genoux, fit demi-tour et déguerpit dans la nuit. L'autre hésita, tout tremblant, puis il vint poser son bout de papier juste devant elle avant de disparaître à son tour.
Elle se retrouva seule, mais elle tremblait de confusion. Elle se releva tant bien que mal, récupéra son caillou et son paquet puis, après une hésitation, ramassa également le morceau de papier. Il était si détrempé et déchiré qu'il n'était pas évident de deviner ce que c'était. Apparemment, un fragment de magazine promotionnel de compagnie aérienne.
(...) »
Douglas Adams, Le Guide Galactique, V - Globalement inoffensive
[page 226-230, Éditions Denoël (1994), collection Folio SF (2001)]
Posted by Jean-Philippe on July 01, 2004 89 Comments, 4261 TrackBacks
June 11, 2004
« Le problème majeur – l'un des problèmes majeurs, car ce n'est pas le seul – l'un des nombreux donc, problèmes majeurs que soulève l'exercice du pouvoir est fonction de qui l'on trouve pour l'exercer ; ou plutôt, de qui s'arrange pour amener les gens à le laisser l'exercer sur eux.
En résumé, il est un fait patent, que ceux-là mêmes qui ont le plus envie de gouverner les gens sont, ipso facto, les moins aptes à le faire. Pour résumer le résumé : quiconque est capable de parvenir à se faire élire président ne devrait à aucun prix être laissé libre d'exercer cette fonction. Pour résumer le résumé du résumé : les gens sont un vrai souci.
Telle est donc la situation que nous trouvons : une longue théorie de présidents galactiques ravis de goûter les plaisirs et les pompes du pouvoir au point de bien rarement se rendre compte qu'en fait ils ne le possèdent pas.
Et quelque part, derrière eux, dans l'ombre – qui ?
Qui peut donc bien gouverner quand aucun de ceux qui en ont l'envie n'a la possibilité de le faire ? »
Douglas Adams, Le Guide Galactique, II - Le Dernier Restaurant avant la Fin du Monde
[page 174 (chapitre 28), Éditions Denoël (1982), collection Folio SF (2000)]
Posted by Jean-Philippe on June 11, 2004 57 Comments, 151 TrackBacks
June 07, 2004
« L'un des principaux arguments de vente de cet ouvrage en tout point remarquable qu'est le Guide du routard galactique, outre son prix relativement modéré et le fait qu'il porte la mention
PAS DE PANIQUE !
en larges caractères amicaux sur sa couverture, c'est son glossaire à la fois complet et parfois exact. Les statistiques relatives à la nature géo-sociale de l'Univers, par exemple, sont adroitement insérées entre les pages neuf cent trente-huit mille trois cent vingt-quatre et neuf cent trente-huit mille trois cent vingt-six ; et le style excessivement simple avec lequel elles sont rédigées s'explique en partie par le fait que, tenus par les délais de fabrication, les éditeurs recopièrent cet ensemble d'informations sur le dos d'un paquet de flocons d'avoine, non sans avoir hâtivement entrelardé le tout de quelques notes, à seule fin d'éviter les poursuites sous le coup des incroyablement tortueuses Lois galactiques sur le droit d'auteur.
Notons toutefois avec intérêt qu'un rédacteur ultérieur et plus rusé que les autres réexpédia l'ouvrage dans le passé via une faille temporelle, ce qui lui permit de tranquillement poursuivre (avec succès) les fabricants de flocons d'avoine, pour infraction à ces mêmes lois.
A titre d'exemple, voici un extrait de ces statistiques :
L'Univers : quelques informations pour vous y faciliter la vie
1 Superficie : infinie.
Le Guide du routard galactique offre cette définition du mot « infini » :
Infini : plus grand que ce qu'on peut trouver de plus grand, et encore. Bien plus grand, même. Pour tout dire : vraiment incroyablement immense, d'une taille totalement ahurissante, en fait « putain de fois » mahousse. L'infinité est tout bonnement si énorme qu'en comparaison, l'énormité paraît franchement riquiqui. Gigantesque multiplié par colossal multiplié par vertigineusement vaste : tel est le genre de concept que nous essayons d'évoquer ici.
2 Importations : néant.
Il est impossible d'importer des objets dans un territoire infini, faute d'une zone extérieure d'où faire provenir les susdites importations.)
3 Exportations : néant.
(Voir Importations.)
4 Population : néant.
(On sait qu'il existe un nombre infini de mondes, tout simplement parce qu'il existe une quantité d'espace infinie pour les loger. Tous, parfois, ne sont pas habités. Par conséquent, il doit exister un nombre fini de mondes habités. Un nombre fini divisé par l'infini est si près de zéro que ça compte pour du beurre, si bien que la population moyenne de toutes les planètes de l'Univers peut donc être considérée comme égale à zéro. D'où il découle que la population totale de l'Univers est aussi égale à zéro et donc que tout individu que vous seriez susceptible de croiser de temps à autre ne saurait être que le fruit d'une imagination dérangée.)
5 Unité monétaire : néant.
En fait, trois monnaies librement convertibles ont régulièrement cours dans la Galaxie mais aucune vraiment ne compte : le dollar altaïrien s'est récemment effondré, le bouton de Q-Lôth de Pô ne s'échange que contre d'autres boutons de Q-Lôth de Pô, quant au pou-léphrite, il pose de son côté des problèmes bien spécifiques : certes, son cours actuel de neuf suhl-plats contre un pou-léphrite n'est en soi pas sorcier, mais comme le suhl-plat est une pièce triangulaire en caoutchouc de onze mille kilomètres d'arête, personne encore n'a pu en amasser suffisamment pour posséder un seul pou-léphrite. Les suhls-plats ne sont pas négociables, les Galactibanques refusant de manipuler des petites coupures. De l'ensemble de ces prémisses, on peut déduire aisément que les Galactibanques sont également le produit d'une imagination dérangée.
6 Art : néant.
(L'art a pour fonction d'être le miroir où se reflète la nature et aucun miroir n'est de taille suffisante, voir paragraphe 1.)
7 Sexe : néant.
Bon, pour dire vrai, il y a pas mal de sexe – essentiellement à cause de l'absence totale d'argent, de commerce, de banque, d'art et autres activités susceptibles de tenir occupés tous ces inexistants habitants de l'Univers. Inutile toutefois de s'embarquer dans une longue discussion sur ce sujet, tant il peut être effroyablement compliqué. Pour de plus amples informations, on se reportera de préférence aux chapitres sept, huit, dix, onze, quatorze, seize, dix-sept, dix-neuf, vingt et un, soixante-neuf et quatre-vingt-quatorze inclus du présent Guide – en fait, on pourra fructueusement consulter la majeure partie du reste de l'ouvrage. »
Douglas Adams, Le Guide Galactique, II - Le Dernier Restaurant avant la Fin du Monde
[pages 130-133 (chapitre 19), Éditions Denoël (1982), collection Folio SF (2000)]
Posted by Jean-Philippe on June 07, 2004 50 Comments, 175 TrackBacks
May 25, 2004
« Le Guide du routard galactique est le compagnon indispensable de tous ceux qui ont à coeur de trouver un sens à la vie dans un Univers infiniment complexe et confondant car, sans pouvoir être une mine de renseignements universelle, il avait néanmoins la rassurante prétention, lorsqu'il se trompait, de se tromper totalement. En cas de décalage manifeste, c'était toujours la réalité qui avait tort.
Tel était le sens profond de la notice. On y lisait :
LE GUIDE EST EXACT.
LA RÉALITÉ EST BIEN SOUVENT ERRONÉE.
»
Douglas Adams, Le Guide Galactique, II - Le Dernier Restaurant avant la Fin du Monde
[pages 42-43, Éditions Denoël (1982), collection Folio SF (2000)]
Posted by Jean-Philippe on May 25, 2004 49 Comments, 359 TrackBacks
May 23, 2004
« Zappy regarda. Joli coin, se dit-il. Mais où ? Et pourquoi ?
Il alla pêcher dans sa poche sa paire de lunettes noires. Dans cette même poche il sentit le contact d'un objet métallique inconnu, lisse et dur, et particulièrement pesant. Il le sortit afin de l'examiner. Cligna des yeux, surpris. Où avait-il pu dégotter ça ? Il le renfourna dans sa poche et chaussa les lunettes, irrité de découvrir que l'objet métallique en avait rayé l'un des verres. Enfin, il se sentait quand même mieux avec. Il s'agissait en effet d'une paire d'Hépala-100-T Super-relax-max-chromo-péril-sensitives, spécialement conçues pour aider les gens à affronter le danger d'une manière détendue : au premier signe de trouble, leurs verres virent en effet au noir absolu, évitant par là même à leur porteur de distinguer quoi que ce soit qui pût l'alarmer.
Hormis la rayure, les lunettes de Zappy étaient parfaitement claires. Il se détendit. Tout juste. »
Douglas Adams, Le Guide Galactique, II - Le Dernier Restaurant avant la Fin du Monde
[pages 40, Éditions Denoël (1982), collection Folio SF (2000)]
Posted by Jean-Philippe on May 23, 2004 16 Comments, 266 TrackBacks
May 21, 2004
« Reprenons :
Au commencement, fut créé l'Univers.
La chose a considérablement irrité tout un tas de gens et bon nombre de personnes estiment même que ce fut une erreur.
Bien des races croient y voir l'oeuvre de quelque espèce de dieu, bien que les Jeuhtlavédis de Méth-Técho VII croient pour leur part que tout l'Univers fut en réalité violemment éternué de la narine d'un être qu'ils nomment le Gros Patatchoum Vert.
