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"Maurice G. Dantec" entries.

September 06, 2004

Victimologie du talent

« Il n'existe pas de pires victimes que les gens dont le talent n'a jamais été reconnu. Ils sont de la race des pires bourreaux que la terre engendre. »

Villa Vortex, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (2003)
[page 260, collection La Noire]

Posted by Jean-Philippe on September 06, 2004 22 Comments, 584 TrackBacks

September 05, 2004

Bibliologie romanesque

« Chaque jour, durant ce mois de juin 1992, et alors que la date de départ de Nitzos pour la poudrière balkanique se précisait, je pus constater que quelque chose était en train de pourrir. Quelque chose situé juste sous nos pieds. Quelque chose qui finirait par nous avaler, et nous dévorer, tous inexorablement. Mais si je ressentais le tremblement de l'onde de choc tectonique qui faisait vibrer les fondations de l'édifice, j'étais dans l'incapacité d'en comprendre la véritable signification. Privé de tout instinct, dont même l'insecte le plus primitif dispose, je possédais des facultés d'analyse élaborées, mais encore aucune soif de destruction suffisante.
Il me restait beaucoup à apprendre.
Pourtant, à la fin du mois, nous étions parvenus à établir une première configuration.
Cette configuration « virtuelle » n'était pas un gadget à forme humanoïde. C'était un programme, donc un corps sans organes formé de sa seule codification, secrète, invisible, y compris pour lui-même.
Il s'agissait d'une entité abstraite, une matrice mathématique – élaborée par Nitzos grâce à un logiciel d'origine militaire que Willy avait « craqué » quelque part – et qui croisait et recroisait nos données, présentant des tableaux synthétiques, des « maps » disait Nitzos, des cartes, oui c'était bien cela.
Or les cartes ne sont pas une simple « re-présentation » du territoire. J'en avais la preuve : elles produisent le territoire, elles engendraient le processus par lequel celui-ci se mettait à tracer sa topologie propre dans le monde.
En fait, je comprenais que sans la carte, le mot même de « territoire » n'avait aucun sens.
Et là-dessus, il était clair que le tueur des centrales était en tout point d'accord avec nous. »

Villa Vortex, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (2003)
[pages 206-207, collection La Noire]

Dantec fait ici parler Alfred Korzybski par la bouche du personnage principal et narrateur de Villa Vortex, Kernal.... En cela on peut voir un hommage rendu à l'auteur de science-fiction A. E. Van Vogt et son Cycle du non A qui avait fait sortir de l'ombre la sémantique générale de Korzybski. Pour des développements de cette « théorie » voir Une carte n'est pas le territoire – Prolégomènes aux systèmes non-aristotéliciens et à la sémantique générale d'Alfred Korzybski, aux Éditions de l'Éclat.
Maintenant la question : un héros de roman qui parle à la première personne doit-il citer ses sources ? lol.

Posted by Jean-Philippe on September 05, 2004 12 Comments, 363 TrackBacks

August 31, 2004

Diptyque en noir

« (...)
Il était l'incarnation même de tous les maléfices du monde.
C'était le meilleur inspecteur de police avec lequel j'avais jamais travaillé. »
« (...)
Si je voulais conserver la moindre chance de réussite, si je désirais vraiment la ténacité, la rage froide indispensable à l'entreprise, je devais pourtant m'attacher à ce petit bout de chair violentée comme s'il se fût de la mienne propre, et en échange je devais sans doute me préparer à perdre la plus grande partie de mon humanité. Je n'avais pas d'enfant, je n'étais pas marié de toute façon, et je ne vivais avec personne. Adopter un cadavre semblait bien le seul comportement raisonnable. »

Villa Vortex, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (2003)
[pages 25 et 36, collection La Noire]

Posted by Jean-Philippe on August 31, 2004 15 Comments, 299 TrackBacks

February 03, 2004

Vous êtes contre Dantec : vous êtes contre moi

Je crois que c'est clair.
Je m'en expliquerai plus dans une prochaine entrée.
Mais là je crois que la presse française a atteint des sommets de bêtises.
Dans ce pays le débat et la discussion n'existent plus.
Ca me fait de la peine.

