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"Clifford D. Simak" entries.

September 05, 2003

La pression sociale comme fondation d'une identité


« L'autre jour, dans la maison des Websters, il pensait à un esprit qui ignorerait la routine de la logique, à un esprit que n'auraient pas touché quatre mille ans de pensée humaine. Voilà, s'était-il dit, ce qu'il fallait chercher.
Eh bien ! il venait de le trouver, l'esprit neuf.
Mais ce n'était pas encore assez. Il manquait quelque chose ; quelque chose à quoi il n'avait jamais songé, et à quoi les hommes de Genève n'avaient jamais songé non plus. Ce quelque chose, c'était un des éléments de la mentalité humaine que l'on avait toujours jusqu'alors considéré comme fondamental.
La pression sociale, c'était cela qui avait maintenu la cohésion de la race humaine pendant tous ces millénaires, c'était cela qui lui avait donné son unité, tout comme la pression de la faim avait enchaîné les fourmis à une structure sociale figée.
Le besoin de chaque être humain de se sentir approuvé par ses semblables, le besoin d'un certain culte de la fraternité : un besoin psychologique, presque physiologique d'être dans la norme. C'était une véritable force qui empêchait les hommes de prendre la tangente de la société, et dont découlaient la sécurité et la solidarité humaines et le bon fonctionnement de la famille humaine.
Des hommes mouraient pour obtenir cette approbation, ils se sacrifiaient, se résolvaient à une vie méprisable. Car, désapprouvé par ses semblables, l'homme était abandonné à lui-même, il n'était plus qu'un hors-la-loi, qu'un animal chassé de la meute.
Les conséquences de ce besoin pouvaient être terribles ; il expliquait la persécution raciale, les atrocités massives commises au nom du patriotisme ou de la religion. Mais c'était aussi le lien qui maintenait l'unité de la race humaine, c'était cela qui, dès le début, avait rendu possible la société humaine. »

Clifford D. Simak, Demain les chiens (City, 1952 - 1953 pour la traduction française)
[page 122-123, Éditions J'ai lu]

Posted by Jean-Philippe on September 05, 2003 9 Comments, 0 TrackBacks

September 02, 2003

Une vie sédentaire se profile


« Le premier souffle du printemps entra par la fenêtre, emplissant le bureau de la promesse des neiges fondues, des feuilles et des fleurs à venir, des triangles de canards sauvages fendant le ciel bleu à destination du nord, des truites rôdant dans les remous, guettant la mouche.
Webster leva les yeux de la liasse de papiers posée sur son bureau, huma la brise et sentit sur sa joue la caresse de l'air frais. Il tendit la main dans la direction de son verre de cognac, le trouva vide et le reposa.
Il se pencha à nouveau sur ses papiers, prit un crayon et barra un mot.
Il relut d'un oeil critique les derniers paragraphes :
« Le fait que sur les deux cent cinquante personnes qui étaient invitées à venir me voir, pour des missions de la plus haute importance, trois seulement ont réussi à venir ne prouve pas nécessairement que les deux cent quarante-sept autres souffrent d'agoraphobie. Parmi ces gens, certains peuvent avoir eu des raisons légitimes, qui les ont empêchés de se rendre à mon invitation. Mais cela n'en indique pas moins, chez les hommes menant sur la Terre l'existence qui a suivi la dissolution des cités, une répugnance croissante à quitter les endroits qui leur sont familiers, une tendance de plus en plus marquée à demeurer dans le cadre que leur esprit a pris l'habitude d'associer avec une existence agréable.
« Jusqu'où sera poussée cette tendance, nul ne saurait l'affirmer, puisqu'elle ne se manifeste qu'au sein d'une petite fraction des habitants de la Terre. Dans les familles nombreuses, la pression économique contraint certains des fils à aller chercher fortune en d'autres régions de la Terre ou sur l'une des autres planètes. Certains vont courir l'aventure dans l'espace, et d'autres adoptent des métiers ou des professions qui rendent impossible une existence sédentaire. »
Il tourna la page et lut le dernier feuillet.
C'était incontestablement un bon article, mais il ne pouvait le faire publier ; pas encore. Peut-être paraîtrait-il après sa mort. Personne, autre que lui, à sa connaissance, n'avait pris une conscience aussi nette de cette nouvelle tendance qui faisait que les hommes répugnaient à quitter leur domicile. Et pourquoi, après tout, devraient-ils sortir de chez eux ?
De là résultent certains dangers... »

Clifford D. Simak, Demain les chiens (City, 1952 - 1953 pour la traduction française)
[page 73-74, Éditions J'ai lu]

Posted by Jean-Philippe on September 02, 2003 23 Comments, 0 TrackBacks

L'effondrement nécessaire pour prendre l'air


« John J., le premier John J., était venu ici après l'effondrement des cités, après que les hommes eurent abandonné à jamais les tanières du XXe siècle, après qu'ils se furent libérés de l'instinct grégaire qui les poussait à se rassembler dans une caverne ou dans une clairière pour affronter un ennemi commun ou une angoisse commune. Un instinct qui avait passé de mode puisqu'il n'y avait plus d'ennemis ni de peurs à combattre. L'homme s'était révolté contre cet instinct que les conditions économiques et sociales lui avaient imposé jadis. Une nouvelle sécurité morale et matérielle avait permis la dispersion du troupeau.
Les premières traces de cette dispersion remontaient au XXe siècle, à plus de deux cents ans en arrière, à l'époque où les hommes étaient allés s'installer à la campagne pour avoir de l'air, de l'espace et une vie agréable que l'existence communautaire, sous sa forme la plus stricte, ne leur avait jamais donnée.
Et le résultat était là. Une vie paisible. Une paix que seules pouvaient donner les bonnes choses de ce monde. Le genre de vie à quoi les hommes aspiraient depuis des années. Une existence seigneuriale fondée sur des demeures ancestrales et de vastes domaines, où les atomes fournissaient l'énergie nécessaire et où les robots remplaçaient les serfs. »

Clifford D. Simak, Demain les chiens (City, 1952 - 1953 pour la traduction française)
[page 62-63, Éditions J'ai lu]

Posted by Jean-Philippe on September 02, 2003 12 Comments, 0 TrackBacks

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