Les Jeuhtlavédis (qui vivent dans la crainte perpétuelle de ce qu'ils appellent l'Avènement du Grand Mouchoir Blanc) sont de petites créatures bleues munies de plus de cinquante bras chacune, ce qui leur vaut ce trait unique d'être les permiers êtres de toute l'histoire à avoir inventé le déodorant corporel avant la roue.
Nonobstant, cette Théorie-Quant-au-Nez-du-Gros Patatchoum Vert n'est pas extrêmement répandue en dehors de Méth-Técho VII et par conséquent l'Univers étant l'énigme que l'on sait, on ne cesse de lui trouver d'autres explications. »
Douglas Adams, Le Guide Galactique, II - Le Dernier Restaurant avant la Fin du Monde
[pages 13, Éditions Denoël (1982), collection Folio SF (2000)]
Posted by Jean-Philippe on May 21, 2004 2 Comments, 175 TrackBacks
May 20, 2004
Après avoir regardé l'intervention de Nicolas Rey à Tout le Monde en Parle il y a quelques semaines, je me suis décidé pour acheter Courir à trente ans (17 € tout de même), son dernier roman. Un look à la Bernard-Henri, des sujets à la Frédéric. Seulement, bien que plus âgé, BHL a l'air beaucoup plus jeune, que cela soit physiquement ou intellectuellement (qu'on m'excuse mon jeunisme latant), et FB maîtrise le débit de sa plume dans ses moindres variations, ce qu'on ne peut pas toujours dire du jeune Rey.
La dérive de la génération actuelle de trentenaires, c'est vrai que le contenu du livre pourrait sûrement me permettre d'approfondir un sujet pour lequel mon sentiment lancinant est malheureusement l'incompréhension : les situations sont objectivement simples, pourquoi les réponses sont-elles si compliquées ?
En fait, un des meilleurs passages du livre est tout simplement celui qu'Ardisson a lu sur le plateau de l'émission : « Jean n'avait pas trompé sa femme depuis très longtemps. Rien de moral à cela. Seulement aucune envie. La fidélité est une vertu qui s'exerce par défaut. » (page 90). Quel bon vendeur ce Thierry!
En plus Nicolas me frustre. Exemple :
« Je prends l'apéritif avec Simon, Alexandra, Tristan (mon petit-fils) et la nouvelle amie de Simon, que nous découvrons pour la première fois : Nina (24 ans). Les cheveux bruns coupés court de Nina, son visage androgyne et ses jambes longues dans une robe noire calment l'assemblée, et de vieux rêves me tirent la manche. Depuis de nombreuses années j'ai renoncé à séduire, y compris les petites amies de mon fils. » (page 156).
Vous voyez ? Là ou Frédéric aurait mis « et de vieux rêves me tirent le manche », Nicolas place un « me tirent la manche »... d'ailleurs je suis tellement Beigbederisé que j'ai lu « le manche », avant de me raviser! Remarquez, c'était peut-être l'effet recherché...
Bref, à lire peut-être, mais attendez que ça sorte en poche!
Nicolas Rey, Courir à trente ans
[Éditions Au diable vauvert (2004)]
Posted by Jean-Philippe on May 20, 2004 15 Comments, 283 TrackBacks
May 11, 2004
« D'après une théorie, le jour où quelqu'un découvrira exactement à qui sert l'Univers et pourquoi il est là, ledit Univers disparaîtra sur-le-champ pour se voir remplacé par quelque chose de considérablement plus inexplicable et bizarre.
Selon une autre théorie, la chose se serait en fait déjà produite. »
Douglas Adams, Le Guide Galactique, II - Le Dernier Restaurant avant la Fin du Monde
[pages 9-11, Éditions Denoël (1982), collection Folio SF (2000)]
Posted by Jean-Philippe on May 11, 2004 45 Comments, 184 TrackBacks
January 31, 2004
« Parution simultanée de deux ouvrages de Pierre Lévy, « penseur » du cyberespace, exilé lui aussi de France au Québec.
Voici ce que cet histrion de la world philosophy nous inflige, dans un ouvrage pondu à deux, lui et sa femme (c'est la grande époque de la littérature en couple, autant dire de son annihilation), et qui ne trouve sa vraie place qu'au rayon mysticisme new-age de la première librairie astrologique venue : « La pensée nous amène à souffrir. Elle nous entraîne dans l'avidité, l'agression, la peur, l'espoir, l'illusion. Si nous nous contentions de sentir (c'est moi qui souligne), nous éviterions tout naturellement la souffrance. »
Nous contenter de sentir. Arrêter la pensée. Supprimer la souffrance. »
Si vous possédez l'édition nrf, vous êtes en bas de la page, un filet de bave coule délicatement mais néanmoins dangereusement vers votre livre préféré (oui, je suis maniaque, d'ailleurs je ne suis pas fier de moi car j'ai bavé dans la semaine sur mon Babylon Babies, mais c'est une autre histoire)... la souffrance en bas de page, ça met en appétit. Reprenons :
« Le programme est clair, il l'a toujours été : bouffez végétarien, faites de la méditation, développez votre « potentiel personnel ». Achetez mes cassettes.
Voici donc ce que le cyber-universitaire de la première (dé)génération postsoixantuitarde fait de deux mille cinq cents ans d'esprit critique occidental, devenu depuis un certain temps déjà la cible privilégiée de tout ce que l'Occident lui-même peut produire de nihilismes (autant dire une industrie). Il n'est pas le seul de son espèce à cracher ainsi dans la main qui l'a généreusement nourri. Même les plus féconds d'entre les penseurs sont désormais tentés d'imiter cette pathétique parodie de révolte œdipienne.
La régression new-age n'a pas toujours la naïveté d'affirmer haut et clair un tel programme, l'anéantissement de la pensée est parfois habilement camouflé par quelque jargon pompeux ou posture de rébellion. Pierre Lévy a le mérite d'exposer sa non-pensée sans le moindre artifice, et avec l'aplomb qui caractérise l'idiot terminal : world philosophy (on croirait à s'y méprendre la dernière campagne de pub Benetton ou de l'Unesco, ou le dernier disque de Sting), néopaganisme solaire, astrologie du feu, humanitarisme pseudo-bouddhiste et adaptation (post)moderne du christianisme noosphérique de Teilhard de Chardin, bref un effondrement général de la pensée qui, bien sûr, vise à s'ériger comme finalité téléologique du « phénomène humain », et nous conduit automatiquement au fou rire. »
Maurice G. Dantec, Laboratoire de catastrophe générale – Le théâtre des opérations, Journal métaphysique et polémique, 2000-2001
[pages 107-108, Éditions Gallimard (2001)]
Posted by Jean-Philippe on January 31, 2004 8 Comments, 0 TrackBacks
« « Par jeu conjugué de deux courbures, toutes deux de nature cosmique, – l'une physique (rondeur de la Terre), et l'autre psychique (l'attraction du Réfléchi sur lui-même) –, l'Humanité se trouve prise, ainsi qu'en un engrenage, au coeur du “ vortex ” toujours accéléré de totalisation sur elle-même ».
Voilà le fait brutal.
Essayons de comprendre. »
Père Teilhard de Chardin, La place de l'homme dans la nature – Le groupe zoologique humain
[page 216, Éditions Albin Michel (1956), collection Espaces libres (1996)]
Moi ce qui me fait délirer, c'est que cela ressemble presque à du Dantec, en plus pompeux (non, sérieux, Dantec est quand même bien plus métallique du tranchant... je rigolais), mais que Dantec ne peut apparemment pas saquer Teilhard (ni Werber comme je l'ai déjà mentionné), ou alors je saisis mal les allusions, ce qui est possible.
Mais ne vous y trompez pas, La place de l'homme dans la nature est un bon livre, évoquant le développement de la pensée globale avec une visée scientifique ; ce n'est que dans les dernières pages qu'il part un peu en vrille vers des aspects plus religieux. Une mention spéciale à la présentation de Jean Onimus indispensable pour comprendre le contexte de publication d'un ouvrage scientifique tel que celui-ci (notamment pour un père jésuite en légère rupture avec sa hiérarchie terrestre).
Posted by Jean-Philippe on January 31, 2004 5 Comments, 0 TrackBacks
January 29, 2004
« Il était en train de laisser un pourboire en pièces de vingt-cinq cents lorsqu'une voix féminine l'apostropha :
– Salut, tu viens-tu souvent par ici ?
Il reconnut l'accent et la grammaire locale.
Il se retourna, offrit le meilleur sourire de bienvenue qu'il avait en magasin et mentit effrontément.
– Oui, c'est mon bar préféré dans le coin. »
Maurice G. Dantec, Babylon Babies
[page 191, Éditions Gallimard (1999), collection folio SF (2001)]
Posted by Jean-Philippe on January 29, 2004 1 Comments, 0 TrackBacks
January 22, 2004
« Anton Gorsky s'était assis pesamment sur la banquette de la Lexus Stereolab. Le cuir de vachette véritable avait gémi d'un craquement sensuel, il avait étalé ses jambes de tout son long en poussant un râle de plaisir. »
Maurice G. Dantec, Babylon Babies
[page 64, Éditions Gallimard (1999), collection folio SF (2001)]
Posted by Jean-Philippe on January 22, 2004 22 Comments, 0 TrackBacks
January 17, 2004
« On peut donc réutiliser des matrices d'input-output économiques et les retraduire en termes d'énergie afin de mesurer la quantité totale d'énergie et de travail (sous forme de biens et de services) nécessaires pour atteindre un niveau de production donné. Ce qui a été réalisé par Bruce Hannon, de l'université de l'Illinois, en 1974.