Posted by Jean-Philippe on February 03, 2004 19 Comments, 0 TrackBacks

January 31, 2004

Dantec, Teilhard... et Lévy

« Parution simultanée de deux ouvrages de Pierre Lévy, « penseur » du cyberespace, exilé lui aussi de France au Québec.
Voici ce que cet histrion de la world philosophy nous inflige, dans un ouvrage pondu à deux, lui et sa femme (c'est la grande époque de la littérature en couple, autant dire de son annihilation), et qui ne trouve sa vraie place qu'au rayon mysticisme new-age de la première librairie astrologique venue : « La pensée nous amène à souffrir. Elle nous entraîne dans l'avidité, l'agression, la peur, l'espoir, l'illusion. Si nous nous contentions de sentir (c'est moi qui souligne), nous éviterions tout naturellement la souffrance. »
Nous contenter de sentir. Arrêter la pensée. Supprimer la souffrance. »

Si vous possédez l'édition nrf, vous êtes en bas de la page, un filet de bave coule délicatement mais néanmoins dangereusement vers votre livre préféré (oui, je suis maniaque, d'ailleurs je ne suis pas fier de moi car j'ai bavé dans la semaine sur mon Babylon Babies, mais c'est une autre histoire)... la souffrance en bas de page, ça met en appétit. Reprenons :

« Le programme est clair, il l'a toujours été : bouffez végétarien, faites de la méditation, développez votre « potentiel personnel ». Achetez mes cassettes.
Voici donc ce que le cyber-universitaire de la première (dé)génération postsoixantuitarde fait de deux mille cinq cents ans d'esprit critique occidental, devenu depuis un certain temps déjà la cible privilégiée de tout ce que l'Occident lui-même peut produire de nihilismes (autant dire une industrie). Il n'est pas le seul de son espèce à cracher ainsi dans la main qui l'a généreusement nourri. Même les plus féconds d'entre les penseurs sont désormais tentés d'imiter cette pathétique parodie de révolte œdipienne.
La régression new-age n'a pas toujours la naïveté d'affirmer haut et clair un tel programme, l'anéantissement de la pensée est parfois habilement camouflé par quelque jargon pompeux ou posture de rébellion. Pierre Lévy a le mérite d'exposer sa non-pensée sans le moindre artifice, et avec l'aplomb qui caractérise l'idiot terminal : world philosophy (on croirait à s'y méprendre la dernière campagne de pub Benetton ou de l'Unesco, ou le dernier disque de Sting), néopaganisme solaire, astrologie du feu, humanitarisme pseudo-bouddhiste et adaptation (post)moderne du christianisme noosphérique de Teilhard de Chardin, bref un effondrement général de la pensée qui, bien sûr, vise à s'ériger comme finalité téléologique du « phénomène humain », et nous conduit automatiquement au fou rire. »

Maurice G. Dantec, Laboratoire de catastrophe générale – Le théâtre des opérations, Journal métaphysique et polémique, 2000-2001
[pages 107-108, Éditions Gallimard (2001)]

Posted by Jean-Philippe on January 31, 2004 8 Comments, 0 TrackBacks

January 29, 2004

Toorop en visite au Québec

« Il était en train de laisser un pourboire en pièces de vingt-cinq cents lorsqu'une voix féminine l'apostropha :
– Salut, tu viens-tu souvent par ici ?
Il reconnut l'accent et la grammaire locale.
Il se retourna, offrit le meilleur sourire de bienvenue qu'il avait en magasin et mentit effrontément.
– Oui, c'est mon bar préféré dans le coin. »

Maurice G. Dantec, Babylon Babies
[page 191, Éditions Gallimard (1999), collection folio SF (2001)]

Posted by Jean-Philippe on January 29, 2004 1 Comments, 0 TrackBacks

January 22, 2004

De la sensualité du cuir de vachette

« Anton Gorsky s'était assis pesamment sur la banquette de la Lexus Stereolab. Le cuir de vachette véritable avait gémi d'un craquement sensuel, il avait étalé ses jambes de tout son long en poussant un râle de plaisir. »

Maurice G. Dantec, Babylon Babies
[page 64, Éditions Gallimard (1999), collection folio SF (2001)]


Posted by Jean-Philippe on January 22, 2004 22 Comments, 0 TrackBacks

August 27, 2003

Post Scriptum about Werber and Dantec ;)

And I know perfectly that Dantec does not love Werber ;-).

Posted by Jean-Philippe on August 27, 2003 9 Comments, 269 TrackBacks

Werber: un Dantec soft ?


