Mon premier visionnage du DVD de La Sirène Rouge d'Olivier Mégaton me laisse perplexe... j'ai fini de lire le livre de Maurice G. Dantec il y a quelques semaines, alors évidemment, les souvenirs sont frais.
Sur le livre de Dantec, on peut lire en quatrième de couverture (Éditions Gallimard, 1995, collection folio policier) :
« Elle a douze ans, une mère meurtrière et une armée de mercenaires sur les talons.
Il a trente ans, l'habitude de tuer et pas grand-chose à perdre.
Ensemble, ils vont traverser l'Europe, d'Amsterdam à Porto. Le genre de voyage où les cadavres servent de bornes kilométriques. »
Et sur le DVD, au dos du coffret :
« Elle a 12 ans, une mère redoutable et une armée de tueurs à ses trousses. Lui a 40 ans, l'habitude de tuer et plus grand chose à perdre. Cette improbable rencontre va changer le cours de leur vie... »
Ces petits changements n'ont rien d'anodin comme nous allons le voir, malheureusement.
On peut d'ailleurs aussi lire : « Interdit au moins de 12 ans »... c'est là qu'on peut commencer à avoir de sérieux doutes ! Une adaptation d'un roman de Dantec devrait être interdite au moins de 16 ans pour refléter sa violence – enfin... normalement... dans un monde ou l'argent n'est pas le moteur de l'industrie cinématographique... pour rentabiliser il faut augmenter la base des gens pouvant potentiellement aller voir le film.
Commençons par les galettes du coffret DVD (« édition prestige ») en premier lieu (je n'ai pas encore tout visionné) :
- le premier DVD contient le film, un trailer et des bandes annonces à toute les sauces (langues, sous-titrages) ;
- le deuxième DVD contient les bonus, plutôt intéressants, mais franchement pour une adaptation d'un livre, écrit de plus par un auteur complexe comme Dantec, on s'attendait à un peu mieux (la biographie rachitique de Dantec incorporée à cette galette est un signe caractéristique) ;
- enfin, on trouve un CD contenant des extraits de la bande originale du film, sympa et qui colle bien au visuel du film...
Bon : autant le dire, on retrouve la qualité globale des coffrets
Studio Canal qui sont toujours bien mitonés.
Par où commencer pour disserter sur cette adaptation cinématographique ? Par le début : l'introduction du film (dont vous pouvez trouver un montage que j'ai réalisé
ici, montage laborieux à cause de problèmes de détection de mes codecs audio par
FlasKMPEG, ainsi que par les ennuis habituels de synchonisation sonore, réglés facilement grâce au superbe tutoriel
“Fixing Audio Synchronization Problems” que l'on trouve sur l'excellentissime portail
"Digital Digest" – il doit pas y en avoir beaucoup des gens comme moi qui encodent leurs propres DVD....). Donc cette introduction est flamboyante ! une véritable réussite visuelle ! ça pulse (le titre hard rock allemand “Sonne” du groupe
Rammstein y est pour quelque chose aussi), une citation de Haldous Huxley, des couleurs de feu : on est déjà dans le monde de Dantec ! La narration de cette introduction, un peu dans le style de celle de
X-Men (introduction mêlée à un rappel du passé du/des héros), est visuellement parente de celle d'un
Seven ou d'un
Fight Club (on remarquera que David Fincher soigne ses intros). J'en conclus (peut-être trop rapidement...) que ce n'est pas le réalisateur qui pêche dans ce film...
Non, c'est l'adaptation du roman, le script-scénario, réalisée par Norman Spinrad (un pote de Dantec, écrivain de science-fiction), un des co-scénaristes, qui fout tout en l'air. D'ailleurs, comme pour s'ammender, il nous explique dans un des interviews (présents dans les bonus) que l'on ne peut pas pour des raisons de budget transposer dans le film le contenu intégral du livre et que l'on peut seulement s'attacher à retranscrire l'atmosphère du livre, son sens profond... Mouais.... Donc pour des raisons de budget vous n'aurez pas le droit à la fusillade dans la grande surface qui lance la fuite d'Alice, ni à la conclusion sur la mer avec le duel frontal entre le yacht de la mère d'Alice et
la Manta (le superbe bateau de construction personnelle) de son père. Signalons ici que l'acteur qui joue le père d'Alice ou [Stephen] Travis (Johan Leysen) est vraiment très bon et correspond bien à l'image qu'on s'en fait ; seulement, d'un contrebandier d'exception (équipé d'un bateau non moins fabuleux), qu'Hugo voudrait bien avoir dans les Colonnes Liberty-Bell, le film en fait un homme plutôt faible. Les coupes budgétaires ont aussi leur effet géographique :
exit Amsterdam, on se retrouve en Europe dans un lieu non localisé ; en fait, tout l'aspect
road movie du livre passe à la trappe (et les voyages en voiture, c'est quand même une caractéristique de Dantec). Idem pour les amphétamines dont raffole Hugo (même remarque...). – ben oui, vous comprenez pas, il faut rester politiquement correct, quite à ce que le film ne tienne pas la route (c'est le cas de le dire).