Par exemple : pour produire 100 000 dollars d'aluminium de plus, il faut 9,5.109 Kcal de plus et 5 personnes. Mais, pour produire la même valeur supplémentaire de tabac (industrie faible consommatrice d'énergie), il ne faut que 1,2.109 Kcal et la création de 32 nouveaux emplois. En d'autres termes, un transfert de 100 000 dollars dans la demande finale de l'aluminium vers le tabac réduirait la consommation d'énergie de 33 % tout en créant 27 nouveaux emplois.
La construction d'autoroutes est un des plus gros consommateurs d'énergie, à cause de l'utilisation de l'asphalte dérivé du pétrole, et de l'emploi du ciment, dont la fabrication consomme de grande quantités d'énergie. Un programme de construction d'autoroutes de 5 milliards de dollars consomme 55,4.1012 Kcal et fait travailler directement ou indirectement 256 000 personnes. La même somme investie dans la création d'un réseau de voies ferrées consommerait 20,1.1012 Kcal et ferait travailler 264 000 personnes, soit un gain de 8 000 emplois sur le programme d'autoroutes. Enfin, la même somme dépensée dans un vaste programme de santé publique consommerait certes de l'énergie, mais permettrait la création de 423 000 emplois (167 000 de plus que le programme d'autoroutes et 159 000 de plus que le programme de réseaux de chemin de fer).
L'analyse énergétique contribuera de manière très positive à faciliter les choix des moyens les plus avantageux et les plus appropriés pour résoudre certains des problèmes posés par la crise de l'énergie, la crise de l'alimentation et la crise de l'environnement. Car elle permettra, par exemple, de répondre, chiffres à l'appui, à des questions de ce type : est-il plus coûteux de mettre en oeuvre de nouvelles sources d'énergie ou d'améliorer l'efficacité de la production d'aluminium ? »
Joël de Rosnay, Le macroscope – Vers une vision globale (1975)
[pages 174-175, Éditions du Seuil, collection Points Essais]
Voilà. Il ne reste plus qu'à développer l'industrie du tabac. L'emploi s'en portera mieux. Et puis cela fera effet boule de neige. Plus de malades, d'où besoin de développer de vastes programmes de santé publique. Tout ira pour le mieux!
Ce livre écrit quelques années après mai 68 et en pleine crise de l'énergie mondiale a un peu vieilli, c'est dommage. Outre le fait qu'il contient ici ou là quelques coquilles, on y trouve je pense ce que l'on peu considérer comme des erreurs scientifiques. Cela reste cependant un formidable livre d'introduction à la systémique.
Posted by Jean-Philippe on January 17, 2004 13 Comments, 0 TrackBacks
October 30, 2003
Cédric aime les pommes, les poires et les oranges. Pour lui tout peut être expliqué à l'aide de ces entités bien concrètes.
Dans un autre genre, Jean-Philippe traîne son allégorie du cube rouge au milieu d'une patinoire.
Et Hilbert aime les tavernes :
« (...) En septembre 1891, il suivit une conférence de Hermann Wiener qui suggéra la possibilité de développer la géométrie projective de façon axiomatique, à partir des théorèmes de Pascal et de Desargues. C'est à cette occasion que Hilbert dit : « On devrait toujours pouvoir remplacer “points, lignes et plans” par “tables, chaises et canettes de bière” » (Blumenthal (1935), p. 403.). En d'autres termes, il devrait être possible de dépouiller les arguments de mots qui pourraient introduire subrepticement un sens et impliquer une validité que la structure logique de l'argument ne peut, en fait, posséder. S'il n'était pas le premier à souligner ce point, il en saisit la signification plus profondément. »
Jeremy J. Gray, Le Défi de Hilbert - Un siècle de mathématiques - Introduction de Pierre Cartier (The Hilbert challenge, 2000 - 2003 pour la traduction française)
[page 51, Éditions Dunod, collection UniverSciences]
Posted by Jean-Philippe on October 30, 2003 15 Comments, 0 TrackBacks
« Les rencontres par Internet vont prendre un nouvel élan. Bientôt on poura mettre son autoportrait filmé par webcam et indiquer toutes les caractéristiques de la personne qu'on recherche : âge, région, hobbies, couleur des yeux, etc. Bientôt on ne rencontrera plus les gens par hasard. Tu te présenteras sur le Net avec une photo ou un film, et tu préciseras : « Je cherche une rousse obsédée bisexuelle à tendance échangiste, avec des gros seins et un sexe étroit, qui aime les disques de Cat Stevens et le basket-ball, le cinéma de Tarantino et le Parti républicain ». Ton portable ou ton mail te préviendra dès que quelqu'un correspondant à tes critères sera dans ton quartier. Plus besoin de sortir dans des bars à la con. Quel dommage, je ne verrai pas ce monde parfait, aux rencontres rationnelles comme des annonces immobilières. Je voulais vivre dans le virtuel mais je vais mourir dans la réalité. »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[page 306, Éditions Grasset]
Posted by Jean-Philippe on October 30, 2003 14 Comments, 0 TrackBacks
« Il y a une utopie communiste et cette utopie s'est arrêtée en 1989. Il y a une utopie capitaliste et cette utopie s'est arrêtée en 2001. »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[page 203, Éditions Grasset]
Posted by Jean-Philippe on October 30, 2003 7 Comments, 0 TrackBacks
October 29, 2003
« (...) Je prends un air blasé quand nous franchissons le mur du son au-dessus de celui de l'Atlantique... (...) »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[page 196, Éditions Grasset]
Posted by Jean-Philippe on October 29, 2003 10 Comments, 0 TrackBacks
« (...) Ils ont sauté tout simplement parce qu'à l'extérieur il faisait moins chaud qu'à l'intérieur. Tu sais, on a beau être spécialisé dans les fusions-acquisitions, ça fait une impression bizarre d'être en fusion tout court. (...) »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[page 191, Éditions Grasset]
Toute référence aux frères Cohen est... à votre guise.
Posted by Jean-Philippe on October 29, 2003 15 Comments, 0 TrackBacks
« « Les plantes sont plus aware que les autres species » ; « Manger des cacahuètes, it's really a strong feeling ». J'aime bien le franglais ; c'est la langue du futur. Un livre vient de sortir qui en fait l'éloge : un florilège de citations de Jean-Claude Van Damme, acteur de karaté d'origine belge installé à Hollywood. « La drogue c'est comme quand tu close your eyes. »« Un biscuit ça n'a pas de spirit. » En 2050, tout le monde speakera comme Jean-claude Van Damme, le héros du film
Replicant. « Mourir c'est vraiment strong ». Les jeunes gens enfermés dans un loft audiovisuel ont embrayé le pas alerte du cybord belge, très spontanément : « Je suis pas très free du body », « Moi je dis yes à la life », « Est-ce que tu kiffes la night ? », « Je navigue au feeling ». Il ne faut pas avoir peur des mots anglais. Ils s'intègrent paisiblement à notre idiome, afin de créer la langue mondiale, celle qui désobéit à Dieu : la langue unique de Babel. Les words du world. Le nouveau vocabulaire des SMS (« A12C4 »), les logos d'internet :-), l'évolution de l'orthographe kidélirgrav, la popularisation du verlan, tout cela contribue à fabriquer la novlangue du troisième millénaire. Anyway, whatever. Laissons le dernier mot à Jean-Claude Van Damme : « Une seule langue, une seule monnaie et pas de religion, et on s'en portera tous mieux. Mais on n'est pas là pour parler politique. » »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[pages 175-176, Éditions Grasset]
Ceux qui ont lu les dernières pages de mon mémoire de DEA de Sciences Cognitives comprendrons que je sois mort de rire à l'idée que Frédéric ait choisi la même citation de Van Damme pour attaquer son chapitre que moi pour clore mon mémoire.
Je me demande cependant pourquoi il n'accorde pas le franglais suivant les règles de la grammaire française... Tant de questions sans réponse.
Posted by Jean-Philippe on October 29, 2003 12 Comments, 0 TrackBacks
« (...) Dans ce nouveau monde, l'amour durait trois ans, grand maximum. (...) »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[pages 177, Éditions Grasset]
C'est dingue comme Frédéric est autoréférentiel, y'en a partout des bouts comme celui-ci...