« Election parlementaire. Un politicien de l'opposition annonce que le «  le problème dans ce pays, c'est qu'il n'y a plus de motivation. Tout le monde ne pense qu'à son petit confort personnel immédiat. On ne se bat plus pour être les premiers mais pour ne pas trop vite être les derniers ». Il ajoute « et si ce n'était que ça ! les entrepreneurs sont démotivés par les taxes et la paperasserie, les créateurs de richesse sont démotivés par les impôts, tout est fait dans ce pays comme si on voulait juste égaliser tout le monde dans la défaite ». »

Bernard Werber, L'ultime secret (2001)
[page 124, Éditions Le Livre de Poche]

Posted by Jean-Philippe on August 27, 2003 8 Comments, 0 TrackBacks

June 01, 2003

« Il faut du temps pour tuer.  »

« Nous étions en train de discuter, Svetlana et moi, des travaux de Colin Wilson, datant du début des années soixante-dix, il avait mis dès cette époque le doigt sur un certain nombre de points essentiels, comme par exemple la nécessité de disposer de pas mal de temps libre, pour tuer de manière répétitive pendant des années. L'apparition des meurtriers en série est en effet inséparable de la naissance de la civilisation des « loisirs ».
Et ce, pour une raison bien simple : il faut du temps pour tuer. Et surtout il ne faut rien avoir de mieux à faire.
La civilisation des « loisirs » masque un sous-développement flagrant de l'esprit humain, et elle ne produit en fait qu'un mécanisme banal, parfaitement ennuyeux et dépersonnalisant, décortiqué depuis longtemps par les situationnistes, par exemple. Ces derniers ont expérimenté d'emblée la seule solution radicale, donc possible : celle de transformer l'espace urbain en terrain de jeu. En fait, les tueurs en série opèrent d'une façon similaire, quoique sous des modalités quelque peu différentes, je le reconnais.
Les situationnistes étaient des artistes et des êtres relativement épanouis, même s'ils étaient en rupture avec l'ordre du monde. Tous les artistes sont des démiurges ambivalents ; ils sont en rupture et en harmonie, de façon synchrone, c'est-à-dire « paradoxale ». C'est de la confrontation entre ces deux aspects de leur personnalité que naît leur prise de conscience. Mais pour d'autres individus, plus instables, la dépersonnalisation agit de manière différente : face à la perte de l'ego qui en résulte, la seule façon de continuer d'« exister », c'est-à-dire de « sentir » que l'on existe, ne peut résulter que d'une combinaison de violence et de rituel : la magie. Le raccourci symbolique qui redonne consistance et intensité à la vie.
La plupart des meurtriers en série ont en effet un QI se situant dans les strates supérieures du tableau. Ils font partie de ces cinq pour cent de la population considérés par les psychologues behavioristes comme « dominants », voire « sur-dominants ». Les meurtriers en série ont souvent un goût prononcé, voire des prédispositions réelles pour des activités nécessitant intelligence, créativité, et audace.
Mais lorsque la vie tout entière n'est plus qu'un vaste « espace de loisirs », sans but ni direction, neutre et sans affect, « média froid » où les séries télé s'enchaînent aux jeux stupides, au déluge publicitaire et à l'ennui, le nombre des solutions se restreint au fur et à mesure que s'empalent les frustrations.
Face à la dépersonnalisation de la civilisation des « loisirs », le tueur en série invente son propre Jeu, son territoire symbolique personnel, dont il est le maître absolu.
Le jeu est en effet une activité où l'identification est forte, c'est un « média chaud », pour reprendre la classification de Mac Luhan. La « vie » y est bien plus intense que dans la vie. Le jeu est magie pure.
Le sexe lui-même ne devient plus que le vecteur « magique » par lequel exercer la soif de domination, de créativité et de pouvoir, frustrée à tous les stades de l'évolution personnelle, stratifiée par Marslow selon sa « théorie des besoins » : nourriture/sécurité-territoire/sexe/reconnaissance en soi/activités métaphysiques ou créatrices.
Auxquels Svetlana et moi rajoutions l'affection maternelle, en seconde, voire en première position.
Si la vie bloque, pour une raison ou pour une autre, les divers stades de développements essentiels d'un individu dominant, si aucun cadre éthique ou éducatif ne vient stabiliser un tant soit peu l'édifice, et si l'ennui socialisé engendre un irrésistible phénomène de dépersonnalisation, alors la stratification des frustrations équivaut à un empilement de matières fissiles, atteignant fatalement la masse critique. L'acte meurtrier, qu'on le veuille ou non, est vécu par le tueur en série comme un acte hautement libérateur. Tout du moins au début.
Il n'est pas moins vrai qu'il en résulte l'anéantissement d'un autre être humain, but recherché par l'assassin, cela va sans dire. L'anéantissement se doit d'être total. Psychique et physique. Le viol (biologique ou non) est un facteur fréquemment rencontré. » 