Le nombre de tueurs a lui aussi diminué, comme le nombre de policiers qui sont sensés se faire descendre. La petite
hit-squad que l'on veut bien nous accorder est loin d'être aussi redoutable que dans le livre (y'en a même un qui semble sorti tout droit de
ZZ Top). [Lucas] Vondt (interprété par Carlo Brandt, plutôt à la bonne place dans ce rôle) n'est plus ex-policier des stups' (connu d'Anita pour son passé houleux) mais ancien militaire... Et que dire de [Karl] Koesler (Andrew Tiernan) qui ressemble plus à une grande tapette géante à moustique qu'à un ancien paramilitaire des forces sombres d'Afrique du Sud au temps de l'
apartheid... d'ailleurs toute la partie de l'histoire le concernant a disparu (sa capture, les tractations entre ce tueur à la solde de Eva K. et le couple Hugo/Anita disparaissent), ce qui fait qu'une partie de la psychologie d'Hugo s'évanouie : le « respect entre tueurs » que l'on perçoit clairement dans le livre entre Koesler et Hugo n'a plus sa place (dans l'interview de Dantec présente sur la deuxième galette, Dantec rappelle qu'Hugo aurait tout aussi bien pu appartenir aux forces d'Eva K.). Bon choix pour le rôle du Bulgare Sorvan (François Levantal), qui d'ailleurs n'est plus Bulgare...
Si l'on continue dans la distribution des rôles, on doit considérer tour à tour :
- Alice [Kristensen] (Alexandra Negrao, jeune actrice portugaise dont c'est le premier film), dont le personnage est plutôt bien rendu à l'écran (félicitations à l'actrice) ;
- Hugo [Toorop], en la personne de Jean-Marc Barr qui était vraiment fait pour ce rôle, est irréprochable – notons que son identité de Berthold Zukor et que toutes les scènes de métamorphose de l'équipée Hugo/Alice passent à la trappe (normale, les tueurs étant moins redoutables...) ;
- Anita (Staro) [Van Dyke] (Asia Argento) – le nom Van Dyke a disparu, on n'est plus à Amsterdam, la belle est maintenant Italienne et se nomme Staro –, qui joue comme à son habitude, c'est-à-dire comme un pied – d'ailleurs elle est tellement nulle que c'est son commissaire qui s'occupe de tout au début du film, contrairement au livre où elle est très active – remarquez, la cassette (un DVD dans le film, le scénariste a au moins pensé à updater le livre) est identifié comme authentique, cela facilite l'enquête au détriment de l'intrigue ; néanmoins, elle était faite physiquement pour le rôle...
- Eva K. (Frances Barber), excellente, mais que l'on fait passer pour une folle légère (les clignements de paupière rapide lorsqu'elle regarde des snuff-movies), et qui semble quand même beaucoup moins attirante que dans le livre (le film lui a ôté son mari Wilheim d'ailleurs, ainsi que toutes les histoires familiales sur l'origine de sa fortune) ;
- le flic portugais Oliveira (Edouard Montoute) est sympa, mais dans le livre, Anita se contrôle pour ne pas tomber amoureuse au début : or je vois mal comment cela pourrait lui arriver dans le film ;
- Vitali (Vernon Dobtcheff) adopte un look religieux et apparaît beaucoup plus dur que dans le livre ;
- Ari (Maurice G. Dantec) fait son apparition dans le film sous forme vidéo – disons-le tout de suite : Dantec est excellent, il devrait essayer une carrière d'acteur.
Notons aussi la disparition de Pinto, ami de Travis et du Grec, ce qui réduit l'enquête...
Les
snuff-movies, ces films terribles qu'on ne voit pas vraiment à l'écran. Du coup, les considérations de Dantec sur la pourriture de la société bourgeoise au travers du commerce de ces cassettes ont disparu (pourtant le thème du mal qui augmente avec la culture est central chez Dantec). On ne retrouve pas non plus les références constantes aux Balkans, notamment à la Yougoslavie (sauf avec le “time of war” dans l'introduction du film).
Pour conclure, adaptation navrante mais transposition visuelle très réussie (réalisation, choix des acteurs). Cependant le fait que l'on doive se contenter d'un film sans véritable histoire (à force de couper le roman, on se retrouve devant un scénario en charpille) laisse une mauvaise impression.
On dira que les récentes adaptations de K. Dick par Spielberg (
IA Artificial Intelligence,
Minority Report) (ou par Ridley Scott avec
Blade Runner puisque Spinrad en parle dans son interview) sont plus aisées car les nouvelles qu'adaptent ces films sont beaucoup plus courtes que les romans de Dantec. C'est vrai. Mais quand on voit
Minority Report, on se dit que Spielberg sait s'entourer des bonnes personnes pour l'adaptation (et il ne laisine pas sur la longueur du film, lui).
Ce premier roman de Dantec aurait dû être adapté par un Brian de Palma (façon
The Untouchables /
Les Incorruptibles), ou à la rigueur, par John Woo. J'aurais gardé Olivier Mégaton pour
Les racines du mal où sa grance maîtrise visuelle aurait servi l'adaptation de ce chef d'oeuvre.
Espérons que
l'adaptation de
Babylon Babies (Éditions Gallimard, 1999, collection
folio Science Fiction) que nous prépare
Mathieu Kassovitz sera plus réussie...
[Note : ceci est un premier jet de ma critique – elle sera mise à jour / refondue dans quelques semaines]