Posted by Jean-Philippe on October 29, 2003 19 Comments, 0 TrackBacks
« Ce qui est positif dans le célibat, c'est qu'on n'est pas obligé de tousser pour couvrir le plouf quand on fait caca. »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[page 135, Éditions Grasset]
Posted by Jean-Philippe on October 29, 2003 18 Comments, 0 TrackBacks
« (...) Pour penser à autre chose, une grave interrogation sémantique me saisit : quel verbe utiliser pour désigner un avion se posant dans un immeuble ? « Atterir » ne convient plus puisqu'il n'est plus question de toucher terre (même problème en anglais : « to land » suppose la présence d'un pays sous les roues). Je propose « immeublir ». Exemple : « Mesdames et Messieurs, ici votre commandant de bord. Nous approchons notre destination et allons donc bientôt immeublir à Paris. Nous vous remercions de relever vos tablettes, de redresser votre siège et d'attacher vos ceintures. Nous espérons que vous avez fait un agréable voyage en compagnie d'Air France et regrettons de ne plus jamais vous revoir sur nos lignes, ni ailleurs. Préparez-vous à l'attourissage. » »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[pages 119-120, Éditions Grasset]
Posted by Jean-Philippe on October 29, 2003 13 Comments, 0 TrackBacks
October 28, 2003
« (...) Je suis traumatisé par mon absence de traumatisme. (...) »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[page 60, Éditions Grasset]
Posted by Jean-Philippe on October 28, 2003 17 Comments, 0 TrackBacks
« (...) J'écris ce livre parce que j'en ai marre de l'antiaméricanisme hexagonal. Mon penseur français préféré, c'est Patrick Juvet : « I love America. » (...) »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[page 28, Éditions Grasset]
Posted by Jean-Philippe on October 28, 2003 12 Comments, 0 TrackBacks
« (...) Les petits me demandent : « C'est quoi un Français ? » Je leur apprends que la France est un petit pays d'Europe qui a aidé l'Amérique à se libérer du joug des Anglais entre 1776 et 1783, et que, pour les remercier, nos soldats les ont délivrés des nazis en 1944. (Je simplifie un peu pour raisons pédagogiques.) »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[pages 24-25, Éditions Grasset]
Posted by Jean-Philippe on October 28, 2003 14 Comments, 0 TrackBacks
Comme indiqué précédemment, Frédéric nous a pondu un nouveau roman, consacré à la tragédie du World Trade Center, événement funeste qui, entre ses mains habiles, prend une dimension sociale toute particulière.
« Vous connaissez la fin : tout le monde meurt. Certes, la mort arrive à pas mal de gens, un jour ou l'autre. L'originalité de cette histoire, c'est qu'ils vont tous mourir en même temps et au même endroit. Est-ce que la mort crée des liens entre les hommes ? On ne dirait pas (...). »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World (2003)
[page 11, Éditions Grasset]
Posted by Jean-Philippe on October 28, 2003 18 Comments, 0 TrackBacks
October 27, 2003
« (...) « Un Français qui ne prend rien en considération en dehors de la France est-il plus français ? Ou moins français ? En fait, être français, c'est justement prendre en considération autre chose que la France (Gombrowicz, Journal 1957-1960, Denoël, 1976, p.25). » Phrase admirable qui explique l'attrait que la France a longtemps exercé sur les étrangers chassés de chez eux par la bêtise haineuse du Volksgeist. Si, par exemple, Emmanuel Lévinas, quittant la Lituanie en 1923, a choisi de faire ses études à l'université de Strasbourg, c'est parce que « la France est un pays où l'attachement aux formes culturelles semble équivaloir à l'attachement à la terre (Lévinas, « Portrait », in Les Nouveaux Cahiers, no 82, automne 1985, p.34) ». La France ne se réduit pas à la francité, son patrimoine n'est pas composé, pour l'essentiel, de déterminations inconscientes ou de modes d'êtres typiques et héréditaires mais de valeurs offertes à l'intelligence des hommes, et Lévinas lui-même est devenu français par amour pour Molière, pour Descartes, pour Pascal, pour Malebranche – pour des oeuvres qui ne témoignent d'aucun pittoresque, mais qui, prenant en considération autre chose que la France, sont des contributions originales à la littérature universelle ou à la philosophie.
Cet idéal est aujourd'hui en voie de disparition. »
Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée (1987)
[page 138-139, Éditions Gallimard, collection folio essais]
Posted by Jean-Philippe on October 27, 2003 16 Comments, 0 TrackBacks
« (...) c'est la définition donnée en 1913 par Joseph Staline qui a fini par l'emporter : « La nation est une communauté humaine, stable, historiquement constituée, née sur la base d'une communauté de langue, de territoire, de vie économique et formation psychique qui se traduit dans une communauté de culture (Staline, Le communisme et la Russie, Denoël, coll. Médiations, 1968, p.85). » »
Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée (1987)
[pages 101-102, Éditions Gallimard, collection folio essais]
En lisant ces quelques lignes, la chose la plus surprenante pour moi fut de constater qu'il s'agissait quasiment de la définition que j'avais apprise en histoire au collège et/ou au lycée. Peut-être que nous parlions plutôt d'une « communauté d'intérêts », mais là je me mélange peut-être avec la définition d'un groupe au sens large (une vision consensuelle du groupe restreint étant, rappelons-le, celle d'un « Ensemble de personnes poursuivant en commun certains objectifs ») :
« Le groupe est un champ psychosocial dynamique constitué d'un ensemble repérable de personnes dont l'unité résulte d'une certaine communauté du sort collectif et de l'interdépendance des sorts individuels. Ces personnes, liées volontairement ou non, sont conscientes les unes des autres, interagissent et s'interinfluencent directement. »
C. Leclerc, Comprendre et construire les groupes (1999)
[Québec: Les Presses de l'Université Laval]
Notons que la vision d'un groupe au sens large s'applique plutôt pas mal à une nation...
Posted by Jean-Philippe on October 27, 2003 19 Comments, 0 TrackBacks
« (...) En se rassemblant dans le dessein de faire une constitution, les révolutionnaires ont cru réitérer le pacte primordial qui est à l'origine de la société. Pour établir le régime d'assemblée, ils se sont autorisés du contrat social. Or, répondent les défenseurs de la tradition, il n'y a jamais eu de contrat : un citoyen n'appartient pas à sa nation en vertu d'un décret de sa volonté souveraine. Cette idée est une chimère, et cette chimère a engendré tous les crimes. « Une assemblée quelconque d'hommes, écrit Joseph de Maistre, ne peut constituer une nation. Une entreprise de ce genre doit même obtenir une place parmi les actes de folie les plus mémorables (J. de Maistre, Oeuvres complètes, I, Vitte, Lyon, 1884, p. 230.). » »
Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée (1987)
[page 25, Éditions Gallimard, collection folio essais]
Posted by Jean-Philippe on October 27, 2003 22 Comments, 0 TrackBacks
September 05, 2003
« L'autre jour, dans la maison des Websters, il pensait à un esprit qui ignorerait la routine de la logique, à un esprit que n'auraient pas touché quatre mille ans de pensée humaine. Voilà, s'était-il dit, ce qu'il fallait chercher.
Eh bien ! il venait de le trouver, l'esprit neuf.
Mais ce n'était pas encore assez. Il manquait quelque chose ; quelque chose à quoi il n'avait jamais songé, et à quoi les hommes de Genève n'avaient jamais songé non plus. Ce quelque chose, c'était un des éléments de la mentalité humaine que l'on avait toujours jusqu'alors considéré comme fondamental.
La pression sociale, c'était cela qui avait maintenu la cohésion de la race humaine pendant tous ces millénaires, c'était cela qui lui avait donné son unité, tout comme la pression de la faim avait enchaîné les fourmis à une structure sociale figée.
Le besoin de chaque être humain de se sentir approuvé par ses semblables, le besoin d'un certain culte de la fraternité : un besoin psychologique, presque physiologique d'être dans la norme. C'était une véritable force qui empêchait les hommes de prendre la tangente de la société, et dont découlaient la sécurité et la solidarité humaines et le bon fonctionnement de la famille humaine.
Des hommes mouraient pour obtenir cette approbation, ils se sacrifiaient, se résolvaient à une vie méprisable. Car, désapprouvé par ses semblables, l'homme était abandonné à lui-même, il n'était plus qu'un hors-la-loi, qu'un animal chassé de la meute.
Les conséquences de ce besoin pouvaient être terribles ; il expliquait la persécution raciale, les atrocités massives commises au nom du patriotisme ou de la religion. Mais c'était aussi le lien qui maintenait l'unité de la race humaine, c'était cela qui, dès le début, avait rendu possible la société humaine. »
Clifford D. Simak, Demain les chiens (City, 1952 - 1953 pour la traduction française)
[page 122-123, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on September 05, 2003 9 Comments, 0 TrackBacks
September 02, 2003
« Le premier souffle du printemps entra par la fenêtre, emplissant le bureau de la promesse des neiges fondues, des feuilles et des fleurs à venir, des triangles de canards sauvages fendant le ciel bleu à destination du nord, des truites rôdant dans les remous, guettant la mouche.
Webster leva les yeux de la liasse de papiers posée sur son bureau, huma la brise et sentit sur sa joue la caresse de l'air frais. Il tendit la main dans la direction de son verre de cognac, le trouva vide et le reposa.
Il se pencha à nouveau sur ses papiers, prit un crayon et barra un mot.
Il relut d'un oeil critique les derniers paragraphes :
« Le fait que sur les deux cent cinquante personnes qui étaient invitées à venir me voir, pour des missions de la plus haute importance, trois seulement ont réussi à venir ne prouve pas nécessairement que les deux cent quarante-sept autres souffrent d'agoraphobie. Parmi ces gens, certains peuvent avoir eu des raisons légitimes, qui les ont empêchés de se rendre à mon invitation. Mais cela n'en indique pas moins, chez les hommes menant sur la Terre l'existence qui a suivi la dissolution des cités, une répugnance croissante à quitter les endroits qui leur sont familiers, une tendance de plus en plus marquée à demeurer dans le cadre que leur esprit a pris l'habitude d'associer avec une existence agréable.
« Jusqu'où sera poussée cette tendance, nul ne saurait l'affirmer, puisqu'elle ne se manifeste qu'au sein d'une petite fraction des habitants de la Terre. Dans les familles nombreuses, la pression économique contraint certains des fils à aller chercher fortune en d'autres régions de la Terre ou sur l'une des autres planètes. Certains vont courir l'aventure dans l'espace, et d'autres adoptent des métiers ou des professions qui rendent impossible une existence sédentaire. »
Il tourna la page et lut le dernier feuillet.