Les racines du mal, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (1995)
[pages 433-435, collection folio policier]


Posted by Jean-Philippe on June 01, 2003 21 Comments, 0 TrackBacks

May 20, 2003

Le son sur La Sirène Rouge

Désolé, mais pour avoir le son sur mon montage, il vous faut le codec audio DivX. Plus d'informations sur la page "DivX Codec" du site "DivX Digest" :

The DivX Audio Compressor is a re-packaged version of the DivX ;-) Audio codec that comes with the DivX 3.11 Alpha codec - this re-pack has a standalone install/uninstall packagem, and is compatible with all versions of Windows.

Je vous conseille aussi d'utiliser un gestionnaire de téléchargement comme l'excellent et gratuit Download Express de Metaproducts Software Corporation, car mon site Free.fr (celui sur lequel j'ai déposé la vidéo, pas celui-ci, il est entendu...) a parfois des problèmes... la faute à Free.

Posted by Jean-Philippe on May 20, 2003 17 Comments, 0 TrackBacks

May 18, 2003

La Sirène Rouge

Mon premier visionnage du DVD de La Sirène Rouge d'Olivier Mégaton me laisse perplexe... j'ai fini de lire le livre de Maurice G. Dantec il y a quelques semaines, alors évidemment, les souvenirs sont frais.
Sur le livre de Dantec, on peut lire en quatrième de couverture (Éditions Gallimard, 1995, collection folio policier) :
« Elle a douze ans, une mère meurtrière et une armée de mercenaires sur les talons.
Il a trente ans, l'habitude de tuer et pas grand-chose à perdre.
Ensemble, ils vont traverser l'Europe, d'Amsterdam à Porto. Le genre de voyage où les cadavres servent de bornes kilométriques. »
Et sur le DVD, au dos du coffret :
« Elle a 12 ans, une mère redoutable et une armée de tueurs à ses trousses. Lui a 40 ans, l'habitude de tuer et plus grand chose à perdre. Cette improbable rencontre va changer le cours de leur vie... »
Ces petits changements n'ont rien d'anodin comme nous allons le voir, malheureusement.
On peut d'ailleurs aussi lire : « Interdit au moins de 12 ans »... c'est là qu'on peut commencer à avoir de sérieux doutes ! Une adaptation d'un roman de Dantec devrait être interdite au moins de 16 ans pour refléter sa violence – enfin... normalement... dans un monde ou l'argent n'est pas le moteur de l'industrie cinématographique... pour rentabiliser il faut augmenter la base des gens pouvant potentiellement aller voir le film.
Commençons par les galettes du coffret DVD (« édition prestige ») en premier lieu (je n'ai pas encore tout visionné) :


  1. le premier DVD contient le film, un trailer et des bandes annonces à toute les sauces (langues, sous-titrages) ;

  2. le deuxième DVD contient les bonus, plutôt intéressants, mais franchement pour une adaptation d'un livre, écrit de plus par un auteur complexe comme Dantec, on s'attendait à un peu mieux (la biographie rachitique de Dantec incorporée à cette galette est un signe caractéristique) ;

  3. enfin, on trouve un CD contenant des extraits de la bande originale du film, sympa et qui colle bien au visuel du film...


