La pression sociale comme fondation d'une identité
« L'autre jour, dans la maison des Websters, il pensait à un esprit qui ignorerait la routine de la logique, à un esprit que n'auraient pas touché quatre mille ans de pensée humaine. Voilà, s'était-il dit, ce qu'il fallait chercher.
Eh bien ! il venait de le trouver, l'esprit neuf.
Mais ce n'était pas encore assez. Il manquait quelque chose ; quelque chose à quoi il n'avait jamais songé, et à quoi les hommes de Genève n'avaient jamais songé non plus. Ce quelque chose, c'était un des éléments de la mentalité humaine que l'on avait toujours jusqu'alors considéré comme fondamental.
La pression sociale, c'était cela qui avait maintenu la cohésion de la race humaine pendant tous ces millénaires, c'était cela qui lui avait donné son unité, tout comme la pression de la faim avait enchaîné les fourmis à une structure sociale figée.
Le besoin de chaque être humain de se sentir approuvé par ses semblables, le besoin d'un certain culte de la fraternité : un besoin psychologique, presque physiologique d'être dans la norme. C'était une véritable force qui empêchait les hommes de prendre la tangente de la société, et dont découlaient la sécurité et la solidarité humaines et le bon fonctionnement de la famille humaine.
Des hommes mouraient pour obtenir cette approbation, ils se sacrifiaient, se résolvaient à une vie méprisable. Car, désapprouvé par ses semblables, l'homme était abandonné à lui-même, il n'était plus qu'un hors-la-loi, qu'un animal chassé de la meute.
Les conséquences de ce besoin pouvaient être terribles ; il expliquait la persécution raciale, les atrocités massives commises au nom du patriotisme ou de la religion. Mais c'était aussi le lien qui maintenait l'unité de la race humaine, c'était cela qui, dès le début, avait rendu possible la société humaine. »
Clifford D. Simak, Demain les chiens (City, 1952 - 1953 pour la traduction française)
[page 122-123, Éditions J'ai lu]
Posted by Jean-Philippe on September 05, 2003 9 Comments, 0 TrackBacks