C'était incontestablement un bon article, mais il ne pouvait le faire publier ; pas encore. Peut-être paraîtrait-il après sa mort. Personne, autre que lui, à sa connaissance, n'avait pris une conscience aussi nette de cette nouvelle tendance qui faisait que les hommes répugnaient à quitter leur domicile. Et pourquoi, après tout, devraient-ils sortir de chez eux ?
De là résultent certains dangers... »
Clifford D. Simak, Demain les chiens (City, 1952 - 1953 pour la traduction française)
[page 73-74, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on September 02, 2003 23 Comments, 0 TrackBacks
« John J., le premier John J., était venu ici après l'effondrement des cités, après que les hommes eurent abandonné à jamais les tanières du XXe siècle, après qu'ils se furent libérés de l'instinct grégaire qui les poussait à se rassembler dans une caverne ou dans une clairière pour affronter un ennemi commun ou une angoisse commune. Un instinct qui avait passé de mode puisqu'il n'y avait plus d'ennemis ni de peurs à combattre. L'homme s'était révolté contre cet instinct que les conditions économiques et sociales lui avaient imposé jadis. Une nouvelle sécurité morale et matérielle avait permis la dispersion du troupeau.
Les premières traces de cette dispersion remontaient au XXe siècle, à plus de deux cents ans en arrière, à l'époque où les hommes étaient allés s'installer à la campagne pour avoir de l'air, de l'espace et une vie agréable que l'existence communautaire, sous sa forme la plus stricte, ne leur avait jamais donnée.
Et le résultat était là. Une vie paisible. Une paix que seules pouvaient donner les bonnes choses de ce monde. Le genre de vie à quoi les hommes aspiraient depuis des années. Une existence seigneuriale fondée sur des demeures ancestrales et de vastes domaines, où les atomes fournissaient l'énergie nécessaire et où les robots remplaçaient les serfs. »
Clifford D. Simak, Demain les chiens (City, 1952 - 1953 pour la traduction française)
[page 62-63, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on September 02, 2003 12 Comments, 0 TrackBacks
August 27, 2003
Frédéric Beigbeder a sorti un nouveau livre: Windows on the World.
Mais bon... trop de livres à lire en ce moment... il attendra encore quelques semaines...
Posted by Jean-Philippe on August 27, 2003 10 Comments, 0 TrackBacks
« Election parlementaire. Un politicien de l'opposition annonce que le « le problème dans ce pays, c'est qu'il n'y a plus de motivation. Tout le monde ne pense qu'à son petit confort personnel immédiat. On ne se bat plus pour être les premiers mais pour ne pas trop vite être les derniers ». Il ajoute « et si ce n'était que ça ! les entrepreneurs sont démotivés par les taxes et la paperasserie, les créateurs de richesse sont démotivés par les impôts, tout est fait dans ce pays comme si on voulait juste égaliser tout le monde dans la défaite ». »
Bernard Werber, L'ultime secret (2001)
[page 124, Éditions Le Livre de Poche]
Posted by Jean-Philippe on August 27, 2003 8 Comments, 0 TrackBacks
June 01, 2003
« Nous étions en train de discuter, Svetlana et moi, des travaux de Colin Wilson, datant du début des années soixante-dix, il avait mis dès cette époque le doigt sur un certain nombre de points essentiels, comme par exemple la nécessité de disposer de pas mal de temps libre, pour tuer de manière répétitive pendant des années. L'apparition des meurtriers en série est en effet inséparable de la naissance de la civilisation des « loisirs ».
Et ce, pour une raison bien simple : il faut du temps pour tuer. Et surtout il ne faut rien avoir de mieux à faire.
La civilisation des « loisirs » masque un sous-développement flagrant de l'esprit humain, et elle ne produit en fait qu'un mécanisme banal, parfaitement ennuyeux et dépersonnalisant, décortiqué depuis longtemps par les situationnistes, par exemple. Ces derniers ont expérimenté d'emblée la seule solution radicale, donc possible : celle de transformer l'espace urbain en terrain de jeu. En fait, les tueurs en série opèrent d'une façon similaire, quoique sous des modalités quelque peu différentes, je le reconnais.
Les situationnistes étaient des artistes et des êtres relativement épanouis, même s'ils étaient en rupture avec l'ordre du monde. Tous les artistes sont des démiurges ambivalents ; ils sont en rupture et en harmonie, de façon synchrone, c'est-à-dire « paradoxale ». C'est de la confrontation entre ces deux aspects de leur personnalité que naît leur prise de conscience. Mais pour d'autres individus, plus instables, la dépersonnalisation agit de manière différente : face à la perte de l'ego qui en résulte, la seule façon de continuer d'« exister », c'est-à-dire de « sentir » que l'on existe, ne peut résulter que d'une combinaison de violence et de rituel : la magie. Le raccourci symbolique qui redonne consistance et intensité à la vie.
La plupart des meurtriers en série ont en effet un QI se situant dans les strates supérieures du tableau. Ils font partie de ces cinq pour cent de la population considérés par les psychologues behavioristes comme « dominants », voire « sur-dominants ». Les meurtriers en série ont souvent un goût prononcé, voire des prédispositions réelles pour des activités nécessitant intelligence, créativité, et audace.
Mais lorsque la vie tout entière n'est plus qu'un vaste « espace de loisirs », sans but ni direction, neutre et sans affect, « média froid » où les séries télé s'enchaînent aux jeux stupides, au déluge publicitaire et à l'ennui, le nombre des solutions se restreint au fur et à mesure que s'empalent les frustrations.
Face à la dépersonnalisation de la civilisation des « loisirs », le tueur en série invente son propre Jeu, son territoire symbolique personnel, dont il est le maître absolu.
Le jeu est en effet une activité où l'identification est forte, c'est un « média chaud », pour reprendre la classification de Mac Luhan. La « vie » y est bien plus intense que dans la vie. Le jeu est magie pure.
Le sexe lui-même ne devient plus que le vecteur « magique » par lequel exercer la soif de domination, de créativité et de pouvoir, frustrée à tous les stades de l'évolution personnelle, stratifiée par Marslow selon sa « théorie des besoins » : nourriture/sécurité-territoire/sexe/reconnaissance en soi/activités métaphysiques ou créatrices.
Auxquels Svetlana et moi rajoutions l'affection maternelle, en seconde, voire en première position.
Si la vie bloque, pour une raison ou pour une autre, les divers stades de développements essentiels d'un individu dominant, si aucun cadre éthique ou éducatif ne vient stabiliser un tant soit peu l'édifice, et si l'ennui socialisé engendre un irrésistible phénomène de dépersonnalisation, alors la stratification des frustrations équivaut à un empilement de matières fissiles, atteignant fatalement la masse critique. L'acte meurtrier, qu'on le veuille ou non, est vécu par le tueur en série comme un acte hautement libérateur. Tout du moins au début.
Il n'est pas moins vrai qu'il en résulte l'anéantissement d'un autre être humain, but recherché par l'assassin, cela va sans dire. L'anéantissement se doit d'être total. Psychique et physique. Le viol (biologique ou non) est un facteur fréquemment rencontré. »
Les racines du mal, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (1995)
[pages 433-435, collection folio policier]
Posted by Jean-Philippe on June 01, 2003 21 Comments, 0 TrackBacks
May 17, 2003
« – Revenons-en à ta « coupures des racines », ai-je fait au bout d'un moment.
– Oui... si l'Arbre de la Connaissance est détaché des autres Sephiroth, en particulier de la Sephira Beauté, RaHaMiM, qui est aussi l'Arbre de la Vie, alors la CHeKHiNa dépérit... ou plus exactement elle se transmute, et libère l'Arbre de la Mort, qu'elle contient, l'Arbre du Mal, qui se déverse alors sur le monde... (Le Doctor Schizzo semblait peu à peu l'emporter dans son conflit avec l'entité rivale.) Étrangement ça nous ramène aux Tueurs du Millénaire, Dark...
J'ai failli m'en étrangler. De quoi est-ce qu'elle parlait, sacré foutu de bonsoir ?
– Comment ça ?
– La coupure des racines. La coupure des racines de la Connaissance. C'est très exactement ce que pensait Colin Wilson au demeurant. En perdant les contours de son identité, le tueur en série est complètement coupé de l'Unité. Il vit tout seul, dans sa forteresse étanche, en même temps que les frontières de son égo s'estompent. La conscience agit de façon paradoxale, nous le savons... L'Arbre de la Mort l'a envahi. Il est l'Instrument des Forces de l'Autre Côté, comme nous en informe le Zohar... L'Anti-Conscience...
– Je... Attends... Tu veux dire... Tu veux dire que nous avons affaire à des adorateurs de Satan ?
– Évidemment ! m'a alors lancé le Doctor Schizzo instable, de sa voix de stantor. Quelle que soit la forme que prend le rituel, cela va sans dire... Leurs racines sont coupées, Dark. Les racines qui les reliaient à la Vie, à la Beauté et à l'Unité. À la place ont germé les racines de l'Arbre de Mort. Les Racines du Mal. Ce sont les forces de l'Anti-Monde, de la Destruction. De l'Autodestruction... Mais attention, les théoriciens du Zohar pensaient que cela faisait partie du Programme Divin. Une manière de punir les hommes quand ils s'écartaient de la voie... Appelons ça une sorte de sécurité... Un mécanisme de nettoyage, qui détruit finalement celui qui en est l'instrument, dans une véritable spirale autodestructive... (...) »
Les racines du mal, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (1995)
[pages 482-483, collection folio policier]
Posted by Jean-Philippe on May 17, 2003 11 Comments, 0 TrackBacks
May 13, 2003
« Le cimetière allemand qu'il avait repéré sur la carte serait le prochain objectif.