Bon : autant le dire, on retrouve la qualité globale des coffrets Studio Canal qui sont toujours bien mitonés.
Par où commencer pour disserter sur cette adaptation cinématographique ? Par le début : l'introduction du film (dont vous pouvez trouver un montage que j'ai réalisé ici, montage laborieux à cause de problèmes de détection de mes codecs audio par FlasKMPEG, ainsi que par les ennuis habituels de synchonisation sonore, réglés facilement grâce au superbe tutoriel “Fixing Audio Synchronization Problems” que l'on trouve sur l'excellentissime portail "Digital Digest" – il doit pas y en avoir beaucoup des gens comme moi qui encodent leurs propres DVD....). Donc cette introduction est flamboyante ! une véritable réussite visuelle ! ça pulse (le titre hard rock allemand “Sonne” du groupe Rammstein y est pour quelque chose aussi), une citation de Haldous Huxley, des couleurs de feu : on est déjà dans le monde de Dantec ! La narration de cette introduction, un peu dans le style de celle de X-Men (introduction mêlée à un rappel du passé du/des héros), est visuellement parente de celle d'un Seven ou d'un Fight Club (on remarquera que David Fincher soigne ses intros). J'en conclus (peut-être trop rapidement...) que ce n'est pas le réalisateur qui pêche dans ce film...
Non, c'est l'adaptation du roman, le script-scénario, réalisée par Norman Spinrad (un pote de Dantec, écrivain de science-fiction), un des co-scénaristes, qui fout tout en l'air. D'ailleurs, comme pour s'ammender, il nous explique dans un des interviews (présents dans les bonus) que l'on ne peut pas pour des raisons de budget transposer dans le film le contenu intégral du livre et que l'on peut seulement s'attacher à retranscrire l'atmosphère du livre, son sens profond... Mouais.... Donc pour des raisons de budget vous n'aurez pas le droit à la fusillade dans la grande surface qui lance la fuite d'Alice, ni à la conclusion sur la mer avec le duel frontal entre le yacht de la mère d'Alice et la Manta (le superbe bateau de construction personnelle) de son père. Signalons ici que l'acteur qui joue le père d'Alice ou [Stephen] Travis (Johan Leysen) est vraiment très bon et correspond bien à l'image qu'on s'en fait ; seulement, d'un contrebandier d'exception (équipé d'un bateau non moins fabuleux), qu'Hugo voudrait bien avoir dans les Colonnes Liberty-Bell, le film en fait un homme plutôt faible. Les coupes budgétaires ont aussi leur effet géographique : exit Amsterdam, on se retrouve en Europe dans un lieu non localisé ; en fait, tout l'aspect road movie du livre passe à la trappe (et les voyages en voiture, c'est quand même une caractéristique de Dantec). Idem pour les amphétamines dont raffole Hugo (même remarque...). – ben oui, vous comprenez pas, il faut rester politiquement correct, quite à ce que le film ne tienne pas la route (c'est le cas de le dire).
Le nombre de tueurs a lui aussi diminué, comme le nombre de policiers qui sont sensés se faire descendre. La petite hit-squad que l'on veut bien nous accorder est loin d'être aussi redoutable que dans le livre (y'en a même un qui semble sorti tout droit de ZZ Top). [Lucas] Vondt (interprété par Carlo Brandt, plutôt à la bonne place dans ce rôle) n'est plus ex-policier des stups' (connu d'Anita pour son passé houleux) mais ancien militaire... Et que dire de [Karl] Koesler (Andrew Tiernan) qui ressemble plus à une grande tapette géante à moustique qu'à un ancien paramilitaire des forces sombres d'Afrique du Sud au temps de l'apartheid... d'ailleurs toute la partie de l'histoire le concernant a disparu (sa capture, les tractations entre ce tueur à la solde de Eva K. et le couple Hugo/Anita disparaissent), ce qui fait qu'une partie de la psychologie d'Hugo s'évanouie : le « respect entre tueurs » que l'on perçoit clairement dans le livre entre Koesler et Hugo n'a plus sa place (dans l'interview de Dantec présente sur la deuxième galette, Dantec rappelle qu'Hugo aurait tout aussi bien pu appartenir aux forces d'Eva K.). Bon choix pour le rôle du Bulgare Sorvan (François Levantal), qui d'ailleurs n'est plus Bulgare...
Si l'on continue dans la distribution des rôles, on doit considérer tour à tour :

  • Alice [Kristensen] (Alexandra Negrao, jeune actrice portugaise dont c'est le premier film), dont le personnage est plutôt bien rendu à l'écran (félicitations à l'actrice) ;

  • Hugo [Toorop], en la personne de Jean-Marc Barr qui était vraiment fait pour ce rôle, est irréprochable – notons que son identité de Berthold Zukor et que toutes les scènes de métamorphose de l'équipée Hugo/Alice passent à la trappe (normale, les tueurs étant moins redoutables...) ;

  • Anita (Staro) [Van Dyke] (Asia Argento) – le nom Van Dyke a disparu, on n'est plus à Amsterdam, la belle est maintenant Italienne et se nomme Staro –, qui joue comme à son habitude, c'est-à-dire comme un pied – d'ailleurs elle est tellement nulle que c'est son commissaire qui s'occupe de tout au début du film, contrairement au livre où elle est très active – remarquez, la cassette (un DVD dans le film, le scénariste a au moins pensé à updater le livre) est identifié comme authentique, cela facilite l'enquête au détriment de l'intrigue ; néanmoins, elle était faite physiquement pour le rôle...

  • Eva K. (Frances Barber), excellente, mais que l'on fait passer pour une folle légère (les clignements de paupière rapide lorsqu'elle regarde des snuff-movies), et qui semble quand même beaucoup moins attirante que dans le livre (le film lui a ôté son mari Wilheim d'ailleurs, ainsi que toutes les histoires familiales sur l'origine de sa fortune) ;

  • le flic portugais Oliveira (Edouard Montoute) est sympa, mais dans le livre, Anita se contrôle pour ne pas tomber amoureuse au début : or je vois mal comment cela pourrait lui arriver dans le film ;

  • Vitali (Vernon Dobtcheff) adopte un look religieux et apparaît beaucoup plus dur que dans le livre ;

  • Ari (Maurice G. Dantec) fait son apparition dans le film sous forme vidéo – disons-le tout de suite : Dantec est excellent, il devrait essayer une carrière d'acteur.


Notons aussi la disparition de Pinto, ami de Travis et du Grec, ce qui réduit l'enquête...
Les snuff-movies, ces films terribles qu'on ne voit pas vraiment à l'écran. Du coup, les considérations de Dantec sur la pourriture de la société bourgeoise au travers du commerce de ces cassettes ont disparu (pourtant le thème du mal qui augmente avec la culture est central chez Dantec). On ne retrouve pas non plus les références constantes aux Balkans, notamment à la Yougoslavie (sauf avec le “time of war” dans l'introduction du film).
Pour conclure, adaptation navrante mais transposition visuelle très réussie (réalisation, choix des acteurs). Cependant le fait que l'on doive se contenter d'un film sans véritable histoire (à force de couper le roman, on se retrouve devant un scénario en charpille) laisse une mauvaise impression.
On dira que les récentes adaptations de K. Dick par Spielberg (IA Artificial Intelligence, Minority Report) (ou par Ridley Scott avec Blade Runner puisque Spinrad en parle dans son interview) sont plus aisées car les nouvelles qu'adaptent ces films sont beaucoup plus courtes que les romans de Dantec. C'est vrai. Mais quand on voit Minority Report, on se dit que Spielberg sait s'entourer des bonnes personnes pour l'adaptation (et il ne laisine pas sur la longueur du film, lui).
Ce premier roman de Dantec aurait dû être adapté par un Brian de Palma (façon The Untouchables / Les Incorruptibles), ou à la rigueur, par John Woo. J'aurais gardé Olivier Mégaton pour Les racines du mal où sa grance maîtrise visuelle aurait servi l'adaptation de ce chef d'oeuvre.
Espérons que l'adaptation de Babylon Babies (Éditions Gallimard, 1999, collection folio Science Fiction) que nous prépare Mathieu Kassovitz sera plus réussie...

[Note : ceci est un premier jet de ma critique – elle sera mise à jour / refondue dans quelques semaines]

Posted by Jean-Philippe on May 18, 2003 18 Comments, 0 TrackBacks

May 17, 2003

Colin Wilson, mysticisme : quelques liens

Je pense qu'avec Les Racines du mal de Maurice G. Dantec (1995), je vais me replonger dans un univers intriguant que j'avais découvert avec Le Pendule de Foucault de Umberto Eco (1992?) puis approfondi avec NEON GENESIS EVANGELION de la GAINAX / Ideaki Anno (1997?) : la kabbale. Voici donc quelques premières pistes à explorer...

Le fameux Zohar dont parle Dantec :


Quelques liens plus généraux (mysticisme et textes anciens) :

Bon et puis un lien qui n'a pas grand chose à voir (quoique) : "The Colin Wilson Page" est un site fourni qui présente le monde du penseur et écrivain de science-fiction Colin Wilson évoqué dans Les Racines du mal.