Il reprit sa route, l'incendie comme un phare mystérieux dansant dans le rectangle noir du rétroviseur. Il roula d'une traite et se gara comme dans un rêve devant l'esplanade du cimetière de Mont-de-Huisnes, pas très loin du Mont-Saint-Michel.
Ici, de nombreux soldats allemands défendant le Mur de l'Atlantique étaient tombés lors de l'attaque ratée du 6 juin. S'il détruisait l'enceinte diabolique qui protégeait la crypte où survivaient leurs esprits malins, peut-être quelques hommes décrypteraient à temps son geste. C'est en détruisant l'esprit des morts qu'on obtient ce qu'on veut des vivants. C'est en s'attaquant aux racines du mal que l'humanité aurait peut-être un jour la possibilité de se libérer de ses chaînes. »
Les racines du mal, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (1995)
[page 111, collection folio policier]
Posted by Jean-Philippe on May 13, 2003 7 Comments, 0 TrackBacks
May 08, 2003
« Nous fîmes une pause rapide pour aller déjeuner. Au même moment, à moins d'un kilomètre, deux adolescents de la cité des Courtilières éclataient la tête d'une sexagénaire à coups de battes de base-ball. En entrée, je pris des maquereaux au vin blanc. »
Michel Houellebecq, Plateforme (2001)
[page 247, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on May 08, 2003 16 Comments, 0 TrackBacks
May 04, 2003
« (...)
Comment ça ? Attendre une société conviviale et fraternelle ? L'amitié ? Ça n'a jamais fondé une civilisation.
Vous avez bien une famille, des amis, des êtres humains avec lesquels vous entretenez des relations ? !
Attendez ! On parle de choses intimes ou de la civilisation ?
Je vois mal comment on peut détacher l'un de l'autre...
Ah bon ? ! Mais c'est inévitable. Comment peut-on envisager un peu de grandeur si on en reste à ces petites valences. Alors... On est gentils, on va au travail, le samedi on fait la fête, on est conviviaux... Ce n'est pas ça une société. Une société s'élabore sur des projets qui vont contre la volonté des hommes. C'est parce qu'on a voulu faire le bonheur des hommes qu'on est arrivés aux aberrations du XXe siècle. Une civilisation conviviale, c'est plus sympa, effectivement, mais ni les Grecs, ni les Perses n'étaient sympas. Et la qualité des relations humaines était largement supérieure à celle d'aujourd'hui. Une civilisation ne s'établit pas sur des valeurs de ce type, je ne crois pas à ces conneries.
(...) »
Écrire nous rend de plus en plus cinglés - Entretien avec Maurice G. Dantec par Richard Comballot, in Maurice G. Dantec, Périphériques - essais et nouvelles (2003)
[page 85, Éditions Flammarion]
Posted by Jean-Philippe on May 04, 2003 20 Comments, 0 TrackBacks
May 02, 2003
« (...) Je jetai alors les bases d'une théorie plus compliquée et plus douteuse: en résumé, les Blancs voulaient être bronzés et apprendre des danses de nègres ; les Noirs voulaient s'éclaircir la peau et se décrêper les cheveux. L'humanité entière tendait instinctivement vers le métissage, l'indifférenciation généralisée ; et elle le faisait en tout premier lieu à travers ce moyen élémentaire qu'était la sexualité. Le seul, cependant, à avoir poussé le processus jusqu'à son terme était Michael Jackson : il n'était plus ni noir ni blanc, ni jeune ni vieux ; il n'était même plus, dans un sens, ni homme ni femme. Personne ne pouvait véritablement imaginer sa vie intime ; ayant compris les catégories de l'humanité ordinaire, il s'était ingénié à les dépasser. Voici pourquoi il pouvait être tenu pour une star, et même pour la plus grande star – et, en réalité, la première – de l'histoire du monde. Tous les autres – Rudolf Valentino, Greta Garbo, Marlène Dietrich, Marilyn Monroe, James Dean, Humphrey Bogart – pouvaient tout au plus être considérés comme des artistes talentueux, ils n'avaient fait que mimer la condition humaine, qu'en donner une transposition esthétique ; Michael Jackson, le premier, avait essayé d'aller un peu plus loin. »
Michel Houellebecq, Plateforme (2001)
[pages 227-228, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on May 02, 2003 25 Comments, 0 TrackBacks
April 28, 2003
« (...) Un jour, à l'âge de douze ans, j'étais monté au sommet d'un pylône électrique en haute montagne. Pendant toute l'ascension, je n'avais pas regardé à mes pieds. Arrivé en haut, sur la plateforme, il m'avait paru compliqué et dangereux de redescendre. Les chaînes de montagnes s'étendaient à perte de vue, couronnées de neiges éternelles. Il aurait été beaucoup plus simple de rester sur place, ou de sauter. J'avais été retenu,
in extremis, par la pensée de l'écrasement ; mais, sinon, je crois que j'aurais pu jouir éternellement de mon vol. »
Michel Houellebecq, Plateforme (2001)
[pages 310-311, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on April 28, 2003 16 Comments, 0 TrackBacks
April 22, 2003
« Je regarde une mouche qui se cogne contre la fenêtre de ma chambre et je songe qu'elle est comme moi : il y a du verre entre elle et la réalité. Séparée du bonheur par une prison invisible. »
Frédéric Beigbeder, L'amour dure trois ans (1997)
[pages 146-147, Éditions Gallimard, collection Folio]
Posted by Jean-Philippe on April 22, 2003 17 Comments, 0 TrackBacks
April 14, 2003
« Je comprenais de moins en moins ce qui se passait. La société moderne était-elle devenue un film porno grandeur nature ? Ou bien étais-je simplement devenu beau ?
En tout cas, je plaisais, c'était un fait – et c'était nouveau. Je n'ai pas tendance à généraliser de façon hâtive, mais là, force m'était de constater que ma jeunesse insouciante, ma chemise propre et mon mental responsable m'avaient transformé en rouleau compresseur sexuel. Trois filles en une matinée ! Quelle bonne action avais-je accomplie pour mériter pareille récompense ?
Plus tard – l'après-midi brillait de tous ses feux – je pris l'autobus. Je fis l'amour à Joséphine, Murielle, Antoinette, Pascaline, Anne-Christine et Naomi entre les stations Bac-Saint-Germain et Trocadéro. Un teckel prénommé Marcel se frotta même contre le bas de mon pantalon.
Mon charme n'expliquait pas tout. Il devait y avoir autre chose. Ce n'est pas de l'humilité mais de la lucidité.»
Frédéric Beigbeder, Le jour où j'ai plu aux filles (1994) in Nouvelles sous ecstasy (1999)
[pages 32-33, Éditions Gallimard, collection Folio]
Posted by Jean-Philippe on April 14, 2003 13 Comments, 0 TrackBacks
April 11, 2003
« L'une des filles s'est enfoncé un stylo feutre dans le vagin. Accroupie, elle écrit avec son sexe sur une feuille de papier. Au bout de quelques minutes de cette gymnastique complexe, elle se relève et brandit la feuille où est écrit : « Welcome. » Frédéric est heureux de constater que la chose écrite a encore un avenir. Une telle performance ferait un tabac au Salon du Livre ! »
Frédéric Beigbeder, Extasy à Go-Go (1999) in Nouvelles sous ecstasy (1999)
[page 90, Éditions Gallimard, collection Folio]
Posted by Jean-Philippe on April 11, 2003 16 Comments, 0 TrackBacks
« Frédéric ne peut s'empêcher de penser à la devise du peintre Francis Bacon : « On naît, on meurt, et s'il se passe quelque chose entre les deux, c'est mieux. » »
Frédéric Beigbeder, Extasy à Go-Go (1999) in Nouvelles sous ecstasy (1999)
[page 87, Éditions Gallimard, collection Folio]
Posted by Jean-Philippe on April 11, 2003 23 Comments, 0 TrackBacks
J'ai été assez impressionné par Nouvelles sous ecstasy (1999) de Frédéric Beigbeder, car ces textes courts donnent un bon aperçu de ses capacités d'écrivain : le fabuleux Spleen à l'aéroport de Roissy-Charle-de-Gaulle est dans la veine des Exercices de style de Raymond Queneau, Le jour où j'ai plu aux filles vous donne cette sensation bizarre que quelque-chose-ne-va-pas-mais-on-ne-sait-pas-quoi, Manuscrit trouvé à Saint-Germain-des-Prés est une fiction délirante, Comment devenir quelqu'un revisite l'histoire récente de façon « alternative », La nouvelle la plus dégueulasse de ce recueil s'approche des perversions qu'un Dantec sait si bien nous conter, et enfin (cependant la liste est non exhaustive) Extasy à Go-Go (bien que proposant une fin légèrement prévisible) vous plonge dans un univers cher à Houellebecq.
Donc un livre permettant de passer de bons moments...
Posted by Jean-Philippe on April 11, 2003 20 Comments, 0 TrackBacks
« Il fait nuit noire dans tout l'univers. L'univers est une immensité vide et obscure ne rimant à rien. Quelque part dans cet espace infini se trouve une petite sphère inutile nommée la Terre. Sur cette planète ridicule, plusieurs continents sont posés sur l'eau, qui se battent en duel pour rien. (...) »
Frédéric Beigbeder, Extasy à Go-Go (1999) in Nouvelles sous ecstasy (1999)
[page 83, Éditions Gallimard, collection Folio]
Posted by Jean-Philippe on April 11, 2003 0 Comments, 0 TrackBacks
« (...) Je compose des airs de house incroyables dans ma tête. Je suis Wolfgang Amade-House ! »
Frédéric Beigbeder, La première gorgée d'ecstasy (1994) in Nouvelles sous ecstasy (1999)
[page 38, Éditions Gallimard, collection Folio]
Posted by Jean-Philippe on April 11, 2003 24 Comments, 0 TrackBacks
April 10, 2003
Je suis passé assez brièvement hier à la Fnac du Forum des Halles... et après mes fureurs d'achats Dantec puis Houellebecq des dernières semaines, je me suis cette fois déchaîné sur Frédéric Beigbeder (dont j'avais déjà lu 99 F... hum, excusez-moi : 14,99 €).
J'ai ainsi acheté : Vacances dans le coma (1994), L'amour dure trois ans (1997), Nouvelles sous ecstasy (1999) et Dernier inventaire avant liquidation (2001). Malheureusement, je n'ai pas réussi à trouver Mémoires d'un jeune homme dérangé.
Pour alléger ma conscience, Nouvelles sous ecstasy fut dévoré dans la soirée...
J'en ai aussi profité pour compléter ma collection Houellebecq, avec Rester vivant et autres textes (1991, mais 1999 pour l'édition Librio) et Lanzarote et autres textes (2002). Je cherchais d'autres ouvrages, notamment les poésies, mais je ne les ai point trouvées.
Posted by Jean-Philippe on April 10, 2003 4 Comments, 0 TrackBacks
Dans la nuit d'avant hier, j'ai terminé les Interventions de Michel Houellebecq, lecture rapide et facile pour un collage de textes qui recèle quelques bonnes surprises. Parallèlement et après des débuts difficiles, on peut dire que j'apprécie maintenant pleinement L'insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera. J'ai déjà placé quelques extraits de ces deux ouvrages sur ce site (d'autres sont probablement à venir). Enfin, dans ma volonté de lire tout ce qu'a écrit Maurice G. Dantec (romans, journaux polémiques et métaphysiques, interviews), je commence lentement Les racines du mal.
Je m'aperçois cependant peu à peu que Houellebecq et Dantec sont deux auteurs relativement commerciaux (ce qui n'enlève rien à l'intérêt personnel que je peux leur porter). Houellebecq est très aisé à lire, même amusant par son cynisme dégoulinant... on est cependant encore loin de la prose d'un Camus. Quant à Dantec, bien que j'aie été fasciné par les deux tomes de son journal (Le théâtre des opérations puis Laboratoire de catastrophe générale), je suis pour l'instant un peu déçu par ce broyeur de pensée unique en tant que romancier, après avoir dévoré La sirène rouge : l'intrigue étant trop simpliste et les personnages présentés à l'aide de procédés trop scolaires. On sent vraiment que son style s'est amélioré et a même changé en bien avec Les racines du mal ; il en va de même pour sa maîtrise des structures scénaristiques. Comme Dantec l'avoue lui-même, il est brouillon, ce qui ne dérange pas trop dans des romans de littérature totale. Mais dans ses réflexions, certaines imprécisions commencent à me poser problème, notamment par le peu de sources qu'il cite (je pense que je développerai ce point lorsque j'aurai fini de lire toutes ses productions).
On trouve aussi dans mon tohobuhu littéraire actuel La pierre et le sabre de Eiji Yoshikawa, roman que j'ai commencé il y a de cela plusieurs mois et dont j'ai arrêté net la lecture faute de temps. Je viens tout juste de m'y remettre.
Pour boucler cette liste, certains remarqueront un phrasebook d'espagnol d'Amérique latine... voyez-y ce que vous voudrez...
Posted by Jean-Philippe on April 10, 2003 30 Comments, 0 TrackBacks
April 09, 2003
« Ses soucis retombèrent sur lui d'un seul coup, dès qu'il eut franchit la porte de l'appartement. Johanna, la baby-sitter, vautrée dans le canapé, regardait MTV. Il haïssait cette préadolescente molle, absurdement groove ; chaque fois qu'il la voyait il avait envie de la bourrer de paires de claques, jusqu'à modifier l'expression de sa sale gueule boudeuse et blasée. C'était la fille d'une amie d'Audrey.
(...)
Il passa dans la cuisine, se servit un verre d'eau. Ses mains tremblaient. Sur le plan de travail, il aperçut un marteau. Les paires de claques n'auraient pas été suffisantes pour Johanna ; ce qui aurait été bien, c'est de lui défoncer le crâne à coup de marteau. Il joua quelques temps avec cette idée ; les pensées se croisaient rapidement dans son esprit, assez peu maîtrisées. Avec effroi, dans le vestibule, il s'aperçu qu'il tenait le marteau à la main. (...) »
Michel Houellebecq, Plateforme (2001)
[pages 252-253, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on April 09, 2003 7 Comments, 0 TrackBacks
April 08, 2003
« Franz dit : « En Europe, la beauté a toujours eu un caractère intentionnel. Il y a toujours eu un dessein esthétique et un plan de longue haleine ; il a fallu des siècles pour édifier d'après ce plan une cathédrale gothique ou une ville Renaissance. La beauté de New York a une tout autre origine. C'est une beauté non-intentionnelle. Elle est née sans préméditation de la part de l'homme, comme une grotte de stalactites. Des formes, hideuses en elles-mêmes, se retrouvent par hasard, sans plan aucun, dans d'improbables voisinages où elles brillent tout à coup d'une poésie magique. »
Sabina dit : « La beauté non intentionnelle. Bien sûr. On pourrait dire aussi : la beauté par erreur. Avant de disparaître totalement du monde, la beauté existera encore quelques instants, mais par erreur. La beauté par erreur, c'est le dernier stade de l'histoire de la beauté. » »
Milan Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être (1984/1987)
[pages 149-150, Éditions Folio]
Posted by Jean-Philippe on April 08, 2003 23 Comments, 0 TrackBacks
April 07, 2003
« (...) Il est faux de prétendre que les êtres humains sont uniques, qu'ils portent en eux une singularité irremplaçable ; en ce qui me concerne, en tout cas, je ne percevais aucune trace de cette singularité. C'est en vain, le plus souvent, qu'on s'épuise à distinguer des destins individuels, des caractères. En somme, l'idée d'unicité de la personne humaine n'est qu'une pompeuse absurdité. On se souvient de sa propre vie, écrit Schopenhauer, un peu plus que d'un roman qu'on aurait lu par le passé. Oui, c'est cela : un peu plus seulement. »
Michel Houellebecq, Plateforme (2001)
[pages 175, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on April 07, 2003 15 Comments, 0 TrackBacks
April 06, 2003
« Ce n'est pas aussi compliqué qu'on le raconte, les relations humaines : c'est souvent insoluble, mais c'est rarement compliqué. »
Michel Houellebecq, Plateforme (2001)
[pages 159-160, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on April 06, 2003 28 Comments, 0 TrackBacks
« La seconde joie que m'apporta Valérie, ce fut l'extraordinaire douceur, la bonté naturelle de son caractère. Parfois, lorsque ses journées de travail avaient été longues – et elles devaient devenir, au fil des mois, de plus en plus longues – je la sentais tendue, épuisée nerveusement. Jamais elle ne se retourna contre moi, jamais elle ne se mit en colère, jamais elle n'eut une de ces crises nerveuses imprévisibles qui rendent parfois le commerce des femmes si étouffant, si pathétique. (...) »
Michel Houellebecq, Plateforme (2001)
[page 158, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on April 06, 2003 15 Comments, 0 TrackBacks
« On peut caractériser la vie comme un processus d'immobilisation, bien visible chez le bouledogue français – si frétillant dans sa jeunesse, si apathique dans son âge mûr. »
Michel Houellebecq, Plateforme (2001)
[page 115, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on April 06, 2003 21 Comments, 0 TrackBacks
April 04, 2003
« (...) C'est dans le rapport à autrui qu'on prend conscience de soi ; c'est bien ce qui rend le rapport à autrui insupportable. »
Michel Houellebecq, Plateforme (2001)
[page 89, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on April 04, 2003 23 Comments, 0 TrackBacks
April 02, 2003
« (...) Le christianisme a besoin de la maladie, à peu près comme l'hellénisme a besoin d'un excès de santé – rendre malade est la véritable intention cachée de toute la thérapeutique du salut pratiquée par l'Église. Et l'Église elle-même, n'est-elle pas l'asile d'aliénés catholique conçu comme suprême idéal ? – la Terre entière conçue comme un asile d'aliénés ? (...) »
Friedrich Nietzsche, L'Antéchrist (1895)
[page 69, Éditions Folio, collection folio essais]
Ce sacré Friedrich est toujours un peu excessif, mais on y trouve toujours quelques éléments à réflexion.