Posted by Jean-Philippe on May 17, 2003 7 Comments, 0 TrackBacks

« La coupure des racines »

« – Revenons-en à ta « coupures des racines », ai-je fait au bout d'un moment.
– Oui... si l'Arbre de la Connaissance est détaché des autres Sephiroth, en particulier de la Sephira Beauté, RaHaMiM, qui est aussi l'Arbre de la Vie, alors la CHeKHiNa dépérit... ou plus exactement elle se transmute, et libère l'Arbre de la Mort, qu'elle contient, l'Arbre du Mal, qui se déverse alors sur le monde... (Le Doctor Schizzo semblait peu à peu l'emporter dans son conflit avec l'entité rivale.) Étrangement ça nous ramène aux Tueurs du Millénaire, Dark...
J'ai failli m'en étrangler. De quoi est-ce qu'elle parlait, sacré foutu de bonsoir ?
– Comment ça ?
– La coupure des racines. La coupure des racines de la Connaissance. C'est très exactement ce que pensait Colin Wilson au demeurant. En perdant les contours de son identité, le tueur en série est complètement coupé de l'Unité. Il vit tout seul, dans sa forteresse étanche, en même temps que les frontières de son égo s'estompent. La conscience agit de façon paradoxale, nous le savons... L'Arbre de la Mort l'a envahi. Il est l'Instrument des Forces de l'Autre Côté, comme nous en informe le Zohar... L'Anti-Conscience...
– Je... Attends... Tu veux dire... Tu veux dire que nous avons affaire à des adorateurs de Satan ?
– Évidemment ! m'a alors lancé le Doctor Schizzo instable, de sa voix de stantor. Quelle que soit la forme que prend le rituel, cela va sans dire... Leurs racines sont coupées, Dark. Les racines qui les reliaient à la Vie, à la Beauté et à l'Unité. À la place ont germé les racines de l'Arbre de Mort. Les Racines du Mal. Ce sont les forces de l'Anti-Monde, de la Destruction. De l'Autodestruction... Mais attention, les théoriciens du Zohar pensaient que cela faisait partie du Programme Divin. Une manière de punir les hommes quand ils s'écartaient de la voie... Appelons ça une sorte de sécurité... Un mécanisme de nettoyage, qui détruit finalement celui qui en est l'instrument, dans une véritable spirale autodestructive... (...) »

Les racines du mal, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (1995)
[pages 482-483, collection folio policier]


Posted by Jean-Philippe on May 17, 2003 11 Comments, 0 TrackBacks

May 13, 2003

« Les racines du mal »

« Le cimetière allemand qu'il avait repéré sur la carte serait le prochain objectif.
Il reprit sa route, l'incendie comme un phare mystérieux dansant dans le rectangle noir du rétroviseur. Il roula d'une traite et se gara comme dans un rêve devant l'esplanade du cimetière de Mont-de-Huisnes, pas très loin du Mont-Saint-Michel.
Ici, de nombreux soldats allemands défendant le Mur de l'Atlantique étaient tombés lors de l'attaque ratée du 6 juin. S'il détruisait l'enceinte diabolique qui protégeait la crypte où survivaient leurs esprits malins, peut-être quelques hommes décrypteraient à temps son geste. C'est en détruisant l'esprit des morts qu'on obtient ce qu'on veut des vivants. C'est en s'attaquant aux racines du mal que l'humanité aurait peut-être un jour la possibilité de se libérer de ses chaînes. »

Les racines du mal, Maurice G. Dantec, Éditions Gallimard (1995)
[page 111, collection folio policier]


Posted by Jean-Philippe on May 13, 2003 7 Comments, 0 TrackBacks

May 04, 2003

« Une société s'élabore sur des projets qui vont contre la volonté des hommes. »


« (...)
Comment ça ? Attendre une société conviviale et fraternelle ? L'amitié ? Ça n'a jamais fondé une civilisation.
Vous avez bien une famille, des amis, des êtres humains avec lesquels vous entretenez des relations ? !
Attendez ! On parle de choses intimes ou de la civilisation ?
Je vois mal comment on peut détacher l'un de l'autre...
Ah bon ? ! Mais c'est inévitable. Comment peut-on envisager un peu de grandeur si on en reste à ces petites valences. Alors... On est gentils, on va au travail, le samedi on fait la fête, on est conviviaux... Ce n'est pas ça une société. Une société s'élabore sur des projets qui vont contre la volonté des hommes. C'est parce qu'on a voulu faire le bonheur des hommes qu'on est arrivés aux aberrations du XXe siècle. Une civilisation conviviale, c'est plus sympa, effectivement, mais ni les Grecs, ni les Perses n'étaient sympas. Et la qualité des relations humaines était largement supérieure à celle d'aujourd'hui. Une civilisation ne s'établit pas sur des valeurs de ce type, je ne crois pas à ces conneries.
(...) »

Écrire nous rend de plus en plus cinglés - Entretien avec Maurice G. Dantec par Richard Comballot, in Maurice G. Dantec, Périphériques - essais et nouvelles (2003)
[page 85, Éditions Flammarion]

Posted by Jean-Philippe on May 04, 2003 20 Comments, 0 TrackBacks

April 10, 2003

Fureur d'achats

Je suis passé assez brièvement hier à la Fnac du Forum des Halles... et après mes fureurs d'achats Dantec puis Houellebecq des dernières semaines, je me suis cette fois déchaîné sur Frédéric Beigbeder (dont j'avais déjà lu 99 F... hum, excusez-moi : 14,99 €).
J'ai ainsi acheté : Vacances dans le coma (1994), L'amour dure trois ans (1997), Nouvelles sous ecstasy (1999) et Dernier inventaire avant liquidation (2001). Malheureusement, je n'ai pas réussi à trouver Mémoires d'un jeune homme dérangé.
Pour alléger ma conscience, Nouvelles sous ecstasy fut dévoré dans la soirée...

J'en ai aussi profité pour compléter ma collection Houellebecq, avec Rester vivant et autres textes (1991, mais 1999 pour l'édition Librio) et Lanzarote et autres textes (2002). Je cherchais d'autres ouvrages, notamment les poésies, mais je ne les ai point trouvées.

Posted by Jean-Philippe on April 10, 2003 4 Comments, 0 TrackBacks

Les lectures du moment

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Dans la nuit d'avant hier, j'ai terminé les Interventions de Michel Houellebecq, lecture rapide et facile pour un collage de textes qui recèle quelques bonnes surprises. Parallèlement et après des débuts difficiles, on peut dire que j'apprécie maintenant pleinement L'insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera. J'ai déjà placé quelques extraits de ces deux ouvrages sur ce site (d'autres sont probablement à venir). Enfin, dans ma volonté de lire tout ce qu'a écrit Maurice G. Dantec (romans, journaux polémiques et métaphysiques, interviews), je commence lentement Les racines du mal.
Je m'aperçois cependant peu à peu que Houellebecq et Dantec sont deux auteurs relativement commerciaux (ce qui n'enlève rien à l'intérêt personnel que je peux leur porter). Houellebecq est très aisé à lire, même amusant par son cynisme dégoulinant... on est cependant encore loin de la prose d'un Camus. Quant à Dantec, bien que j'aie été fasciné par les deux tomes de son journal (Le théâtre des opérations puis Laboratoire de catastrophe générale), je suis pour l'instant un peu déçu par ce broyeur de pensée unique en tant que romancier, après avoir dévoré La sirène rouge : l'intrigue étant trop simpliste et les personnages présentés à l'aide de procédés trop scolaires. On sent vraiment que son style s'est amélioré et a même changé en bien avec Les racines du mal ; il en va de même pour sa maîtrise des structures scénaristiques. Comme Dantec l'avoue lui-même, il est brouillon, ce qui ne dérange pas trop dans des romans de littérature totale. Mais dans ses réflexions, certaines imprécisions commencent à me poser problème, notamment par le peu de sources qu'il cite (je pense que je développerai ce point lorsque j'aurai fini de lire toutes ses productions).
On trouve aussi dans mon tohobuhu littéraire actuel La pierre et le sabre de Eiji Yoshikawa, roman que j'ai commencé il y a de cela plusieurs mois et dont j'ai arrêté net la lecture faute de temps. Je viens tout juste de m'y remettre.
Pour boucler cette liste, certains remarqueront un phrasebook d'espagnol d'Amérique latine... voyez-y ce que vous voudrez...

Posted by Jean-Philippe on April 10, 2003 30 Comments, 0 TrackBacks

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