Posted by Jean-Philippe on April 02, 2003 27 Comments, 0 TrackBacks
« La publicité échoue, les dépressions se multiplient, le désarroi s'accentue ; la publicité continue cependant à bâtir les infrastructures de réception de ses messages. Elle continue à perfectionner des moyens de déplacement pour des êtres qui n'ont nulle part où aller, parce qu'ils ne sont nulle part chez eux ; à développer des moyens de communication pour des êtres qui n'ont plus rien à dire ; à faciliter les possibilités d'interaction entre des êtres qui n'ont plus envie d'entrer en relation avec quiconque. »
Michel Houellebecq, Approches du désarroi - Le monde comme supermarché et comme dérision in Interventions (1998)
[pages 76-77, Éditions Flammarion]
Posted by Jean-Philippe on April 02, 2003 14 Comments, 0 TrackBacks
March 31, 2003
« Du point de vue amoureux Véronique appartenait, comme nous tous, à une génération sacrifiée. Elle avait certainement été capable d'amour ; elle aurait souhaité en être capable, je lui rends ce témoignage ; mais cela n'était plus possible. Phénomène rare, artificiel et tardif, l'amour ne peut s'épanouir que dans des conditions mentales spéciales, rarement réunies, en tous points opposées à la liberté des mœurs qui caractérise l'époque moderne. Véronique avait connu trop de discothèques et d'amants ; un tel mode de vie appauvrit l'être humain, lui infligeant des dommages parfois graves et toujours irréversibles. L'amour comme innocence et comme capacité d'illusion, comme aptitude à résumer l'ensemble de l'autre sexe à un seul être aimé, résiste rarement à une année de vagabondage sexuel, jamais à deux. En réalité, les expériences sexuelles successives accumulées au cours de l'adolescence minent et détruisent rapidement toute possibilité de projection d'ordre sentimental et romanesque ; progressivement, et en fait assez vite, on devient aussi capable d'amour qu'un vieux torchon. Et on mène ensuite, évidemment, une vie de torchon ; en vieillissant on devient moins séduisant, et de ce fait amer. On jalouse les jeunes, et de ce fait on les hait. Cette haine, condamnée à rester inavouable, s'envenime et devient de plus en plus ardente ; puis elle s'amortit et s'éteint, comme tout s'éteint. Il ne reste plus que l'amertume et le dégoût, la maladie et l'attente de la mort. »
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994)
[pages 114, Éditions J'ai lu, collection Nouvelle Génération (2002)]
Posted by Jean-Philippe on March 31, 2003 19 Comments, 0 TrackBacks
March 30, 2003
« Véronique était en « analyse », comme on dit ; aujourd'hui, je regrette de l'avoir rencontrée. Plus généralement, il n'y a rien à tirer des femmes en analyse. Une femme tombée entre les mains des psychanalystes devient définitivement impropre à tout usage, je l'ai maintes fois constaté. Ce phénomène ne doit pas être considéré comme un effet secondaire de la psychanalyse, mais bel et bien comme son but principal. Sous couvert de reconstruction du moi, les psychanlystes procèdent en réalité à une scandaleuse destruction de l'être humain. Innocence, générosité, pureté... tout cela est rapidement broyé entre leurs mains grossières. Les psychanalystes, grassement rémunérés, prétentieux et stupides, anéantissent définitivement chez leurs soit-disant patientes toute aptitude à l'amour, aussi bien mental que physique ; ils se comportent en fait en véritables ennemis de l'humanité. Impitoyable école d'égoïsme, la psychanalyse s'attaque avec le plus grand cynisme à de braves filles un peu paumées pour les transformer en d'ignobles pétasses, d'un égocentrisme délirant, qui ne peuvent plus susciter qu'un légitime dégoût. Il ne faut accorder aucune confiance, en aucun cas, à une femme passée entre les mains des psychanalystes. Mesquinerie, égoïsme, sottise arrogante, absence complète de sens moral, incapacité chronique d'aimer : voilà le portrait exhaustif d'une femme « analysée ».
Véronique correspondait, il faut le dire, trait pour trait à cette description. Je l'ai aimée, autant qu'il était en mon pouvoir – ce qui représente beaucoup d'amour. Cet amour fut gaspillé en pure perte, je le sais maintenant ; j'aurais mieux fait de lui casser les deux bras. Elle avait sans doute depuis toujours, comme toutes les dépressives, des dispositions à l'égoïsme et à l'absence de cœur ; mais sa psychanalyse l'a transformée de manière irréversible en une véritable ordure, sans tripes et sans conscience – un détritus entouré de papier glacé. Je me souviens qu'elle avait un tableau en Velléda blanc, sur lequel elle inscrivait d'ordinaire des choses du genre « petit pois » ou « pressing ». Un soir, en rentrant de sa séance, elle avait noté cette phrase de Lacan : « Plus vous serez ignoble, mieux ça ira. » J'avais souri ; j'avais tort. Cette phrase n'était encore, à ce stade, qu'un programme ; mais elle allait le mettre en application, point par point.
Un soir que Véronique était absente, j'ai avalé un flacon de Largactyl. Pris de panique, j'ai ensuite appelé les pompiers. Il a fallu m'emmener en urgence à l'hôpital, me faire un lavage d'estomac, etc. Bref, j'ai bien failli y passer. Cette salope (comment la qualifier autrement ?) n'est même pas venue me voir à l'hôpital. Lors de mon retour « à la maison », si l'on peut dire, tout ce qu'elle a trouvé comme mots de bienvenue c'est que j'étais un égoïste doublé d'un minable ; son interprétation de l'événement, c'est que je m'ingéniais à lui causer des soucis supplémentaires, elle « qui avait déjà assez à faire avec ses problèmes de boulot ». L'ignoble garce a même ajouté que je tentais de me livrer à un « chantage affectif » ; quand j'y pense, je regrette de ne pas lui avoir tailladé les ovaires. Enfin, c'est du passé. »
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994)
[pages 103-105, Éditions J'ai lu, collection Nouvelle Génération (2002)]
Posted by Jean-Philippe on March 30, 2003 13 Comments, 0 TrackBacks
March 29, 2003
« Je n'ai évidemment rien pu lui répondre ; mais je suis rentré à mon hôtel assez pensif. Décidément, me disais-je, dans nos sociétés, le sexe représente bel et bien un second système de différenciation, tout à fait indépendant de l'argent ; et il se comporte comme un système de différenciation au moins aussi impitoyable. Les effets de ces deux systèmes sont d'ailleurs strictement équivalents. Tout comme le libéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit des phénomènes de paupérisation absolue. Certains font l'amour tous les jours ; d'autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font l'amour avec des dizaines de femmes ; d'autres avec aucune. C'est ce qu'on appelle la « loi du marché ». Dans un système économique ou le licenciement est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver sa place. Dans un système sexuel où l'adultère est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver son compagnon de lit. En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables ; d'autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante ; d'autres sont réduits à la masturbation et la solitude. Le libéralisme économique, c'est l'extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c'est l'extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. Sur le plan économique, Raphaël Tisserand appartient au camp des vainqueurs ; sur le plan sexuel, à celui des vaincus. Certains gagnent sur les deux tableaux ; d'autres perdent sur les deux. Les entreprises se disputent certains jeunes diplômés ; les femmes se disputent certains jeunes hommes ; les hommes se disputent certaines jeunes femmes ; le trouble et l'agitation sont considérables. »
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994)
[pages 100-101, Éditions J'ai lu, collection Nouvelle Génération (2002)]
Posted by Jean-Philippe on March 29, 2003 17 Comments, 0 TrackBacks
« Je n'aime pas ce monde. Décidément, je ne l'aime pas. La société dans laquelle je vis me dégoûte ; la publicité m'écœure ; l'informatique me fait vomir. Tout mon travail d'informaticien consiste à multiplier les références, les recoupements, les critères de décision rationnelle. Ça n'a aucun sens. Pour parler franchement, c'est même plutôt négatif ; un encombrement inutile pour les neurones. Ce monde a besoin de tout, sauf d'informations supplémentaires. »
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994)
[pages 82-83, Éditions J'ai lu, collection Nouvelle Génération (2002)]
Posted by Jean-Philippe on March 29, 2003 18 Comments, 0 TrackBacks
« L'espèce des penseurs de l'informatique, à laquelle appartenait Jean-Yves Fréhaut, est moins rare qu'on pourrait le croire. Dans chaque entreprise de taille moyenne on peut en trouver un, rarement deux. En outre la plupart des gens admettent vaguement que toute relation, en particulier toute relation humaine, se réduit à un échange d'information (si bien entendu on inclut dans le concept d'information les messages à caractère non neutre, c'est-à-dire gratifiant ou pénalisant). Dans ces conditions, un penseur de l'informatique aura tôt fait de se transformer en penseur de l'évolution sociale. Son discours sera souvent brillant, et de ce fait convaincant ; la dimension affective pourra même y être intégrée. »
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994)
[page 43, Éditions J'ai lu, collection Nouvelle Génération (2002)]
Posted by Jean-Philippe on March 29, 2003 16 Comments, 0 TrackBacks
« Les pages qui vont suivre constituent un roman ; j'entends, une succession d'anecdotes dont je suis le héros. Ce choix autobiographique n'en est pas réellement un : de toute façon, je n'ai pas d'autre issue. Si je n'écris pas ce que j'ai vu je souffrirai autant – et peut-être un peu plus. Un peu seulement, j'y insiste. L'écriture ne soulage guère. Elle retrace, elle délimite. Elle introduit un soupçon de cohérence, l'idée d'un réalisme. On patauge toujours dans un brouillard sanglant, mais il y a quelques repères. Le chaos n'est plus qu'à quelques mètres. Faible succès, en vérité.
Quel contraste avec le pouvoir absolu, miraculeux de la lecture ! Une vie entière à lire aurait comblé mes voeux ; je le savais déjà à sept ans. La texture du monde est douloureuse, inadéquate ; elle ne me paraît pas modifiable. Vraiment, je crois qu'une vie entière à lire m'aurait mieux convenu.
Une telle vie ne m'a pas été donnée. »
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994)
[pages 14-15, Éditions J'ai lu, collection Nouvelle Génération (2002)]
Posted by Jean-Philippe on March 29, 2003 16 Comments, 0 TrackBacks